Rechercher
Rechercher

Actualités

Société - À Jbeil, l’Astuha au service des enfants aux besoins spéciaux La Maison de Christian, ou le courage d’une femme face au malheur

La Maison de Christian. Ce n’est pas un nouveau bistrot qui vient d’ouvrir ses portes ou encore une garderie pour des tout-petits brillants et épanouis. C’est le nom que porte un local qui abrite des enfants aux besoins spéciaux, relevant de l’Astuha (Association des tuteurs des handicapés). Situé dans la localité de Jdayel (caza de Jbeil), c’est le seul centre du genre dans la région. Souvent il faut beaucoup de courage pour accepter le fait de ne pas avoir un enfant parfait, ou simplement un nouveau-né qui ressemble aux autres. Certains s’arment d’énergie et de ténacité, et décident d’en faire leur cause. Saïdeh Karam Saliba, fondatrice et présidente d’Astuha, fait partie de ceux-là. Saïdeh a trois enfants : Georges, 15 ans, Christian, 13 ans – un enfant aux besoins spéciaux –, et Assaad, 9 ans. En octobre 2001, après avoir obtenu un permis du ministère de l’Intérieur, Saïdé ouvre les portes de son association. La jeune femme et son époux Antoine, électricien, ont décidé de quitter leur propre maison, de louer un appartement et de se mettre au travail. Le local sera tout de suite baptisé La Maison de Christian. Dès l’ouverture, la petite institution reçoit une quinzaine de locataires, des pensionnaires et des demi-pensionnaires. Des enfants aux besoins spéciaux qui bénéficient d’un programme leur permettant d’être plus indépendants et de la présence de plusieurs spécialistes, notamment deux psychologues et un orthophoniste. Très vite, l’association reçoit deux donations de l’ambassade du Canada, s’élevant à environ 10 000 dollars, pour des travaux de construction et l’achat d’équipement. Et le ministère des Affaires sociales se charge de verser des aides annuelles pour subvenir aux besoins d’une dizaine d’enfants. En 2003, le ministère suspend son apport. Et comme beaucoup de parents manquent de moyens, ils préfèrent ne plus envoyer leurs enfants à La Maison de Christian, une bâtisse coquette, entourée d’un jardin fleuri parsemé de balançoires et de bancs multicolores. Actuellement, ils ne sont plus que cinq, dont le petit Christian, qui souffre d’un lourd retard mental, d’une déformation physique et d’un léger autisme. Il y a aussi Khodr et Georges. Khodr est âgé de douze ans. Avant d’arriver là, il avait séjourné dans d’autres centres relevant de plusieurs associations. Comme il habite loin, il fait partie des pensionnaires internes de l’Astuha. Son père, Mahmoud, l’accompagne à Jbeil tous les matins et le ramène à Tripoli le vendredi soir. Mahmoud a choisi de placer son fils auprès d’Astuha parce que « c’est le centre le plus proche de Tripoli et parce que le personnel s’occupe bien des enfants ». « La distance n’est pas importante. Si mon fils ne bénéficiait pas des soins adéquats ici, je l’aurais placé quelque part à Beyrouth », ajoute-t-il. Depuis son arrivée, il y a trois ans, Khodr, qui est entre autres hyperactif, a appris à formuler des phrases. Content parce qu’on se sent utile Georges a 8 ans et demi. Il est arrivé l’été dernier à La Maison de Christian, où il passe six heures par jour. Son père Ghattas raconte que son fils a tout appris auprès d’Astuha. « Maintenant, il peut s’habiller seul, s’exprimer par des phrases, maîtriser mieux l’espace qui l’entoure et colorier correctement », indique-t-il, satisfait d’avoir placé Georges à Jdayel, pas très loin de chez lui. Mis à part les enfants, deux adultes aux besoins spéciaux passent leurs journées au centre. Albert, qui a trente ans et habite à Okaïbé, effectue des travaux de jardinage et passe la moitié de son temps à l’atelier, où il apprend la couture. Sa mère, Sabah, l’accompagne tous les jours. En plaçant là son fils, elle a gagné un emploi : désormais, elle s’occupe des travaux ménagers du centre. Le mari de Sabah est malade et elle a besoin d’argent pour lui assurer des soins. Avant cela, Albert n’avait jamais fréquenté un centre pour les personnes aux besoins spéciaux. Il passait son temps avec sa mère. Il raconte qu’il est plus content actuellement, car « il rencontre des gens et il apprend à travailler ». Rafqa a 19 ans. Atteinte de trisomie 21, elle est en simple visite. Rafqa, qui est la sœur de Saïdeh, fondatrice d’Astuha, fréquente une école spécialisée à Zghorta. Mais la jeune fille, qui répond avec un grand sourire aux questions de ses interlocuteurs, indique qu’elle préfère rester avec sa sœur, expliquant qu’à La Maison de Christian « elle apprend la couture à l’atelier ». « J’aime surtout me reposer sur la balançoire ou encore jouer au puzzle », dit-elle. Quelle est donc l’histoire de cet atelier de couture ? C’est pour financer l’association que Saïdeh Karam Saliba a décidé de le créer. « L’atelier figurait dans notre programme ; nous en avons avancé le démarrage il y a quelques mois ; nous travaillons surtout sur commande », raconte la fondatrice de l’association, soulignant qu’elle a également engagé une couturière. Karam-Saliba a aussi loué un magasin afin de pouvoir vendre les produits confectionnés, notamment des draps et des nappes. « Il faut un minimum de 2 000 dollars par mois pour