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Actualités - CHRONOLOGIE

Nada al-Nashif, survivante de l’attentat contre le QG de l’Onu en août 2003, revient sur son expérience et analyse l’actualité « Les Irakiens doivent prendre leur destin en main », estime l’ex-directrice des programmes du Pnud à Bagdad (photo)

Dans ses yeux percent la détermination et l’énergie de ceux qui ont donné un sens à leur vie. En dépit des épreuves, terribles, puisqu’elle a survécu à l’attentat contre le quartier général des Nations unies à Bagdad le 19 août 2003, Nada al-Nashif est fidèle au poste. Plus que fidèle, la représentante du coordonnateur résident du Programme des Nations unies pour le développement est engagée pour la cause du développement. Un peu plus d’un an après que le drapeau bleu de l’Onu à Bagdad ne vire tragiquement au rouge sang, Nada al-Nashif revient sur son expérience au sein des Nations unies en Irak et sur les leçons qu’il faut tirer, malgré tout, des tragédies. Et ce constat : « Les Irakiens doivent désormais prendre leur destin en main. » «Le rire est parfois une façon qu’a l’horreur de crever. » Nada al-Nashif aurait-elle fait sienne cette phrase de Romain Gary ? C’est en tout cas parée d’un superbe sourire que cette femme, qui a payé un lourd tribut à l’horreur, reçoit dans les bureaux du Pnud à Beyrouth. Le 19 août 2003, Nada al-Nashif travaille dans la fourmilière de l’hôtel Canal, quartier général des Nations unies à Bagdad. Une détonation, colossale, et le destin des centaines de salariés de l’organisation bascule. Beaucoup y laisseront la vie. Elle, et d’autres, survivront. Mutilés dans leur chair, mais aussi et surtout blessés à l’âme. Reste une cause à défendre, celle du développement. Une cause pour laquelle beaucoup, à l’instar de Nada al-Nashif, continuent de se battre avec passion. Car le développement est aussi un moyen de lutter contre tous les terrorismes qui ensanglantent le monde depuis quelques années. « Il n’est plus vrai de dire que les terroristes sont issus des milieux les plus défavorisés économiquement », souligne cette Palestinienne jordanienne, qui travaille au Liban depuis quatre ans après avoir été en poste en Libye et au siège des Nations unies à New York. « Le problème central, aujourd’hui, est la mauvaise gouvernance. Face à l’absence de système de représentation offrant une alternative et des perspectives d’avenir, certaines personnes se radicalisent car elles n’ont nulle part où aller. Le gouvernement n’étant plus capable de les absorber, elles décident de prendre les choses en main et passent de la désobéissance civile à l’action. » Violente en l’occurrence. « Voilà pourquoi les Nations unies travaillent beaucoup sur le thème de la bonne gouvernance, dans le cadre des programmes de développement, depuis la fin des années 90, en insistant sur la tenue d’élections, sur la nécessité de la transparence, l’indépendance du système judiciaire et une séparation claire des pouvoirs. » Les gouvernements, notamment arabes, comprennent-ils l’importance de l’enjeu ? « Nous faisons des progrès. En outre, nous privilégions les incitations internes. Les systèmes ne vont changer que si les populations réclament le changement et non si le Conseil de sécurité ou des pays tiers le décident pour elles. » Au lendemain de la chute de Bagdad, les États-Unis avaient lancé leur projet pour le Grand Moyen-Orient, un programme de réformes visant à démocratiser la région. Exploiter l’expérience locale Se concentrer sur ce que les acteurs locaux ont à proposer était également le cœur de la stratégie onusienne en Irak. « Notre stratégie est toujours de combiner le savoir local avec notre expérience globale. En ce qui concerne le rétablissement de l’économie irakienne, par exemple, il est illusoire de penser que l’on peut privatiser le système en une nuit. Au contraire, il faut écouter les acteurs locaux, comprendre où sont les points forts et les points faibles du système. Il ne faut pas arriver avec ses propres recettes dans l’intention de les plaquer sur le pays. En agissant ainsi, non seulement vous ne vous faites pas des amis, mais en plus vous méprisez complètement l’expérience locale », souligne la jeune femme. Exemple de la stratégie de l’Onu en Irak, une conférence rassemblant les femmes irakiennes devait être organisée fin août. « Aucune ONG nord-américaine n’aurait été présente. Nous voulions nous concentrer sur la grande expérience de ces femmes de terrain », souligne Mme Nashif. L’attentat a toutefois entraîné l’annulation de cette conférence. « La pire combinaison historique est celle de l’ignorance et de l’arrogance. Le développement requiert une certaine humilité. Nous n’allions tout de même pas réinventer la roue en Irak, une civilisation plusieurs fois centenaire ! » Confusion des genres L’attentat-suicide a coupé l’élan onusien. L’enlèvement, il y a plus de dix jours, de deux humanitaires italiennes a en outre provoqué le départ de plusieurs ONG d’Irak. En juin 2004, Médecins