Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

Place de l’Étoile - Le débat autour des articles 60 et 70 de la Constitution reprendra lundi prochain Confusion et divergences de vues parlementaires autour de la procédure de jugement des membres de l’Exécutif

Il faudra attendre lundi prochain pour savoir quelle interprétation la Chambre donnera aux articles 60 et 70 de la Constitution sur le jugement des présidents de la République, des présidents du Conseil et des ministres, devant la Haute Cour. Une seule séance n’a pas suffi au Parlement, hier, pour trouver la formule susceptible de dissiper l’ambiguïté des deux textes – principale cause, selon le ministre de la Justice, Bahige Tabbarah, « des jurisprudences contradictoires » dans les affaires Siniora et Barsoumian – au sujet de l’autorité habilitée à juger un ministre pour des faits qui lui sont reprochés, lorsqu’ils sont à caractère pénal. Si les divergences de vues apparues hier venaient à persister au cours de la réunion de lundi, il n’est pas dit que l’Assemblée pourra trancher sur le point de savoir si ce sont les tribunaux ordinaires ou la Haute Cour qui doivent juger un président de la République, un chef de gouvernement ou un ministre coupables, durant l’exercice de leurs fonctions, d’actes passibles de peines prévues dans le code pénal. C’était ce point qui était hier au cœur du débat, un débat aussi confus que l’interprétation donnée aux deux articles constitutionnels sous examen, puisqu’il a montré que pour beaucoup de députés, l’objectif de la réunion, que le président de la Chambre Nabih Berry a dû rappeler à trois reprises, n’était pas bien précis. Débat politique aussi, puisqu’il a permis de dénoncer une politisation de dossiers judiciaires et de revenir sur le thème de l’autonomie de la justice par rapport au pouvoir politique, mis en relief notamment par MM. Boutros Harb et Hussein Husseini. « Le problème principal réside dans les nombreuses pressions exercées par le pouvoir sur la justice, que nous n’avons toujours pas rendue indépendante », a déclaré le député de Baalbeck. Pour schématiser, il semble que la Chambre soit divisée en trois camps principaux : il y a ceux qui pensent que des membres de l’Exécutif soupçonnés d’avoir commis des actes sanctionnés par la loi (meurtre, falsification ou usage de faux, détournement de fonds, abus de pouvoir...) doivent être jugés devant les tribunaux ordinaires. Il y a ceux qui estiment qu’ils doivent, au contraire, être déférés devant la Haute Cour, car leurs actes sont liés à l’exercice de leurs fonctions. Il y a enfin ceux qui croient que la juridiction ordinaire et la Haute Cour peuvent, l’une ou l’autre, se saisir de ce genre d’affaires. Mais le débat n’a pas porté sur ce seul point. Il fallait aussi savoir s’il appartient ou non à la Chambre d’interpréter un texte de la Constitution, déterminer la valeur et l’opportunité de cette interprétation et surtout juger si les articles 60 et 70 ont besoin d’être interprétés (ce qui n’est pas le cas, par exemple, pour M. Mikhaël Daher, président de la commission parlementaire de l’Administration de la Justice). On comprend dès lors pourquoi une réunion de cinq heures n’était pas suffisante pour déboucher sur une conception unifiée des articles 60 et 70 de la Constitution. Avant que le débat ne commence, MM. Hussein Husseini et Robert Ghanem relèvent des questions de procédure. Pour M. Husseini, il ne s’agit pas d’interpréter la Constitution, mais d’engager un débat autour des articles sous étude, alors que M. Ghanem estime qu’il ne faut pas paver la voie à des interprétations de la Constitution, la Loi fondamentale étant expliquée par les autorités qui l’appliquent. « Une des réunions les plus importantes » M. Berry n’est pas tout à fait de cet avis : « Notre réunion est sans doute une des plus importantes que nous tenons. Ce qui m’importe, c’est l’interprétation des deux clauses, afin que la Chambre ne puisse pas, un jour, être blâmée pour ce qu’elle a fait. Nous devons savoir quand nous pouvons intervenir et quand nous ne le pouvons pas, ce qui nous évitera de nous mêler des affaires de la justice », a-t-il dit, avant que le chef du gouvernement, Rafic