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USJ - 90 ans au compteur de la faculté de droit et des sciences politiques de l’Université Saint-Joseph Les premières promotions ont constitué l’épine dorsale de la vie publique (photo)

Neuf décennies au compteur de la faculté de droit et des sciences économiques et politiques de l’Université Saint-Joseph! Cofondée par la Compagnie de Jésus et l’Université de Lyon, elle avait ouvert ses portes le 14 novembre 1913, amorçant la formation d’une élite qui deviendra l’épine dorsale de la vie publique, particulièrement dans les domaines de la juridiction et de la politque. Dans son livre d’or, la faculté compte six chefs d’État (Camille Chamoun, Charles Hélou, Élias Sarkis, Béchir et Amine Gémayel, René Moawad), un président de l’Assemblée (Kamel el-Assaad), deux présidents du Conseil (Abdallah Yafi et Omar Karamé), plus de cent députés et ministres, un florilège de grands magistrats, et, dans la foulée, de hauts fonctionnaires parmi lesquels des chefs de l’armée et de la gendarmerie.
Plusieurs événements marqueront la date de cet anniversaire. M. Fayez Hajj Chahine, doyen de la faculté, annonce qu’«à partir de l’année universitaire 2003-2004, l’USJ renouera avec la tradition d’avant-guerre, en décernant avec la licence libanaise la licence française accordée sous le sceau de la faculté de droit de l’Université de Lyon». Le DEA, diplôme d’études approfondies, sera accrédité par Paris II. Les 6 et 7 novembre, un colloque sur «Les droits fondamentaux: inventaires et théorie générale» rassemblera de grands noms de la magistrature et du barreau français et libanais, parmi eux MM. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation française; Jacques Arrighi, président de la première sous-section du contentieux du Conseil d’État français; Jean-Marie Burguburu, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris. MM. Guy Lavorel et Loïc Saidj, respectivement président de l’Université de Lyon et doyen de la faculté de droit, se déplaceront pour l’occasion. Du côté libanais, MM. Bahige Tabbara, ministre de la Justice, Ghaleb Ghanem, président du Conseil d’État, Tanios el-Khoury, premier président de la Cour de cassation libanaise, Antoine Khair, président de chambre au Conseil d’État, et Amine Nassar, premier président du Conseil supérieur de la magistrature. En creux du colloque, une exposition de photographies fera défiler les premières promotions: de 1913 à 1950. La bibliothèque de la fondation Farès Zoghbi, qui recèle 30000 ouvrages en français, 10000 en arabe et 30 titres de périodiques vivants, sera inaugurée le 14 novembre. Elle propose un fonds spécialisé en droit, sciences politiques, sociologie, littérature française, art, histoire, islamologie et dialogue des civilisations. La cérémonie sera suivie d’un dîner organisé au Biel par l’Association des anciens de la faculté présidée actuellement par le directeur général du service du contentieux au ministère de la Justice, le magistrat Chucri Sader. Au cours de la soirée, dont les revenus seront versés au profit des bourses universitaires, un hommage sera rendu à plusieurs personnalités du monde juridique, politique et économique.

Paul Huvelin et l’École
de Béryte
L’anniversaire des 90 ans de la faculté de droit fournit l’occasion de retracer l’historique de l’École de droit créée à la veille de la Grande Guerre alors qu’un climat de laïcisation et d’anticléricalisme pur et dur régnait en France.
