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Actualités - OPINION

PROJET SANNINE Deux avocats se prononcent sur le montage juridique

Le montage juridique imaginé pour réaliser le projet Sannine-Zénith-Liban repose sur l’émission de GDR qui permet de contourner la loi sur l’accès des étrangers à la propriété foncière au Liban. « L’Orient-Le Jour » publie à ce propos les commentaires juridiques de deux avocats. Ils sont tous deux d’accord pour dire que le montage n’est pas valide au regard du droit commercial libanais. Ce qui pousse l’un d’entre eux, Maître Adib Tohmé, à réclamer une adaptation de la loi aux besoins du monde des affaires. Une brèche dans le droit commercial libanais Par Adib Y. Tohmé* Afin d’être considérée comme une société purement libanaise au regard de la loi sur la propriété des étrangers et se procurer en même temps un financement en capital à travers l’émission de GDR sur les marchés étrangers, la société GFIC Real Estate Holding SAL a réalisé une dissociation complète entre le droit de vote et les autres prérogatives attachées à ces actions, émettant pratiquement deux types de certificats différents, des certificats de droit de vote et des certificats d’investissement sans droit de vote. Il s’agit ici d’apprécier la validité de l’émission par la holding de telles valeurs mobilières. Le code de commerce libanais ne prévoit que l’émission de valeurs mobilières classiques. Cependant, d’autres valeurs mobilières peuvent être créées par la pratique, à condition toutefois de ne pas contrevenir aux dispositions impératives ou d’ordre public contenues dans le code de commerce. Or, suivant l’article 116 du code de commerce, l’attribution du droit de vote à tout actionnaire est d’ordre public. Les actions sans droit de vote et à droit de vote restreint, ainsi que les certificats d’investissement sont interdits. En l’état actuel de la législation, en créant de telles valeurs mobilières, la société GFIC Real Estate Holding SAL contrevient aux dispositions d’ordre public de l’article 116 du code de commerce. Ce qui expose les fondateurs de la société et la banque émettrice des GDR à des actions en responsabilité civile et pénale. La justification de l’émission des GDR par l’existence d’une convention de croupier, c’est-à-dire la création d’une société en participation entre les détenteurs des droits de vote, les détenteurs des droits économiques et les détenteurs des GDR dont le but est le partage des bénéfices économiques résultant des actions, peut être une solution valable si le raisonnement juridique est poussé à son extrême. Néanmoins, au-delà du projet Sannine, le recours à la convention de croupier permet de justifier n’importe quelle construction juridique et une telle pratique engendre un risque considérable. Le projet Sannine-Zénith-Liban ouvre une brèche importante dans le système anachronique et rigide du droit commercial libanais où il convient pour le législateur, le juge et le praticien du droit des affaires de s’engouffrer. Après tout, l’innovation juridique doit répondre aux besoins de la société et des acteurs de l’économie. Parmi ces besoins, celui de trouver des sources de financement en capital pour le secteur privé est d’une extrême urgence. Malheureusement pour les praticiens, l’innovation juridique se heurte à un cadre légal et réglementaire stagnant, inadéquat et ambigu, ce qui rend hasardeux toute construction juridique. Le législateur a un rôle important à jouer ici. Il lui incombe de créer des lois spécifiques réglementant l’émission et la négociation par les sociétés commerciales de valeurs mobilières composées, à l’instar des banques qui sont autorisées par la loi n° 308 du 3 avril 2001 à émettre des actions à dividende prioritaire sans droit de vote et des stock-options. Il n’y a pas de raisons pour cantonner l’émission de telles valeurs mobilières aux institutions bancaires. La création de nouvelles valeurs mobilières pourra contribuer à mettre à la disposition des sociétés de nouveaux modes de financement et contribuer à attirer davantage de capitaux au Liban. Quel que soit son aboutissement, le projet Sannine-Zénith-Liban a créé un précédent. En poussant les autorités à créer un cadre légal et réglementaire clair, transparent et moderne (et non pas des statuts d’exception pour des projets déterminés), le