Hariri, ne constate une confusion dans le débat « qui porte aussi bien sur les lois qui doivent être appliquées lorsqu’un membre de l’Exécutif commet un crime que sur l’autorité chargée du jugement, alors qu’il doit strictement porter sur l’organisme habilité à juger cette personne ». Pour lui, il faut réviser la loi 13/90 sur la procédure de mise en accusation devant la Haute Cour. La parole est ensuite donnée à M. Harb dont l’intervention constitue une véritable plaidoirie, mais à portée politique. L’introduction l’est en tout cas. « Nous avons réclamé la convocation de cette réunion parce que nous refusons que la justice soit l’otage de tiraillements politiques et que des dossiers judiciaires soient ouverts ou clos sur commande, afin que les gens du pouvoir puissent régler leurs comptes avec leurs adversaires », déclare-t-il. M. Harb brosse en quelque sorte un tableau du paysage politique qui marque le pays depuis des années. « Nous refusons que ce soit l’équilibre des forces politiques qui donne leur sens aux textes juridiques et constitutionnels et qui neutralise la justice et les responsabilités pénales des hommes politiques », ajoute-t-il, avant d’expliquer ce qu’il entend par cette réflexion : « Nous assistons aujourd’hui à une pièce de théâtre avec deux tableaux contradictoires : dans le premier, un ministre (Chahé Barsoumian) est poursuivi devant le Parlement, depuis que les assises de Beyrouth se sont déclarées incompétentes pour le juger, parce qu’il est accusé d’actes criminels liés à l’exercice de ses prérogatives ministérielles. Dans le deuxième, un autre ministre (Ali Abdallah), accusé d’actes similaires, est poursuivi devant les tribunaux ordinaires, qui se sont déclarés compétents pour le juger. » M. Harb se prononce ensuite pour l’interprétation des deux articles, estimant que les textes constitutionnels sont généralement flous, leurs auteurs n’ayant pu – et pour cause... – prévoir toutes les situations appelées à se présenter à l’avenir. Regardant droit dans les yeux M. Mikhaël Daher, opposé à cette procédure qu’il juge anticonstitutionnelle, il souligne la nécessité de trancher un débat « nuisible, qui a gravement porté atteinte à notre système » démocratique. Il pose la problématique qui alimente le débat depuis que l’ancien ministre du Pétrole, Chahé Barsoumian, et le ministre des Finances, Fouad Siniora, ont été accusés il y a quelques années de dilapidation de fonds publics et il relève « la confusion et les contradictions » dans lesquelles les autorités judiciaires sont plongées du fait des divers cas de figure qui peuvent se présenter. « Des immunités illogiques » M. Harb est résolument en faveur d’un jugement des membres de l’Exécutif devant les tribunaux ordinaires, qu’il juge parfaitement compétents pour poursuivre un ministre ayant commis des actes sanctionnés par la loi. Il fait état de jurisprudences selon lesquelles les crimes cités dans le code pénal, tels que la corruption, l’abus de pouvoir, le détournement de fonds, les atteintes à la liberté, et qui ont été commis par un ministre, ne sont pas directement liés à l’exercice de la fonction de ministre ou de chef de gouvernement et sont jugés par la juridiction ordinaire. Pour le député de Batroun, « tout élargissement de la notion de “manquement grave aux devoirs de la fonction de ministre” peut conférer aux membres de l’Exécutif des immunités illogiques qui empêcheraient leurs poursuites pour des crimes prévus dans le code pénal, ce qui va à l’encontre de tous les principes constitutionnels, notamment du principe de l’égalité de tous devant la loi ». M. Ghassan Moukheiber est du même avis, sauf qu’il s’empêtre dans ses explications au sujet de l’autorité habilitée à interpréter la Constitution, au grand agacement du président de la Chambre, surtout lorsqu’il affirme qu’il appartient aux tribunaux ordinaires de se prononcer sur les pétitions parlementaires de mise en accusation et qu’il appartient au Conseil constitutionnel d’interpréter la Constitution. Si le vice-président de la Chambre, Élie Ferzli, est du même avis que M. Harb au sujet de l’importance de la séance, il n’en demeure pas moins qu’il pense, contrairement au député de Batroun, que