Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

ORGANISATIONS - Cawtar publie un rapport sur les adolescents La discrimination envers les filles est une généralité dans le monde arabe

«Adolescentes arabes : situation et perspective». Tel est le thème d’une étude publiée par le Centre de la femme arabe pour la formation et la recherche (Cawtar). Le document de plus de 400 pages fait la lumière sur la situation, les opinions et les divers styles de vie des ados des deux sexes, âgés entre 15 et 18 ans, qui vivent dans la région. Sachez que les adolescents et les adolescentes arabes ne sont pas, en général, des révolutionnaires. Ils tiennent aux valeurs familiales et respectent les traditions. Chrétiens et musulmans, ils sont pour la plupart croyants et pratiquants. Sachez aussi que quand certaines situations les révoltent, ils sont rares à lutter véritablement. Ils ont tendance à accepter leur sort en rêvant probablement d’un monde meilleur. D’ailleurs, c’est comme s’ils avaient compris que la région dans laquelle ils vivent est à jamais figée. Ils ont un rêve: voyager et s’établir à l’étranger. L’étude effectuée par Cawtar a encore une fois confirmé que, dans toutes les sociétés du monde arabe, la discrimination envers les filles et les femmes est une généralité. Seuls son ampleur et ses degrés sont différents. Première publication du genre dans la région, l’ouvrage n’est pas le premier de Cawtar, qui édite des documents inspirés des rapports sur le développement humain du Pnud. Créé en 1993 et siégeant à Tunis, Cawtar, qui est présidé par la Tunisienne Soukeïna Bouraoui, bénéficie du soutien de la Ligue arabe, de l’Union européenne, de l’Agfund ainsi que de plusieurs organismes onusiens, notamment le Pnud et le Fnuap. Afin de cerner la situation de la femme arabe, l’organisme a opté donc en 2003 pour une étude relative aux adolescents appartenant aux deux sexes. Les jeunes constituent bien les adultes de demain. Et comme la différence entre les hommes et les femmes est avant tout sociale, il fallait étudier les adolescents : c’est à cette période que les rôles sociaux commencent à se définir. À lire certains témoignages de jeunes garçons et filles arabes, quelques-uns se demanderont si mai 68 et la révolution sexuelle ont jamais eu lieu. Pour la plupart des adolescents et des adolescentes interrogés, les filles doivent préserver leur virginité jusqu’au mariage. Toutefois, certaines jeunes filles vivant en ville et dans les milieux cultivés ne refuseront pas les rapports sexuels hors mariage à certaines conditions, notamment l’amour ou encore la promesse d’une relation affective qui pourrait durer éternellement. Le concubinage ? En général, il s’agit d’une affaire qui va à l’encontre de nos mœurs et traditions, mis à part quelques exceptions près… Des tranches de vie et des opinions sur divers thèmes Pour la réalisation du document, qui compte plus de 400 pages et une annexe intitulée «Arc-en-ciel», des études chiffrées sur les 22 pays de la Ligue arabe et de l’Autorité palestinienne ont été utilisées. Ces données proviennent notamment d’études nationales et onusiennes. Dans ce cadre, le document présente plus de cinquante tableaux sur divers thèmes. Une autre section de l’ouvrage a été consacrée à une étude qualitative sur la situation des adolescents dans sept pays de la zone : Bahreïn, la Tunisie, l’Algérie, l’Égypte, le Maroc, le Yémen et le Liban. Dans ce cadre, 197 entretiens ont été organisés. 138 filles et 95 garçons, âgés de 15 à 18 ans, ont raconté des tranches de leur vie et ont donné leurs avis sur divers thèmes : l’identité et l’image de soi, la puberté, la santé reproductive et l’amour, les relations familiales, l’école et la vie professionnelle, la culture et les comportements des adolescents ainsi que les attitudes et les valeurs. Dans un entretien avec L’Orient-Le Jour, Adib Nehmé, coordinateur du projet, relève que « dans le monde en général, on adopte une approche pédagogique ou psychologique quand on étudie l’adolescence, la définissant comme une période de crise, on parle par exemple de la violence ou de la délinquance ». « On n’a jamais demandé aux adolescents leurs avis », dit-il. « Dans le monde arabe, nous ne nous intéressons pas à l’adolescence, car c’est à cette période que l’on commence à aborder l’identité sexuelle, qui demeure un tabou dans la région. Les études sont donc limitées », explique M. Nehmé, soulignant que « l’étude qualitative effectuée par Cawtar constitue une innovation ». Le rapport de l’organisme qui siège à Tunis s’est aussi bien basé sur les études statistiques que sur des entretiens semi-dirigés avec des jeunes de sept pays arabes. Il semblait facile de faire parler les adolescents, qui ont discuté librement de tous les sujets. Les jeunes filles étaient un peu plus éloquentes que les garçons. M. Nehmé explique que des critères généraux ont été adoptés pour effectuer les entretiens dans les sept pays sélectionnés. Par exemple, il ne fallait pas choisir des cas extrêmes pour ne pas fausser les données. Il fallait également opter pour divers paramètres : les adolescents qui vivent en ville et dans les zones rurales, ceux qui travaillent et ceux qui sont scolarisés. Il fallait aussi que les différentes classes sociales soient représentées. Et chaque pays a introduit sa propre spécificité. Au Liban et en Égypte par exemple, les communautés religieuses étaient représentées; au Maroc, l’étude s’est intéressée aussi bien aux Arabes qu’aux Berbères. Au Yémen, des jeunes du Nord et du Sud ont été interrogés. Toujours prisonniers du milieu Les résultats dans ce cadre étaient bien surprenants : les adolescents arabes ont beaucoup de points communs, dépendant de la classe sociale à laquelle