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Actualités - CHRONOLOGIE

SOCIÉTÉ - Le théâtre, une thérapie alternative pour les toxicomanes « Douze hommes en colère » se déchaîne contre les préjugés

La scène est bien connue. « Douze hommes en colère » autour d’une table pour juger un adolescent de 17 ans accusé d’avoir tué son père. Cette pièce, écrite par Reginald Rose et plusieurs fois adaptée au cinéma (notamment par Sidney Lumet en 1958, avec, dans le rôle principal, Henry Fonda), vient d’être présentée dans les locaux de l’association Oum el-Nour. Si le choix de la pièce n’est pas particulièrement surprenant, la sélection des acteurs – des toxicomanes en instance de réhabilitation – l’est à coup sûr, et la performance encore plus. Un défi que viennent de remporter vingt-cinq jeunes résidents chez Oum el-Nour, décidés à combattre les effets de la drogue et tous les préjugés qui l’accompagnent. En offrant à leurs parents et au grand public une œuvre qui met en scène leur calvaire et parodie le processus de jugement que porte la société sur leurs êtres fragiles, ces jeunes ont voulu exprimer, à leur manière, le poids d’un regard qu’il voudrait autrement plus juste. Douze hommes en colère évoque le comportement des membres d’un jury en majorité pétri de préjugés, de racisme et d’égoïsme et qui s’apprête sans états d’âme à envoyer le prévenu à la potence (ou la chaise électrique). Un seul membre s’oppose à cette manière expéditive en mettant en doute la tangibilité des preuves à charge contre le prévenu. Après maintes péripéties, il réussit à retourner complètement les 11 autres jurés, qui finissent par voter l’acquittement. La pièce qui a été jouée trois jours de suite a permis, pour la première fois, à des anciens drogués d’exprimer toute une palette de sentiments et de ressentiments qu’ils n’ont jamais pu formuler autrement que sous l’effet de la drogue: leur révolte face aux jugements hâtifs de la société, le sentiment d’infériorité, la culpabilité ou l’incapacité à affronter certaines réalités amères. Autant de raisons qui ont permis à ces jeunes de transcender leur quotidien par les mots, les gestes et les messages de tolérance véhiculés tout au long de la pièce. Incapables de délibérer sur le sort d’un jeune garçon accusé de parricide sans preuves solides à l’appui, les acteurs s’affrontent deux heures durant en déversant sur le suspect des jugements injustifiés et accablants. « En réalité, l’accusé incarne les anciens drogués eux-mêmes, et les juges, la société avec ses préjugés. Les rôles ont été inversés à bon escient», explique la jeune réalisatrice, Zeina Daccache. « Ils se sont mis dans la peau du jury pour mieux exorciser leurs peurs d’être jugés », dit-elle. Afin de pousser jusqu’au bout la logique des « procès d’intention » et des « verdicts moraux », la réalisatrice a prévu une séquence d’improvisation lors de l’entracte au cours de laquelle les acteurs se sont dispersés parmi le public, le surprenant par des questions improvisées ou des témoignages racontant leur périple. « Mon fils a besoin de sa dose ce soir et c’est à moi de la lui administrer. Suis-je donc complice de son crime ? » s’interroge Roni en jouant le rôle de sa mère. Ému, Imad raconte d’une voix claire et intrépide l’histoire de son arrestation et le calvaire qu’il a vécu avant de se décider à rejoindre Oum el-Nour. « Lorsque j’ai été arrêté, j’ai eu plus de chance que mon ami qui, lui, a succombé sous les coups du policier qui l’interrogeait », a enchaîné le jeune acteur en allusion aux traitements inhumains que subissent souvent les drogués par les forces de l’ordre lorsqu’ils sont pris en flagrant délit. « C’est le plus beau moment de ma vie, poursuit un troisième. Je n’ai jamais été applaudi. » Avec un sérieux inébranlable, les acteurs remontent sur scène, se reforment en jury et poursuivent leurs délibérations. « Pour ces jeunes toxicomanes, il s’agit d’une véritable victoire sur le regard de l’autre. Leur performance était impeccable tant il se sont identifiés avec les rôles », souligne la réalisatrice. Jusqu’à la dernière minute, les acteurs ont voulu braver les tabous en décidant à l’unanimité de ne pas porter de masques à l’origine destinés à préserver leur anonymat. Initié il y a deux ans par Mme Daccache, l’atelier de théâtre est venu s’inscrire dans le cadre d’un programme de réhabilitation particulièrement original, permettant aux jeunes de s’exprimer à travers la créativité. Pour ces ancien toxicomanes en mal de communication, les planches ont servi de thérapie alternative. « La formule est toute simple, confie la jeune réalisatrice. Il faut être vrai et authentique pour se faire apprécier et aimer. » Un principe que Zeina Daccache a appris lors d’une formation suivie à Londres, à l’école Philippe-Gaulier, un géant du théâtre expressif. Selon ce dernier, toute personne est capable de dévoiler ce qu’elle a de plus humain et de plus profond en elle-même, à condition de le faire avec beaucoup d’énergie et une bonne dose de sincérité. D’où son idée d’introduire le théâtre dans les milieux les plus difficiles, notamment parmi les malades mentaux, les alcooliques et les drogués en instance de traitement, bref de réinsérer le théâtre dans la vie communautaire, avec ses problèmes au quotidien. Après un stage de deux ans dans cette école, la jeune réalisatrice se rend en Italie auprès d’Armando Punzo, un autre metteur en scène qui travaille depuis vingt ans avec les prisonniers du centre pénitencier de Volterra. Là, elle découvre l’art de susciter une nouvelle passion parmi des personnes différentes qui veulent dire les choses autrement, avec leurs tripes. Des atouts que les anciens toxicomanes n’avaient plus aucun mal à mettre en avant, au bout de plusieurs semaines d’entraînement. Si les douze hommes en colère parviennent, à la fin, à innocenter le jeune garçon grâce à l’obstination d’un homme lucide et épris de justice, ils auront également eu leur mot à dire : « Les drogués ont droit à une seconde chance. » Jeanine JALKH
La scène est bien connue. « Douze hommes en colère » autour d’une table pour juger un adolescent de 17 ans accusé d’avoir tué son père. Cette pièce, écrite par Reginald Rose et plusieurs fois adaptée au cinéma (notamment par Sidney Lumet en 1958, avec, dans le rôle principal, Henry Fonda), vient d’être présentée dans les locaux de l’association Oum el-Nour.
Si le choix de...