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Actualités - CHRONOLOGIE

EXPOSITIONS - Les guerres du peintre allemand au palais de l’Unesco, jusqu’au 22 novembre Ce qu’Otto Dix ne dit pas, il le peint (Photo)

Ce qu’Otto ne dit pas, il le peint. Avec une cruauté et un réalisme absolus. Marqué par cette boucherie qu’était la guerre des tranchées de 1914-1918 (à laquelle il a participé en tant que mitrailleur), le maître de l’expressionnisme allemand réalise, entre 1920 et 1924, une œuvre dans laquelle il prône son antimilitarisme et sa haine de la guerre dans un style pathétique et violent. Une exposition, organisée par le Goethe Institut en collaboration avec l’IFA (Institut Für Auslandsbeziehungen), donne à voir quatre-vingt-huit œuvres originales d’Otto Dix, divisées en deux thèmes. Estampes critiques, d’abord, réalisées entre1920-1924, où l’artiste dissèque au scalpel la société allemande de l’après-guerre et la série The Krieg (« La guerre »), où une cinquantaine de gravures datées de 1924 rendent un portrait terrifiant et terrible de ces combats. Dix dira quand même plus tard : « La guerre est une affaire monstrueuse, mais malgré tout quelque chose de puissant. Il ne fallait en aucun cas que je manque cela ! Il faut avoir vu l’homme dans cet état déchaîné pour savoir quelque chose de l’homme. » Otto Dix fait partie des grands artistes allemands dont la place dans l’art du XXe siècle est aujourd’hui largement connue et reconnue. Les critiques diront que cette reconnaissance est fondée pour l’essentiel sur une partie seulement de son travail, celle qui permet d’attacher son nom à la « nouvelle objectivité », mouvement pictural né avec la République de Weimar au début des années vingt en réaction au pathos de l’expressionnisme. Hitler au pouvoir, Dix est persécuté par les nazis. Ses œuvres figurent parmi d’autres (comme Kandinsky ou Max Beckman) dans les expositions « d’art dégénéré ». Destitué de son poste d’enseignant à l’École des beaux-arts de Dresde, il choisit de se retirer avec sa famille près du lac du Constance et ne s’autorise plus à peindre que dans le cadre esthétique qu’imposent les nazis, rocailles, sapins et figures de saints. Banni, traité de « dégénéré », accusé de saper le moral du peuple, menacé d’être jeté hors de la peinture, Otto Dix ne pourra surpasser ce zénith de la «nouvelle objectivité ». La vérité toute nue L’exposition déroule une chronologie précise, qui entame son parcours en 1920. À cette époque, l’artiste, dont les études avaient été interrompues par la guerre, se met à l’œuvre après quatre ans passés au front dans une compagnie de mitrailleurs. « Les expressionnistes ont fait assez d’art. Nous voulons les choses toutes nues, nous les voulons très claires, presque sans art », proclame Otto Dix de retour des tranchées. C’est nue, atrocement nue, qu’il dessine la guerre. Le regard est implacable, comme l’est la main qui endeuille le trait de frottis noirs. Ici, le cadavre éventré d’un cheval expose ses entrailles à un ciel vide. Là, un soldat criblé de balles a perdu toute figure d’humanité. Ailleurs, la tranchée écroulée confond la chair et la boue. Des corps en lambeaux sont pendus sur des branches mortes… Tout n’est qu’agonie ou mort. Ah, tiens voilà une femme enceinte, symbole infime d’espoir, lueur minime dans une peinture trop sombre, pense-t-on. Fausse alerte, car la femme – dont le corps est mou et déglinguant, loin d’être épanoui – empiète sur un cadavre ! Ces gravures explorent les thèmes macabres d’une abominable chronique quotidienne. Les thèmes des destructions, déformations et mutilations du corps humain émergent d’un clair-obscur ambiant dans une vision apocalyptique. Une grande partie de ces scènes, où se reflète le désespoir objectif de la mort, sont situées dans la Somme ou en Picardie, où Otto Dix a combattu. Dix a-t-il réalisé ces œuvres macabres pour exorciser ses traumatismes ou pour dénoncer les horreurs qu’il a vues ? Les deux sans doute. Car si ce cycle, inspiré par « les désastres de la guerre » de Goya, vise à dénoncer les atrocités innommables, la sauvagerie destructrice – qui malheureusement reste d’actualité –, il répond aussi à la nécessité d’oublier les horreurs vécues : « Le fait est que, étant jeune, on ne se rend absolument pas compte que l’on est, malgré tout, profondément marqué. Car pendant des années, pendant 10 ans au moins, j’ai rêvé que je devais ramper à travers des maisons en ruine (sérieusement), à travers des couloirs, où je pouvais à peine passer. Les ruines étaient toujours présentes dans mes rêves... » Bordels et portraits Dans ses estampes critiques, Dix préfère la prostituée au bourgeois qui se la paie en douce et ne recule pas devant l’ironie lorsqu’il se dépeint, profil grinçant et lubrique, dardé vers les fesses exhibées d’une fille. La critique sociale n’est pas la seule préoccupation de l’artiste. On voit de nombreux nus, des portraits et des autoportraits. Ses modèles sont comme ils sont, un peu maigres, là un peu flasques, ici flétris, parfois charmants. Otto Dix les dessine sans emphase, ni a priori. En réalité, Dix aura dessiné tout, tout le temps, multipliant croquis et esquisses, mais du milieu des années vingt, c’est par la peinture que s’est manifestée l’œuvre. Il a dressé deux monuments, devenus emblèmes de la « nouvelle objectivité », deux retables en triptyques : la Grande ville, 1927, et la Guerre, 1930. On trouve dans cette exposition quelques études de ces toiles. Bars dansants, scènes de bordel ou passants des rues que l’on rencontrera sur les panneaux latéraux de la Grande ville, où grouillent invalides de guerre, mutilés et autres épaves, tandis qu’au centre une bourgeoisie hypocrite se perd dans la noce. Si cette exposition provoque un certain malaise chez celui qui la regarde, c’est que Dix a atteint son but : dévoiler la nature de la guerre, sa profonde inhumanité, source d’angoisse s et de souffrances. Maya GHANDOUR HERT * Jusqu’au 22 novembre. De lundi à dimanche, de 19h à 20h.
Ce qu’Otto ne dit pas, il le peint. Avec une cruauté et un réalisme absolus. Marqué par cette boucherie qu’était la guerre des tranchées de 1914-1918 (à laquelle il a participé en tant que mitrailleur), le maître de l’expressionnisme allemand réalise, entre 1920 et 1924, une œuvre dans laquelle il prône son antimilitarisme et sa haine de la guerre dans un style pathétique et...