ils appartiennent. Ceux qui vivent dans les villes, qui sont issus d’un milieu aisé et cultivé, qu’ils habitent le Caire, Tunis ou Beyrouth pensent et agissent de la même manière et font face aux mêmes problèmes. « Les entretiens effectués ont démontré que, dans chaque pays, il existe différents types d’adolescents, et le facteur le plus important est socioculturel », relève le coordinateur du projet, relevant que « les disparités dans un même pays sont de loin plus importantes que les différences qui existent entre des jeunes appartenant au même groupe social mais qui sont originaires de pays différents ». Cela s’applique également aux jeunes musulmans et chrétiens qui vivent dans un même pays. Selon M. Nehmé, le milieu où l’on évolue est de loin plus important que l’appartenance religieuse. Ainsi, au Liban ou en Égypte, les chrétiennes et les musulmanes qui vivent dans les villes et qui bénéficient d’une culture ouverte sur l’Occident pensent de la même manière et sont confrontées aux mêmes problèmes. Pourtant, les entretiens ont montré une différence sur le plan confessionnel au Liban, et ce par rapport aux dossiers à caractère politique. M. Nehmé donne l’exemple dans ce cadre de la rafle du 7 août 2001 et du tabassage devant le Palais de justice. La date laissait indifférents les jeunes musulmans et musulmanes, spécialement ceux qui vivaient hors de la capitale. Par ailleurs, la différence est apparue entre les filles et les garçons interrogés dans les sept pays arabes, quand il a été question de l’émancipation des femmes. Tout le monde, dans l’absolu, était pour l’éducation et le travail des femmes. Cependant, la plupart des garçons interrogés se sont demandés comment une femme pouvait effectivement assumer simultanément ses responsabilités familiales et professionnelles. Les entretiens ont démontré également que la discrimination envers les filles est une généralité dans toutes les sociétés du monde arabe. Seuls son ampleur et ses degrés sont différents. Quant à la liberté sexuelle, qu’ils soient garçons ou filles, chrétiens ou musulmans, la plupart des jeunes arabes sont du même avis : « Contre le concubinage, afin de préserver les us et coutumes sociaux. » Pourtant les adolescents venant de milieux cultivés sont pour la vie à deux avant le mariage, mais ils savent qu’ils seront incapables de mettre personnellement en pratique un tel projet, expliquant qu’ils seront terriblement jugés par la société. Des particularités libanaises La religion demeure très importante dans tous les pays étudiés. Il existe cependant plusieurs genres de croyants… Certains indiquent que la religion devrait être discrète, dépendre de la vie privée. D’autres sont plus fervents et traditionnels. Une particularité libanaise dans ce cadre : quand les enquêteurs évoquaient la religion avec les jeunes, les adolescentes et les adolescents libanais faisaient une association automatique avec le confessionnalisme qu’ils condamnaient. Grâce aux entretiens, un portrait du jeune fondamentaliste a pu être dressé. Au Maroc, en Algérie, en Égypte ou au Liban, ces jeunes tiennent un discours commun, notamment en ce qui concerne les dossiers sociaux, la situation des femmes et de la famille. Mais il faut encore relever une particularité libanaise. « Les jeunes partisans du Hezbollah sont de loin plus ouverts que les fondamentalistes d’autres pays », relève M. Nehmé, expliquant que « leur combat est tourné contre Israël et non contre une situation sociale ou une vie quotidienne qu’ils veulent modifier». Et d’ajouter : « Quand un adolescent du Hezbollah parle de ses relations avec les filles, il dira par exemple que sa meilleure amie est une fille ; il est beaucoup plus malléable qu’un jeune fondamentaliste égyptien. » Le coordinateur du projet relève qu’avant de rédiger la conclusion du document, les entretiens ont été comparés avec les statistiques et les sondages effectués dans d’autres études, notamment nationales et onusiennes, dans les sept pays. Les entretiens n’ont fait que confirmer les tendances enregistrées dans les études chiffrées disponibles. Parallèlement aux entrevues, Cawtar avait lancé un concours de dessins qui a regroupé 84 participants, âgés de 15 à 18 ans, sur le thème de l’étude « Adolescentes arabes : situation et perspective ». Les dessins publiés dans l’annexe de l’ouvrage – intitulé «Arc-en-ciel» – présentent beaucoup de visages de femmes emprisonnées derrière des barreaux, ou encore des visages coupés en deux parties, l’une voilée et l’autre découverte. Les dessins n’ont pas été analysés. « Quand nous avons vu la richesse de la matière, Cawtar ne s’est pas contenté de la publication du rapport », relève M. Nehmé, soulignant que « normalement, ce genre de document est publié sur 150 pages ». Grâce à la densité de la matière collectée, Cawtar a décidé de publier tous les entretiens dans une annexe. Deux entrevues intégrales (celles d’une jeune fille et d’un garçon), de chaque pays, ont été entièrement éditées, soit quatorze études de cas ainsi que les résumés de 183 entretiens. Les dessins présentés par les jeunes ont illustré l’annexe. Prochainement, un module de formation destiné aux adolescents et aux enseignants devrait être mis en place. Une série de documentaires sur les jeunes dans les pays concernés par les entretiens est en cours de réalisation. Patricia KHODER


«Adolescentes arabes : situation et perspective». Tel est le thème d’une étude publiée par le Centre de la femme arabe pour la formation et la recherche (Cawtar). Le document de plus de 400 pages fait la lumière sur la situation, les opinions et les divers styles de vie des ados des deux sexes, âgés entre 15 et 18 ans, qui vivent dans la région.


Sachez que les adolescents et...