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Viols massifs de femmes et de jeunes filles, villages brûlés, populations déplacées, massacres Amnesty dénonce les crimes de guerre perpétrés par Khartoum au Darfour (photo)

Février 2003, les rebelles de Darfour lancent leurs premières actions armées contre le régime de Khartoum. Le pouvoir central ne tarde pas à réagir et fait payer aux civils le prix de la révolte. Dix-huit mois plus tard, 10 000 morts plus tard, 1 million de déplacés plus tard, la communauté internationale commence à poser un œil inquiet sur le Darfour, une région grande comme la France située à l’ouest du Soudan. L’une des premières à avoir tiré la sonnette d’alarme, Amnesty International a déchiré un peu plus le voile qui couvre l’un des conflits les plus odieux de notre époque, avec la publication, hier à Beyrouth, d’un rapport intitulé « Le viol comme arme de guerre dans le Darfour, au Soudan ». «Une quinzaine de femmes et de jeunes filles ont été violées dans différentes maisons du village. Les janjawids (milices progouvernementales, NDLR) ont brisé les membres de plusieurs femmes et jeunes filles pour les empêcher de s’enfuir. » « Cinq ou six hommes nous ont violées, l’un après l’autre, pendant des heures, pendant six jours, toutes les nuits. Mon mari n’a pas pu me le pardonner, il m’a rejetée. » C’est à partir de ces témoignages, recueillis dans les camps de réfugiés du Tchad, et de rapports de l’Onu ainsi que d’ONG locales qu’Amnesty International a pu dénoncer, dans un rapport de 35 pages, l’utilisation massive et parfois systématique du viol comme arme de guerre dans le conflit opposant Khartoum aux rebelles du Darfour. « Nous avons relevé 500 cas de viols lors de notre enquête, souligne Bénédicte Goderiaux, membre d’Amnesty et spécialiste du Soudan, venue présenter le rapport à Beyrouth. Étant donné le tabou que représente cette question, le fait que nous n’ayons pas pu enquêter au Soudan faute de visa... nous pouvons affirmer que la pratique du viol est massive au Darfour. » Une pratique qui relève du crime de guerre et du crime contre l’humanité. Cette analyse, l’ambassadeur du Soudan au Liban ne la partage pas, qui a tenté de réduire la question du conflit au Darfour à une attaque en règle contre la communauté arabe, dernier chapitre en date de la fameuse théorie du complot. Villages brûlés ou désertés De quoi faire bondir une vraie spécialiste de la question, Julie Flint, qui revient d’un voyage au Darfour pour le compte de l’organisation Human Rights Watch. « J’étais au Darfour, cette région est vide ! Les villages ont été brûlés. J’ai visité une région de 60 kilomètres carrés. Sur les quatorze villages que j’y ai recensés, 11 étaient complètement détruits et trois désertés. » Dans les colonnes du New York Times, John Prendergast, conseiller au sein du groupe de réflexion International Crisis Group, a relaté, de son côté, avoir découvert de véritables charniers au Darfour. Mmes Flint et Goderiaux n’hésitent pas quand il s’agit d’attribuer la responsabilité de ces horreurs. « Tous les témoignages recueillis dans les camps concordent, les janjawids ont mené les attaques aux côtés des forces gouvernementales. On nous a raconté, à de multiples reprises, que les janjawids entraient à cheval dans les villages alors que les soldats envoyés par Khartoum les suivaient dans leurs jeeps. Il est également arrivé très fréquemment que l’aviation soudanaise bombarde un village avant, pendant ou après une attaque au sol par les janjawids. D’ailleurs, ces miliciens portent l’uniforme soudanais et utilisent des bazookas et des lance-roquettes », explique Mme Goderiaux. Comment ce que l’on appelle aussi les voleurs de vaches se sont-ils procuré ces armes, sinon avec l’aide de Khartoum ? Une rébellion nourrie par le désespoir Si l’on a tendance à ramener le conflit du Darfour à une opposition de type racial entre Soudanais d’origine africaine et Soudanais d’origine arabe, les données du problème sont plus complexes. « Le Darfour est une région très reculée du Soudan, une région traditionnellement fermée. La population y est majoritairement d’origine africaine et sédentaire. Comme le SPLA (la rébellion sudiste opposée à Khartoum, NDLR) d’ailleurs. C’est aussi pour cela que Khartoum a toujours été nerveux vis-à-vis de cette