projet serait alors un précédent heureux. * Avocat à New York et Beyrouth. L’émission de GDR prive la société émettrice de la nationalité libanaise Par Ghassan Souaiby * L’émission de ces GDR est-elle conforme avec la loi sur l’acquisition par des étrangers des droits réels immobiliers au Liban en vertu de laquelle les étrangers ne peuvent acquérir des biens-fonds au-delà d’un certain seuil fixé par la loi ? Selon l’article 2 de la loi, pour qu’une société soit considérée de nationalité libanaise, il faut que toutes ses actions soient détenues par des Libanais. Le problème se ramène donc à savoir si une société émettrice de GDR jouit de la nationalité libanaise. Ces titres sont en réalité des valeurs mobilières complexes qui représentent un certain nombre d’actions et constituent ainsi des titres de capital. (Cf. De Vauplane et Bornet, Droit des marchés financiers, n° 57, qui considèrent que les valeurs mobilières composées dont le sous-jacent correspond dès le départ à une action – comme les GDR – constituent des titres de capital). Le Code monétaire et financier, promulgué en France en 2000, classifie les titres représentatifs d’actions parmi les titres de capital. Ces titres sont facilement identifiables ; ils se distinguent des titres de créance, aux revenus fixes, par le caractère aléatoire de leurs rendements, tributaires des bénéfices de la société. Les GDR font partie intégrante du capital de la société qui les émet et leurs porteurs détiennent donc une partie de ce capital. De ce fait, il suffit qu’un seul porteur de GDR soit de nationalité étrangère pour que la société émettrice, considérée de nationalité non libanaise, soit soumise au seuil maximal d’acquisition foncière. Le recours à la subdivision des actions en actions à droits patrimoniaux et en actions à droit de vote ne rétablit pas la nationalité libanaise de la société. Cela, même si les actions à droit de vote de la société demeurent entièrement détenues par des Libanais. La condition de nationalité posée par l’article 2 s’applique indifféremment à toutes les actions de la société sans qu’il y ait lieu de distinguer entre actions à droits patrimoniaux et actions à droit de vote. En outre, la distinction entre actions à droits patrimoniaux et actions à droit de vote enfreint le principe d’égalité entre actionnaires, établi par les articles 104, 105 et 110 du code de commerce libanais (Cf. Tyan, Droit Commercial, t. I, n° 555). Au Liban, seules les banques peuvent déroger au principe d’égalité entre les actionnaires en vertu d’une loi spéciale (n° 308 du 3 avril 2001). La corrélation entre les GDR et les actions sous-jacentes remet en cause la nature véritable de celles-ci. Bien que nominatives et détenues par des Libanais, ces actions se transmuent dès leur affectation aux GDR en une catégorie atypique d’actions incompatible avec les dispositions de la loi. Du fait de leur imputation aux GDR, les droits rattachés à ces actions – détenues par les Libanais – dépendent largement des stipulations du contrat de dépôt conclu entre la société émettrice et la banque dépositaire. Dans la plupart des cas, celles-ci ont pour effet de démunir l’action sous-jacente de tous les droits qui lui sont attachés. L’actionnaire libanais porteur de ces actions devient ainsi une pure façade ayant pour unique fonction de permettre aux investisseurs étrangers de déjouer les dispositions de la loi. Si les apparences sont sauves, la vulnérabilité du montage sur le plan juridique demeure entière ; en fait, l’émission des GDR a pour effet de créer deux situations juridiques différentes : l’une apparente et fausse, l’autre déguisée et véritable. Cette simulation créée par l’interposition des actionnaires libanais, pour mettre en échec les dispositions impératives de la loi, rend toute l’émission des GDR sujette à annulation. Une telle issue serait catastrophique pour les investisseurs porteurs des GDR. * Chargé de cours à l’USJ – Avocat à la Cour.
Le montage juridique imaginé pour réaliser le projet Sannine-Zénith-Liban repose sur l’émission de GDR qui permet de contourner la loi sur l’accès des étrangers à la propriété foncière au Liban. « L’Orient-Le Jour » publie à ce propos les commentaires juridiques de deux avocats. Ils sont tous deux d’accord pour dire que le montage n’est pas valide au regard du droit...