tous les crimes liés à l’exercice de la fonction de ministre doivent être jugés par la Haute Cour et non pas par la juridiction ordinaire. M. Ferzli, qui partage le point de vue de M. Daher selon lequel les textes des articles 60 et 70 sont clairs et ne doivent pas être interprétés, met l’accent sur le climat politique négatif dans lequel ce débat a lieu et souligne que si une protection politique doit être assurée à un ministre passible de sanctions pénales, c’est au niveau de l’enquête qu’elle se situe et non pas dans la phase de jugement. Pour lui, l’ambiguïté des articles 60 et 70 peut être dissipée à la faveur de l’examen de la procédure de mise en accusation devant la Haute Cour. Après M. Walid Eido, qui juge qu’une interprétation des deux textes est nécessaire, c’est au tour du président de la commission de l’Administration et de la Justice de prendre la parole. M. Daher défend son point de vue, soulignant que chaque autorité amenée à appliquer la Constitution peut interpréter les articles sur lesquels elle doit se fonder pour donner un avis et qu’une interprétation de la Loi fondamentale par la Chambre commande le vote d’une loi constitutionnelle. Il estime aussi qu’un ministre est déféré devant la Haute Cour lorsqu’il est l’auteur d’un fait qu’il n’aurait pas pu commettre s’il n’était pas membre de l’Exécutif, abstraction faite de ce que le code pénal peut prévoir. M. Mohammed Fneich considère que l’article 60 est clair alors que l’article 70 est flou dans la mesure où il accorde, selon lui, des prérogatives supplémentaires au Parlement et autorise les tribunaux à poursuivre un ministre pour un crime commis. Pour lui, ce qui doit être explicité, c’est la notion de « manquement grave aux devoirs de la charge », qui justifie le jugement d’un membre de l’Exécutif devant la Haute Cour. M. Fneich préconise le vote d’une loi définissant cette notion, partant du principe qu’un ministre peut être jugé par la Haute Cour ou par les tribunaux ordinaires, suivant les actes qu’il a commis. Il plaide en outre pour un amendement du code de procédure devant la Haute Cour. Une explication détaillée du « manquement grave aux devoirs de la charge » est également requise par M. Ghanem, qui relève qu’une interprétation de la Constitution n’a rien de contraignant et qu’un sérieux problème se pose si la justice donne une autre interprétation d’un même texte. Mais M. Berry l’interrompt pour affirmer que la Chambre doit prendre une décision. Devant la surprise de M. Daher, il s’empresse d’expliquer que cette décision sera considérée comme une jurisprudence, en citant des précédents parlementaires, sur lesquels M. Husseini s’arrête pour préciser qu’ils concernaient strictement le fonctionnement du Parlement (il s’agit, dans les années 80, d’une décision de calculer la majorité parlementaire en fonction du nombre de députés vivants). « Projet d’État avec sursis d’exécution » M. Husseini s’arrête également sur la remarque du vice-président de la Chambre au sujet du climat négatif dans le pays. Pour lui, c’est le cœur du problème et c’est ce qui doit pousser la Chambre à appliquer scrupuleusement la Constitution. Il suggère un amendement de la loi 13/90, affirmant que la procédure compliquée qu’elle prévoit rend pratiquement impossible le jugement de membres de l’Exécutif devant la Haute Cour. Il met l’accent sur les pressions politiques exercées sur les autorités judiciaires, ce qui explique à ses yeux les jurisprudences contradictoires dans les affaires Siniora et Barsoumian. M. Husseini plaide de nouveau en faveur de l’indépendance de la justice. « S’il y a une confusion au niveau de la justice, c’est parce que les instances judiciaires s’abstiennent, par peur, de s’attaquer à des affaires en rapport avec le pouvoir politique », fait-il remarquer. Selon lui, le Liban est actuellement dans une phase qu’il appelle « projet d’État avec sursis d’exécution ». Et pour cause : aucune des lois organisant les différentes institutions étatiques, à l’exception de la Sûreté générale, n’a été promulguée, note-t-il. M. Nicolas Fattouche abonde pratiquement dans le même sens, en mettant l’accent sur les pressions exercées sur la justice et en affirmant