population. Au Darfour vit également une population d’origine arabe, semi-nomade, explique Mme Flint. Ces deux populations se sont, de tout temps, accrochées sur la question de l’eau et de la terre. Mais avant l’arrivée au pouvoir des islamistes, des règles très claires, héritées du mandat britannique, régulaient la cohabitation des deux groupes. » « Quand le gouvernement islamiste a pris le pouvoir dans les années 90, toutes ces règles ont été mises à bas. De nouvelles règles ont été instaurées qui ont modifié toute la société. Ces changements intervenant en outre en période de forte sécheresse, la tension est rapidement montée », ajoute-t-elle. La situation au Darfour était donc précaire bien avant février 2003. « J’ai dit un jour à un leader de la rébellion qu’il était responsable de ce désastre puisqu’il avait ouvert les hostilités. Il m’a répondu que les hostilités avaient été ouvertes depuis bien longtemps déjà, mais que le monde n’avait pas pris la peine d’y prêter attention. Un village que je connais a été brûlé 27 fois avant que les rebelles ne prennent les armes en février 2003. Ils ont lancé la rébellion par désespoir. C’était pour eux, peuple marginalisé de la périphérie du Soudan, la seule façon de se faire entendre », souligne Mme Flint. Ici réside l’une des leçons du conflit qui a opposé les rebelles du SPLA à Khartoum : seules les armes font assez de bruit pour que l’on soit entendu. 10 000 morts, plus d’un million de déplacés Là n’est pas pourtant l’unique influence du conflit Nord-Sud sur la question du Darfour. « Le dossier Nord-Sud a longtemps permis d’occulter la question du Darfour. Les Américains, qui voulaient absolument enregistrer une réussite au niveau de leur politique étrangère, se sont complètement impliqués sur ce dossier », rappelle Mme Flint. Et pour la réussite des négociations entre le SPLA et Khartoum, il valait mieux ne pas trop agiter la question du Darfour sous le nez du président Béchir. Mais le drame est devenu trop voyant. 10 000 morts. Plus d’un million de déplacés dont 120 000 au Tchad et 50 000 à la frontière tchadienne... La communauté internationale a dû ouvrir les yeux. Aujourd’hui, Amnesty International adresse un certain nombre de recommandations à Khartoum et à la communauté internationale pour le traitement du dossier, dont l’arrêt immédiat des attaques contre les civils, le désarmement des milices janjawids ou encore la mise en place d’une commission d’enquête internationale pour examiner la question des crimes de guerre. En avril dernier, alors qu’était signé un accord de cessez-le feu entre la rébellion du Darfour et Khartoum, ce dernier a annoncé la création d’une commission d’enquête nationale. Une décision qui laisse toutefois sceptiques les ONG. « Khartoum fait beaucoup de promesses. Mais de là à les transformer en actes... Nous savons, par l’un de ses membres, que cette commission ne s’est réunie que deux fois et qu’elle ne s’est toujours pas rendue au Darfour. Autre symbole de la mauvaise volonté du Soudan, le jour même de la visite du secrétaire général de l’Onu Kofi Annan au Darfour, l’aviation soudanaise bombardait un village ! Le Soudan plie souvent sous le poids de la pression internationale, mais il ne rompt pas », souligne Mme Goderiaux. Reste qu’aujourd’hui, il y a urgence. En raison des obstacles érigés par Khartoum devant les ONG pour l’envoi d’aide aux réfugiés, la famine menace. Et avec l’arrivée de la saison des pluies, le risque d’épidémie se fait de plus en plus fort. Médecins sans frontières a déjà tiré la sonnette d’alarme : si rien n’est fait rapidement, 350 000 personnes devraient mourir dans les neuf prochains mois. Ainsi l’on pouvait lire dans le dernier rapport de l’International Crisis Group sur le Soudan : « Une action urgente est nécessaire sur plusieurs fronts pour éviter que “Darfour 2004” rejoigne “Rwanda 1994” au rang des abréviations de la honte internationale. » Émilie SUEUR
Février 2003, les rebelles de Darfour lancent leurs premières actions armées contre le régime de Khartoum. Le pouvoir central ne tarde pas à réagir et fait payer aux civils le prix de la révolte. Dix-huit mois plus tard, 10 000 morts plus tard, 1 million de déplacés plus tard, la communauté internationale commence à poser un œil inquiet sur le Darfour, une région grande comme la...