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Enquête - Le dossier des diplomates iraniens disparus en 1982 s’impose dans la seconde phase des négociations Une escorte qui s’est évaporée et une Mercedes retrouvée vide : des éléments à creuser...

Le 4 juillet 1982, une affaire jamais élucidée a longtemps empoisonné les relations entre le Liban et la République islamique d’Iran. L’armée israélienne avait envahi le Liban depuis moins d’un mois et la situation y était des plus chaotiques. Mais dans un souci de solidarité avec notre pays qui abrite une importante communauté chiite, l’Iran avait demandé à quatre de ses diplomates de se rendre à Beyrouth pour rouvrir la chancellerie, fermée depuis l’invasion. Le chargé d’affaires Mohsen Moussawi et trois autres diplomates quittent donc Damas pour Beyrouth, le dimanche 4 juillet au matin, en empruntant la route côtière, via Tripoli, sous bonne escorte du service de protection des ambassades. À peine traversent-ils le barrage de Barbara, tenu alors par les Forces libanaises, que leur trace est perdue. Aujourd’hui, pour que la seconde phase de l’accord entre le Hezbollah et Israël grâce à la médiation allemande réussisse, c’est leur sort qu’il faut connaître. Retour sur les faits. En juillet 1982, le Liban était dans la tourmente et l’État semblait dépassé par les événements. Les soldats israéliens se trouvaient à Baabda et l’armée nationale se repliait dans ses casernes. Le pays était plus divisé que jamais et ses choix stratégiques flous. Mais une chose était sûre, c’est que la République islamique d’Iran n’y était pas en odeur de sainteté. Car si le Liban était secoué par un véritable séisme, l’Irak et l’Iran étaient aussi en guerre et la sympathie des Arabes allait indéniablement à l’Irak, y compris celle des chrétiens libanais, choqués de l’intervention directe de l’Iran, à travers ses gardiens de la Révolution, auprès de certains groupuscules chiites, à Baalbeck et ailleurs. C’est sans doute dans ce climat général confus et chaotique qu’il faut chercher l’explication du fait que la disparition des quatre diplomates iraniens n’ait fait l’objet que de vagues entrefilets dans la presse de l’époque. Les journaux avaient, par contre, accordé bien plus d’importance à l’enlèvement d’un évêque grec-catholique, Mgr Zoghbi, à Talia, dans la Békaa, avec deux prêtres, quatre militaires et quatre civils. Cette opération revendiquée par Hussein Moussawi, alors chef d’un groupuscule dissident d’Amal et évoluant dans la mouvance iranienne, apparaissait comme une riposte à la disparition des diplomates iraniens. Un contexte mouvementé et des enlèvements quasi quotidiens Suite à des contacts intensifs, l’évêque et les deux prêtres ont été libérés le 10 juillet à Nabi Chit, fief des Moussawi, et le groupuscule dissident d’Amal a réclamé la libération des diplomates iraniens. C’est dire dans quel contexte complexe a eu lieu cette disparition. L’enquête menée par les services de l’État à l’époque avait montré que les diplomates envoyés au Liban à la demande de sayyed Ali Akbar Mohtachémi, alors ambassadeur d’Iran en Syrie, avaient demandé une escorte de l’armée et l’avaient obtenue, dans le cadre de la brigade chargée de la protection des ambassades. Mais il n’a plus jamais été question, dans la presse, en tout cas, de cette escorte, alors qu’il devrait être possible de retrouver les soldats envoyés pour cette mission officielle. Tout ce que la presse a déclaré, à l’époque, c’est que quatre jours après l’enlèvement des diplomates, le jeudi 8 juillet, une Mercedes dotée d’une plaque diplomatique, appartenant à l’ambassade d’Iran, a été retrouvée à Tripoli, vide, mais avec des passeports au nom des diplomates disparus. Comme si on voulait laisser croire que les diplomates avaient été enlevés dans la capitale du Nord. Dans la presse de l’époque, occupée par une actualité particulièrement mouvementée, notamment la préparation de l’évacuation de Beyrouth des combattants palestiniens, l’affaire n’a provoqué aucune polémique. Même les autorités iraniennes ont mis du temps à réagir officiellement, et ce n’est que le 18 juillet que le ministre iranien des Affaires étrangères, M. Ali Akbar Wélayati, a officiellement protesté, rendant le gouvernement libanais responsable de l’enlèvement des diplomates, puisqu’il a eu lieu malgré la présence d’une escorte militaire. Ces accusations avaient entraîné une rupture des liens diplomatiques entre le Liban et l’Iran, à l’initiative de Beyrouth, pour une période de deux ans. L’enlèvement de Terry Waite rouvre le dossier Ce n’est que cinq ans plus tard que les Forces libanaises ont été directement et ouvertement mises en cause, par la diplomatie iranienne, suscitant un vif démenti de la part de cette formation, publié dans la presse le 21 mars 1987. À cette époque, l’archevêque de Canterbury, Robert Runcie, avait proposé aux Iraniens de tenter une médiation auprès des FL puisque son émissaire, Terry Waite, travaillait déjà sur le dossier des otages. Les Iraniens avaient accueilli favorablement la démarche, mais, manque de chance, Terry Waite était enlevé à son tour. M. Kamal Kharazi, qui n’était alors que le directeur de l’agence nationale iranienne, avait déclaré que l’enlèvement de Terry Waite est lié « aux efforts de Mgr Runcie en faveur de la remise en liberté de quatre otages iraniens détenus par les phalangistes libanais depuis 1982 ». M. Kharazi avait aussi ajouté : « Si Mgr Runcie est désireux de faire quelque chose à ce propos, nous pourrions user de notre influence auprès des musulmans libanais pour libérer les otages occidentaux du Liban. » La déclaration est sans équivoque, mais la confusion redevient totale, au moment de la libération des otages occidentaux et même de Terry Waite, en 1991, alors qu’il n’y a eu aucune nouvelle des diplomates iraniens. Les pressions internationales étaient-elles donc si puissantes que les Iraniens ont dû céder sans obtenir ce qu’ils réclamaient depuis longtemps ? Ou bien ont-ils conservé une carte maîtresse qui leur donne la possibilité de connaître un jour le sort de leurs diplomates disparus ? Cette carte pourrait être, par exemple, malgré les dénégations officielles, des informations sur le sort du pilote israélien disparu en 1986, Ron Arad... On comprendrait mieux alors pourquoi, soudain, toutes ces affaires reviennent sur le tapis, dans le cadre de la seconde étape de l’accord entre le Hezbollah et Israël. Le puzzle semble en tout cas se reconstituer. Même s’il reste beaucoup de zones d’ombre. Pakradouni : Des indications sérieuses Car, comme il y a un mystère Ron Arad, il y en a aussi un pour les diplomates iraniens. Comme le dit le ministre du Développement administratif, M. Karim Pakradouni, qui a promis de faire de son mieux pour que la vérité éclate, depuis la période mouvementée où a eu lieu l’enlèvement des diplomates, beaucoup de personnes qui auraient pu savoir quelque chose ont disparu, sont en prison ou encore en exil. Ce qui l’étonne toutefois, c’est qu’à l’époque des faits, cheikh Béchir Gemayel, dont il était très proche, n’ait jamais mentionné cet événement devant lui. « Il était sans doute occupé par sa campagne présidentielle, dit-il. Mais jamais cette histoire n’a été évoquée devant moi. » L’affaire pourrait donc n’avoir été qu’une triste erreur. Les diplomates ayant été arrêtés au barrage de Barbara, puis envoyés au quartier général des FL, un dimanche après-midi, auraient pu être liquidés par des gardes trop entreprenants. Le chef du service de sécurité des Kataëb, Boutros Khawand, ayant été enlevé dans le cadre de cette affaire, selon certaines sources, les rares témoins de cette tragédie n’osent plus ouvrir la bouche. Pakradouni qui précise que les Iraniens ont refusé de parler avec tous les dirigeants Kataëb, à cause de cette affaire, estime qu’ils ont fait un grand pas en le recevant à Téhéran, au cours de l’automne dernier. « C’était un signe d’ouverture, et le président Khatami a clairement souhaité fermer ce dossier, pour les familles iraniennes, mais aussi pour le Liban. » Les autorités iraniennes sont en train de faire assumer aux Israéliens la responsabilité de l’enlèvement, officiellement parce que les soldats de l’État hébreu occupaient le Liban, à l’époque, mais surtout pour ne pas mettre le Liban en difficulté. Elles souhaitent qu’en contrepartie, l’État et les Kataëb donnent un coup de main sérieux pour que toute la lumière soit faite sur cette affaire. Karim Pakradouni mène déjà ses propres investigations, grâce à ses contacts avec certains anciens acteurs au sein des FL. Actuellement, deux thèses s’affrontent : Samir Geagea affirme qu’Élie Hobeika, alors responsable de la sécurité, aurait liquidé les diplomates dès leur enlèvement ; et les partisans de Hobeika déclarent que c’est au contraire Samir Geagea, qui contrôlait alors le barrage de Barbara, qui les aurait enlevés avant de les envoyer en Israël. Mais il y avait aussi des responsables locaux qui auraient pu agir de leur propre chef. Le dossier étant devenu un enjeu politique au sein de la formation chrétienne, il est de plus en plus difficile de connaître la vérité. « Ce qu’il faudrait, déclare Pakradouni, c’est tenter de reconstituer les faits et recueillir les témoignages des divers acteurs, en toute liberté et sans toile de fond politique. Je vais essayer de le faire, grâce à mes contacts personnels avec d’anciens compagnons, en les assurant d’abord de la plus totale discrétion. Il n’est ici ni question de vengeance ni de procès pour rendre justice. Je possède déjà des indications sérieuses et je crois que je suis en mesure d’aboutir à un résultat concret. S’ils ont été liquidés au Liban, il doit être possible de retrouver le lieu où ils ont été enterrés ; et s’ils ont été envoyés en Israël, il doit aussi être possible de retrouver leur trace, dans le cadre des négociations via les Allemands. Mais tout doit se faire dans la plus grande discrétion, pour permettre à ceux qui savent quelque chose de le dire en toute tranquillité. » S’il parvient, comme il l’espère, à authentifier les éléments en sa possession, Karim Pakradouni les remettra à l’État, qui mène de son côté ses propres investigations. Les Iraniens souhaitent obtenir des éléments concrets qui leur permettraient de clore le dossier. Vingt-deux ans après le drame, les pages de la guerre reviennent hanter les divers protagonistes. On n’échappe certes pas à son passé, mais on peut, en tout cas, essayer de le surmonter. Scarlett HADDAD
Le 4 juillet 1982, une affaire jamais élucidée a longtemps empoisonné les relations entre le Liban et la République islamique d’Iran. L’armée israélienne avait envahi le Liban depuis moins d’un mois et la situation y était des plus chaotiques. Mais dans un souci de solidarité avec notre pays qui abrite une importante communauté chiite, l’Iran avait demandé à quatre de ses...