Il suffit de rappeler que la loi du 18 mars 1880 interdisait aux établissements libres de prendre le titre d’universités et de délivrer des diplômes. Que le décret du 29 mars 1880 donnait trois mois à la Compagnie de Jésus pour se dissoudre et évacuer les établissements dont elle s’occupait en France et dans les colonies françaises. Que la loi du 30 octobre 1886 laïcisait le personnel enseignant. Que celle du 1er juillet 1901 prononçait la dissolution des congrégations religieuses, et que celle du 9 décembre 1905 instituait la totale séparation de l’Église et de l’État. En 1910, l’Académie lyonnaise, qui étudie l’opportunité d’une expansion universitaire en Orient, envoie à Athènes, Constantinople, Smyrne et Beyrouth une mission d’études, dirigée par Paul Huvelin, professeur titulaire de la chaire du droit romain à la faculté de droit de Lyon. Huvelin est séduit par Beyrouth où existe déjà un établissement français d’enseignement supérieur (la faculté de médecine) qui a une personnalité juridique et qui peut donc contracter. Il donnera «toute sa mesure d’organisateur» pour concilier la Compagnie de Jésus et l’Université laïque de Lyon ou le ministère français de l’Instruction publiques et trouver une formule honorable sur les points principaux que défendaient les jésuites. À savoir que le chancelier et les professeurs jésuites aient une autorité réelle et soient reconnus officiellement; qu’aucune candidature à une chaire de professeur ne soit présentée sans avoir été agréée par la Compagnie de Jésus. Le 30 juin 1914, l’accord sur ces bases est réalisé. Il donnera lieu le 15 octobre à une proposition de convention qui sera signée... le 27 janvier 1919. Ces négociations n’ont pas empêché l’inauguration officielle de l’Ecole française de droit de Beyrouth le 14 novembre 1913. Après avoir été soumis à un examen d’admission par un jury de professeurs français, 31 étudiants appartenant aux diverses communautés de la région s’installent dans les locaux d’Achrafieh, occupés depuis 1883 par la faculté de médecine qui venait de déménager à la rue de Damas. La première leçon, intitulée «L’École romaine de droit de Béryte», est donnée par le Pr Huvelin, artisan principal de la fondation de l’école, en présence de Kouyoumdjian Pacha, gouverneur du Liban, du délégué du vali turc, du consul général de France, de l’amiral Boné de Lapeyrere, de Paul Joubin, recteur de l’Académie de Lyon, et du RP Claudius Chanteur, supérieur provincial des jésuites. La leçon inaugurale met l’accent sur le choix de Beyrouth qui avait été, du IIe jusqu’au VIe siècle, c’est-à-dire jusqu’au tremblement de terre de 551, «le centre d’enseignement du droit» et la «faculté impériale», privilège partagé avec les écoles de Rome et de Constantinople. Deux des plus grands jurisconsultes dont fait mention l’histoire sont nés dans cette région: Ulpien et Papinien, respectivement originaires de Tyr et de Homs. «Le climat n’a pas changé, la race est restée la même et il n’y a pas de raison pour que le même sol ne porte pas les mêmes fruits. Nos élèves n’ont qu’à suivre les travaux d’un ancêtre.» En un mot, Beyrouth peut assumer de nouveau le rôle qu’a joué jadis l’École romaine de droit de Béryte, rôle qui lui valu le titre flatteur de «nutrix legum» ou «mère nourricière des lois».
Au cours des deux décennies de transition entre la période ottomane et l’indépendance du Liban, l’École française de droit de Beyrouth aura «une importance capitale sur le plan de la réception législative et jurisprudentielle du droit français» et jouera un rôle actif dans la «reconstitution» de la magistrature et du barreau mais aussi dans la recherche et les publications en droit libanais. C’est d’ailleurs à partir de 1920 qu’un cours de droit musulman est assuré en langue arabe par M. Nagib Aboussouan, alors premier président de la Cour de cassation. En 1925, l’école institue un cours de droit local comparé portant sur le droit administratif, les droits civil et pénal et leurs procédures. Dès 1930, entre en vigueur l’enseignement du droit libanais et des trois premiers codes: code de la propriété foncière, code des obligations et des contrats, code de procédure civile. Le programme réparti sur deux ans est assuré par MM. Chucri Cardahi, alors conseiller à la Cour de cassation, Samy Chamas, Émile Tyan et Béchara Tabbah. Les étudiants recevaient, parallèlement à la licence française, le diplôme de l’Institut de droit libanais signé du ministre libanais de l’Éducation nationale et du directeur de l’école. En 1946, par décrets, la licence libanaise en droit est rendue obligatoire «pour l’accès à certaines fonctions publiques et pour l’exercice de la fonction d’avocat». Dans ce régime, les titulaires de la licence française devaient consacrer une quatrième année universitaire au droit libanais, au terme de laquelle ils présentaient les examens de la licence libanaise. Neuf matières sont enseignées: l’histoire du droit et des institutions publiques, le droit musulman, le statut personnel et les wakfs, les codes des obligations et de procédure civile, le droit foncier, le droit public, l’économie et la législation financière, la pratique judiciaire, le droit pénal. Le jury d’examen était composé du ministre de la Justice ou de son délégué, du bâtonnier et d’un délégué du ministre de l’Éducation. Mais ce régime n’a pas pu survivre aux modifications apportées en 1954 par la réglementation de la licence française qui institue quatre années universitaires au lieu de trois. Comme on ne pouvait pas demander aux étudiants libanais d’assumer une cinquième année universitaire, les enseignements propres au droit libanais furent répartis sur les quatre années d’études de la licence française. Dans les années 1960, des réformes ont permis l’«harmonisation entre les deux licences et leur adaptation aux exigences du Liban». En 1980, en raison des changements de programmes en France et du contexte de guerre au Liban, la licence française est abandonnée. L’évolution de l’enseignement du droit à l’université ne sera pas pour autant entravée.