sans frontières, dont plusieurs membres ont été tués en Afghanistan, dénonçait la confusion des genres entre humanitaires et militaires, des soldats du contingent international se livrant, en tenue de combat, à des actions d’aides et de développement. Cette confusion est-elle également d’actualité en Irak ? « Nous devions effectivement compter sur les soldats américains pour notre protection. Assurer nous-mêmes notre sécurité aurait coûté plus de deux millions de dollars. Reste cette question : aurions-nous dû être présents à Bagdad ? Par le passé, il existait un certain continuum : la guerre, puis l’humanitaire, puis le développement. Aujourd’hui, ces étapes se télescopent. Mais, sur le dossier irakien, nous étions confrontés à une alternative simple : nous pouvions rester en dehors, observer de loin et gérer les conséquences. Nous pouvions également être un peu impliqués et donner un sens à tout cela. En tant qu’Arabe, je me suis demandé si je devais faire partie de cette farce, de cette occupation illégale. Mais j’ai plutôt pensé que j’avais là une opportunité rare d’apporter ma pierre à l’édifice. Aller à Bagdad était peut-être mieux que de laisser ma place à quelqu’un qui ne partageait pas mes principes. » À savoir créer les conditions pour un retour de la souveraineté irakienne. Mme Nashif reconnaît toutefois que l’Onu a peut-être fait preuve d’une certaine naïveté. « Nous pensions qu’en travaillant au développement, nous allions contribuer à améliorer la situation sécuritaire. Mais ce n’était pas le cas. Le 19 août, nous avons perdu notre innocence. » Guerre illégale Mercredi dernier, le secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan, qualifiait la guerre en Irak d’« illégale ». S’agissait-il là d’un préambule à une mise en retrait de l’Onu sur le dossier irakien ? « C’est une réaffirmation du fait que la situation empire. Un constat d’ailleurs également dressé aux États-Unis. C’est un signal pour mettre en garde contre les répercussions d’une décision qui n’a pas bénéficié du soutien de la communauté internationale », estime Mme Nashif. Aujourd’hui, l’Onu, qui n’a pas été capable d’empêcher cette « guerre illégale », a-t-elle, de toutes les façons, encore les moyens d’influer sur le cours des événements ? « Notre force nous est conférée par les États membres. Et ils ne nous en ont pas donné beaucoup. Reste l’autorité morale du drapeau bleu. Une autorité que nous ne perdrons pas et sur laquelle nous ne devons accepter aucun compromis. » Dix-huit mois après la chute de Bagdad, 130 000 soldats américains sont toujours en Irak, et pas un jour ne passe sans qu’une voiture piégée ne sème la mort, sans qu’un enlèvement n’ait lieu. Plus d’un an après l’attaque contre l’hôtel Canal, Nada al-Nashif, qui a perdu un doigt et subi de nombreuses blessures sur la partie gauche du corps, doit toujours passer sur la table d’opérations. Des regrets ? « Non. Cette proposition de travailler comme directrice du programme du Pnud pour l’Irak était un privilège. Le programme était énorme : près d’un million de dollars, une équipe de 700 personnes. En tant qu’Arabe, j’avais l’opportunité de faire quelque chose. » Pas de regrets donc, mais une douleur certaine. « Je suis anéantie par le fait que nous ayons perdu la possibilité d’agir là-bas. Je suis anéantie quand, un an plus tard, nous voyons toujours les mêmes scènes de carnage, des milliers de civils irakiens ont été tués. J’ai besoin de croire que cet attentat était un prix à payer pour que les choses aillent mieux. Que l’extrême violence de cet acte allait provoquer une prise de conscience, un tournant radical. En fait, cet attentat n’était que le premier d’une longue série. Il semble en outre que nous ayons perdu l’engagement international et que nous soyons plus divisés que jamais. Et ça, c’est dur. » Le temps est donc au pessimisme ? « Non, je suis fondamentalement optimiste, sinon je ne travaillerais pas dans le développement ! Et je crois fermement à la persévérance. Je pense qu’en fin de compte, quelque chose se produira. J’espère que les Nations unies vont pouvoir offrir une alternative, le plus tôt possible. Mais je crois qu’aujourd’hui, le peuple irakien doit prendre son destin en main. » Retournerait-elle en Irak ? « Aujourd’hui, non, la situation est trop chaotique. Mais nous pouvons faire beaucoup à partir des pays voisins, notamment du Liban qui bénéficie d’une grande expérience en matière de reconstruction. Et puis, je dois au moins au fait d’avoir survécu de montrer que j’ai appris quelque chose, de ne pas être stupide ! » lâche-t-elle dans un grand sourire. Toujours. Émilie SUEUR
Dans ses yeux percent la détermination et l’énergie de ceux qui ont donné un sens à leur vie. En dépit des épreuves, terribles, puisqu’elle a survécu à l’attentat contre le quartier général des Nations unies à Bagdad le 19 août 2003, Nada al-Nashif est fidèle au poste. Plus que fidèle, la représentante du coordonnateur résident du Programme des Nations unies pour le...