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Actualités - interview

Étant donné le contexte, « la présidentielle s’est plutôt bien passée », estime Mariam Abou Zahab, spécialiste de la région Les candidats opposés à Karzaï travaillent à un « compromis à l’afghane » (Photo)

On redoutait un attentat et des violences de grande ampleur. C’est pourtant une crise politique qu’a engendrée le scrutin, samedi, pour la présidentielle afghane, 14 des 18 candidats demandant l’annulation du processus électoral en raison de fraudes. Hier, les tensions politiques semblaient néanmoins s’apaiser. Pour Mariam Abou Zahab, spécialiste de l’Afghanistan et chargée de cours à l’Institut d’études politiques de Paris et à l’Institut national des langues et civilisations orientales, l’heure est désormais aux négociations entre le président Karzai et les candidats de l’opposition afin de parvenir à un « compromis à l’afghane ». À la clé, les postes ministériels au sein du futur gouvernement. Le scrutin pour la présidentielle s’est déroulé dans un environnement « assez démocratique ». Tel est le constat dressé hier par le principal groupe d’observateurs électoraux en Afghanistan, la Fondation afghane pour des élections libres et justes. Un constat qui intervient au lendemain de l’appel lancé par 14 candidats à l’annulation du scrutin en raison de fraudes. « Nous avons constaté des interventions très claires dans ce processus électoral. Nos représentants à Kaboul et dans les provinces ont rapporté que des gens disposaient de plusieurs cartes d’électeur, ils ont vu des gens incitant les électeurs à voter pour Karzaï et faisant pression », déclarait ainsi samedi le candidat Abdul Satar Sirat. Des contestations ont également surgi à Kaboul, puis ailleurs, à propos de l’encre utilisée pour marquer le pouce de chaque électeur, destinée à éviter des votes multiples. Des employés électoraux ont, selon l’Onu, confondu une encre destinée à un autre usage, s’effaçant facilement, avec des marqueurs à l’encre indélébile. Il n’en fallait pas plus pour que certains candidats montent au créneau. « Il semble qu’ils étaient prêts à sauter sur n’importe quel problème », estimait hier John Sifton de l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch, cité par l’AFP. Dimanche, les candidats contestataires ont néanmoins baissé le ton, trois d’entre eux se disant éventuellement disposés à accepter les conclusions de la commission d’enquête. Pour comprendre ce revirement, souligne Mariam Abou Zahab, il faut se replacer dans le contexte afghan. « La modération du discours fait partie d’une négociation. La contestation est un moyen de faire pression sur Hamid Karzaï. Nous sommes dans le cadre d’un compromis à l’afghane dont l’enjeu est les postes ministériels », estime la chercheuse qui reconnaît toutefois que la crise est « potentiellement déstabilisatrice ». Reste un point d’interrogation concernant cette contestation : « Les deux candidats (Abdul Satar Sirat et Homayoon Shah Asifi) ayant critiqué le processus de la manière la plus virulente sont des proches de l’ancien roi Zaher Shah. » Or, ce dernier avait apporté un soutien, certes discret, au président Karzaï. Hier soir, le président sortant a rejeté avec vigueur toute nouvelle négociation avec ses opposants dans le cadre de la formation d’un futur gouvernement s’il venait à être élu. Mme Abou Zahab souligne en outre qu’« une annulation du scrutin ne serait pas positive. Étant donné le contexte, le scrutin s’est plutôt bien passé ». L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a de son côté souligné que la demande d’un nouveau scrutin, déposée par les candidats opposants, était « injustifiée ». Autre cause du changement de ton des candidats de l’opposition, l’attitude de la population envers ce scrutin. « Aujourd’hui, le taux de participation est impossible, logistiquement parlant, à déterminer. Mais, il est clair que les électeurs se sont plus déplacés que ce que l’on attendait. Ils ne se sont pas laissé impressionner par les nombreuses menaces précédant le scrutin », souligne Mme Abou Zahab en précisant qu’il s’agit du premier vote au cours duquel les Afghans peuvent influer sur le changement à la tête de l’État. Deux à trois semaines avant les résultats définitifs Réagissant aux accusations de fraudes, la commission électorale a décidé de diligenter une enquête dont le résultat sera rendu public ultérieurement. « Reste à savoir si cette décision interviendra avant ou après la présidentielle américaine », note Mme Abou Zahab. Un observateur étranger, cité par l’AFP, soulignait en outre que la commission était « juge et partie », car elle est aussi organisatrice du scrutin, ce qui pourrait ne pas faciliter le consensus autour de sa décision. « Tout dépendra des chiffres. Si Hamid Karzaï est élu avec un score proche de 50 %, la voie pourrait être ouverte à une contestation. S’il se détache clairement, ça passera », estime Mme Abou Zahab. La spécialiste du pays rappelle en outre que l’électeur afghan est « légitimiste ». « Dans la logique afghane, on légitime le pouvoir en place, on suit les ordres de vote du chef de tribu. Les Afghans peuvent ainsi voter pour Hamid Karzaï parce qu’il est au pouvoir et non parce qu’ils l’apprécient. » Il faudra néanmoins attendre entre deux et trois semaines pour avoir les résultats définitifs du scrutin. « Entre-temps, des camions et des ânes transportant les urnes seront détournés… », relève-t-elle. Les opérations de convoyage des urnes vers huit centres de dépouillement ont déjà coûté la vie à trois policiers afghans. Sur la scène internationale, l’heure était néanmoins à l’optimisme. Alors que le chancelier allemand, Gerhardt Schröder, attendu aujourd’hui à Kaboul, soulignait le caractère « pacifique de l’élection », George W. Bush présentait le scrutin comme une victoire de la démocratie et un succès diplomatique pour son administration. Sa conseillère pour la sécurité nationale, Condoleezza Rice, tout en reconnaissant l’existence de « difficultés » dans l’organisation de l’élection, estimait qu’« elles n’affecteraient pas la légitimité du scrutin ». Émilie SUEUR (avec AFP et Reuters)
On redoutait un attentat et des violences de grande ampleur. C’est pourtant une crise politique qu’a engendrée le scrutin, samedi, pour la présidentielle afghane, 14 des 18 candidats demandant l’annulation du processus électoral en raison de fraudes. Hier, les tensions politiques semblaient néanmoins s’apaiser. Pour Mariam Abou Zahab, spécialiste de l’Afghanistan et chargée de...