que « le régime et le pouvoir ne veulent pas des institutions et des lois ». « C’est là le cœur du problème », tonne-t-il, avant d’estimer qu’un membre de l’Exécutif doit être jugé par la Haute Cour pour des crimes commis durant l’exercice de sa fonction. Aux yeux de M. Omar Karamé, le point essentiel est de connaître l’objectif de la réunion et de parvenir à une formule qui soit contraignante pour les tribunaux ordinaires. Répondant à M. Ferzli, il souligne que nul ne met en doute les capacités de la Haute Cour et que le problème se pose au niveau du mécanisme, extrêmement compliqué, de jugement des membres de l’Exécutif devant cette instance. La confusion et les divergences de vues sont telles que le ministre de la Justice, Bahige Tabbarah, s’empresse d’intervenir, rappelant les diverses jurisprudences avancées depuis 1989 jusqu’aujourd’hui dans les affaires Siniora et Barsoumian, tout en relevant leurs contradictions. « Mais je ne peux pas blâmer les autorités qui rendent des jugements contradictoires, en présence d’un texte ambigu. Chacune peut l’interpréter à sa façon », ajoute-t-il. M. Tabbarah reconnaît que le politique et le judiciaire sont imbriqués dans les affaires qui font l’objet d’un débat. Il est hostile à cette confusion dans la mesure où elle porte atteinte à un principe fondamental, celui de la sécurité juridique. M. Tabbarah juge que l’article 70 doit être expliqué, en présence de jurisprudences contradictoires, même s’il pense que le législateur a mis « les manquements graves aux devoir de la charge » au même rang que la « haute trahison ». Il s’empresse ensuite de préciser qu’il n’est nul besoin d’une loi constitutionnelle mais d’une simple décision adoptée par la Chambre pour interpréter un article de la Loi fondamentale. « J’espère seulement que ce débat ne provoquera pas une plus grande confusion encore », insiste-t-il. Il est le dernier à prendre la parole. Dans l’hémicycle, le quorum fait défaut depuis longtemps. Plutôt que de prolonger le débat, surtout que chaque député ou bloc parlementaire a son point de vue sur la question, M. Berry reporte la séance d’une semaine, pour donner le temps aux parlementaires de réfléchir davantage sur la question, dans l’espoir de parvenir à une explication unifiée des articles 60 et 70. Rendez-vous donc lundi prochain. Tilda ABOU RIZK Prestation de serment À l’ouverture de la réunion, les membres de la commission d’enquête parlementaire, en charge de l’affaire Barsoumian, ont prêté serment. Il s’agit de M. Élie Ferzli (président), Mohammed Safadi, Yassine Jaber, Nazem Khoury (membres titulaires) et Sami Khatib (membre suppléant). Un autre membre suppléant, Georges Kassarji, est arrivé en retard et n’a pas pu ainsi prêter serment. Les articles 60 et 70 de la Constitution L’article 60 stipule ce qui suit : « Le président de la République n’est responsable des actes de sa fonction que dans le cas de violation de la Constitution ou de haute trahison. Ses responsabilités pour les délais de droit commun sont soumises aux lois ordinaires. Pour ces délits, comme pour la violation de la Constitution et pour la haute trahision, il ne peut être mis en accusation que par la majorité des deux tiers des membres de l’Assemblée entière. Il est jugé par la Haute Cour prévue à l’article 80. Le ministère public près la Haute Cour est exercé par un magistrat nommé par la plus haute juridiction, toutes chambres réunies. » L’article 70 est le suivant : « La Chambre des députés est en mesure de mettre en accusation pour haute trahison ou pour manquement grave aux devoirs de leur charge le président du Conseil et les ministres. La mise en accusation requiert la majorité des deux tiers des membres de l’Assemblée. Une loi spéciale déterminera la responsabilité civile du président du Conseil et des ministres. »
Il faudra attendre lundi prochain pour savoir quelle interprétation la Chambre donnera aux articles 60 et 70 de la Constitution sur le jugement des présidents de la République, des présidents du Conseil et des ministres, devant la Haute Cour. Une seule séance n’a pas suffi au Parlement, hier, pour trouver la formule susceptible de dissiper l’ambiguïté des deux textes – principale...