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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Les crocs de la mer

L’Irak et l’Ukraine attendront, tant pis, et avec eux tous ces points chauds qui en temps normal – c’est-à-dire quand rien ne va comme il faut - encombrent la triste actualité : même à des milliers de kilomètres de distance, c’est l’épouvantable phénomène répondant au doux nom de tsunami qui accapare nos esprits, qui nous assomme et nous hébète, qui réveille en nous des terreurs préhistoriques face à l’incroyable, à l’inconnu, à l’imprévu. Depuis longtemps l’homme est allé (on ne sait plus très bien pourquoi) sur la Lune, et il n’y est plus jamais retourné d’ailleurs. Il a inventé des engins de mort plus dévastateurs que mille tsunamis. Mais il reste nu, vulnérable, tout petit et passablement désarmé devant les accès de colère de Dame Nature : laquelle de surcroît, et comme sous l’effet d’une sombre prédilection, donne souvent l’impression de s’acharner sur les nations les moins bien équipées pour lui faire front. Pour les populations sinistrées d’Asie, le tsunami, ou raz-de-marée engendré par un violent séisme sous-marin, est loin d’être pourtant un fléau inconnu. Il y a un demi-siècle encore, rappellent d’ailleurs les experts, les hommes veillaient à édifier leurs habitations à bonne distance de ces côtes éminemment capricieuses. Puis est venue la modernité, avec ses exigences économiques et ses retombées sur l’environnement. D’artisanale, la pêche est devenue scientifique, et pour aménager les parcs d’élevage de crustacés, on a détruit les barrières de corail et les végétations marines qui, selon les mêmes experts, font office d’amortisseurs face aux coups de boutoir de la mer. Et surtout l’extraordinaire boom du tourisme, grand créateur d’emplois, est venu peupler densément ces édéniques plages de sable blanc et de palmiers où l’on se fait servir son cocktail dans une noix de coco et son poisson dans une feuille de bananier. La sismologie reste bien sûr une science approximative, et nul ne saurait prédire la date précise des convulsions terrestres. Mais les riverains du Pacifique – et ils ne se limitent guère à ces deux nations riches que sont les États-Unis et le Japon – se sont bien dotés, eux, d’un système d’alerte par senseurs qui leur permet pour le moins de voir venir le redoutable tsunami, et d’évacuer à temps les côtes menacées. Ce système n’est guère ruineux, nous apprennent encore les experts ; et s’il n’existe pas dans l’océan Indien, c’est surtout pour des raisons culturelles mais aussi politiques, les conflits entre gouvernements interdisant en effet dans le passé une telle forme de coopération… Ce que la fée modernité a omis d’apporter dans ces pays cruellement endeuillés aujourd’hui, c’est finalement la mise en éveil, le sens des responsabilités et le devoir de prévention. C’est, en un mot, le souci de la vie humaine, irremplaçable critère de tout développement digne de ce mot : souci dont il nous faut déplorer d’ailleurs la scandaleuse absence, en plus d’un domaine de la vie libanaise. 85 000 morts et disparus, plus d’un million de personnes déplacées, des milliards de dollars de dégâts : en fallait-il vraiment autant pour le rappeler ?

L’Irak et l’Ukraine attendront, tant pis, et avec eux tous ces points chauds qui en temps normal – c’est-à-dire quand rien ne va comme il faut - encombrent la triste actualité : même à des milliers de kilomètres de distance, c’est l’épouvantable phénomène répondant au doux nom de tsunami qui accapare nos esprits, qui nous assomme et nous hébète, qui réveille en nous des...