assurer le fonctionnement du centre. L’aide du ministère ne couvrait certes pas tous nos frais, nous avons toujours envisagé d’ouvrir un atelier. D’ailleurs, dans ce genre de travail, il faut penser à la continuité », indique Saïdeh Saliba. La fondatrice de l’association fait partie de ces femmes fortes qui ne baissent jamais les bras devant le malheur ou l’adversité. Pourquoi l’Astuha ? « Parce que tous les centres du Liban avaient refusé de s’occuper de Christian, estimant qu’il était un cas trop difficile pour eux », dit-elle. Et d’ajouter : « Ils ne m’ont jamais dit ça en face, mais à chaque fois je recevais la même réponse : il n’y a pas de place vacante. » « À un moment, j’étais tellement désespérée que j’ai sérieusement envisagé d’émigrer en France », poursuit-elle. Saïdeh Saliba ne mâche pas ses mots ; elle n’a pas peur de dire tout haut ce que beaucoup de personnes pensent tout bas. « Ce n’est pas facile de vivre avec les regards de la société braqués sur vous, surtout dans un village où les gens refusent d’accepter la différence et préfèrent qu’on ne leur montre pas des handicapés », dit-elle. Accepter sans se poser de questions et agir La fondatrice d’Astuha a eu du mal à trouver un local capable de recevoir des enfants aux besoins spéciaux. « Au village, ils ne voulaient probablement pas d’un tel centre à proximité de leurs maisons. J’ai donc fait le chemin inverse : mon mari et moi avons transformé notre propre maison en local relevant de l’association, et nous avons loué un appartement ailleurs », raconte-t-elle. D’où le nom, La Maison de Christian. Saïdeh, qui a suivi des études de droit avant de se marier, indique : « Si des célibataires pensent qu’un jour ils auront un enfant handicapé, ils n’envisageront jamais de se marier. » « Les personnes qui n’ont pas vécu ce genre d’expérience sont incapables d’imaginer à quoi ça ressemble », dit-elle, expliquant qu’un « enfant à besoins spéciaux mobilise toute sa famille, au point que la vie de couple n’existe plus et que ses frères et sœurs sont relégués au deuxième plan ». « Ces enfants doivent passer du temps hors de chez eux, avec des spécialistes capables de les aider, et tous n’ont pas cette chance », note-t-elle. Elle-même a vécu dans une famille composée de plusieurs enfants et d’une petite fille aux besoins spéciaux, sa sœur Rafqa. « Oui, Rafqa ne souffre pas du même handicap que mon fils ; Christian est presque autiste, il ne parle pas, il a appris récemment à marcher. Ma sœur est indépendante. Parfois, la vie vous réserve ce genre d’expérience. Il ne faut surtout pas se poser des questions mais agir », indique Karam-Saliba. Elle a pris son courage à deux mains. Alors que Christian était tout petit et que toutes les portes des associations lui ont été fermées, elle s’est occupée de lui en lui inventant des exercices et en essayant de comprendre comment son cerveau fonctionnait. Elle a emprunté, photocopié et étudié tous les cours d’une voisine qui suivait des études de psychologie à l’université. Puis elle a décidé de fonder son association. Une fois obtenu le permis du ministère de l’Intérieur, elle effectue en France un stage intensif de trois mois. De retour au Liban, elle frappe à toutes les portes et parvient à financer son projet. Plus rien ne lui échappe. Du programme qu’il faut appliquer aux enfants aux besoins spéciaux à la gestion financière, en passant par la nouvelle loi sur les droits des handicapés qu’elle connaît par cœur. « Certes, la situation de mon fils, de ma sœur et de mon beau-frère, qui est schizophrène, a modelé ma personnalité. Mais je ne lutte pas seulement pour eux, pour ma propre famille », dit-elle. « Je sais qu’il existe des centaines de personnes au Liban qui vivent une situation comparable à la mienne. Il est donc nécessaire de trouver une place dans la société pour tous les handicapés », explique-t-elle. « Ceux qui ont des retards légers sont capables de travailler et ils aiment se sentir utiles. D’autres n’ont pas cette chance, et ce n’est pas seulement aux familles d’assumer la responsabilité. L’État devrait mettre la main à la pâte », dit-elle. Elle pense surtout à son fils. « Un jour, mon mari et moi-même allons vieillir ; mes fils ne pourront pas ou ne voudront pas s’occuper de leur frère, ce qui est normal. Il faut donc que l’État prenne la relève en assurant par exemple toutes les dépenses d’un handicapé et en mettant en place des centres, et non des asiles, où ces êtres humains sont véritablement aimés », souligne-t-elle. Le mot humain choque un peu. Mais Saïdeh Karam-Saliba est une femme qui ne ment pas. Elle a appris à appeler les choses par leur nom, à dénoncer les injustices. Elle a appris à lutter pour elle, son couple, ses enfants, son fils Christian surtout, et toutes les personnes handicapées dont la dignité humaine est souvent bafouée. Patricia KHODER
La Maison de Christian. Ce n’est pas un nouveau bistrot qui vient d’ouvrir ses portes ou encore une garderie pour des tout-petits brillants et épanouis. C’est le nom que porte un local qui abrite des enfants aux besoins spéciaux, relevant de l’Astuha (Association des tuteurs des handicapés). Situé dans la localité de Jdayel (caza de Jbeil), c’est le seul centre du genre dans la...