Entre-temps, l’Institut des sciences politiques est créé en 1945. La formation en économie est assurée dans l’enseignement de la licence en droit, par l’option économie politique. Elle sera confiée à un département indépendant au début des années 1970.

Au tableau: un florilège
de personnalités
L’apport de la faculté ne se limite pas toutefois à l’enseignement du droit. Elle se veut un centre de recherches et de publications en droit libanais. Un foule d’ouvrages juridiques ont été signés par de grands professeurs, parmi lesquels Edmond Rabbath, chargé du cours de doctorat de droit public de 1942 à 1949; Choucri Cardahi, Béchara Tabbah, Émile Tyan, Jean Baz, Charles Fabia, Pierre Safa, Pierre Ghannagé et Antoine Fattal. Ces enseignants de la première génération ont également assuré des carrières parallèles: Négib Aboussouan; Choucri Cardahi et Émile Tyan ont été ministres de la Justice, présidents des cours d’appel et de cassation. François Debbané, chargé d’enseignement de 1939 à 1976, a été procureur près de la Cour des comptes. Jean Baz a présidé la cour d’appel et le Conseil d’État. Au tableau aussi, Soubhi Mahmassani, ministre de l’Économie en 1966; le magistrat Jawad Osseiran, président de chambre au Conseil d’État; Béchir Bilani, président de chambre au Conseil d’État en 1993 et 1994; Youssef Gebrane a assumé diverses charges de la magistrature dont celle de premier président de la Cour de cassation et ministre de la Justice en 1979. Et ce n’est pas tout. Parmi les professeurs de l’Institut pratique de droit, créé en 1945 pour les licenciés désireux d’acquérir des connaissances pratiques complémentaires, on peut aussi citer le président Alfred Tabet, le procureur de la République Chafic Hatem et le ministre Fouad Ammoun.
D’autres encore ont été chargés de cours ou de travaux dirigés, comme Maurice Chéhab (1945-1962); Charles Rizk (1961-1967); Nagib Sadaka (1945-1952); Bahige Tabbara (1957-1963); Bahige Takieddine; Sélim Jahel, Boutros Dib, Georges Corm et Ghassan Salamé. Mais la liste est longue. Trop longue.
Disons, toutefois, que les enseignants et les premières promotions de la faculté ont largement contribué à la constitution des corps politique, administratif et judiciaire du Liban. À titre d’exemple, en 1927, sur les 114 étudiants libanais ou syriens licenciés en droit, 43 sont magistrats, 55 avocats, sept sont dans l’Administration publique et neuf dans les affaires.
Par ailleurs, comme en de nombreux pays, la formation juridique demeure au Liban la formation de base de nombreux hommes politiques. Sur les 965 sièges parlementaires pourvus entre 1920 et 1978, on compte 425 députés ayant chacun exercé en moyenne plus de deux mandats. Sur ces 425 élus, 186 sont titulaires d’un diplôme universitaire dont 118 d’une licence en droit. Parmi eux 107 sont diplômés de l’USJ.
Sur les 36 ministres de la Justice qu’a connus le Liban de 1943 à 1993, 18 étaient licenciés en droit de l’Université Saint-Joseph.
Aujourd’hui, des milliers de diplômés de la faculté de droit et des sciences politiques sont éparpillés entre le Liban et l’étranger. «Notre but est de rassembler ce qui est épars afin de réaffirmer d’une seule voix les valeurs essentielles et les principes civiques qui nous ont été inculqués et ce dont nous sommes fiers. Si on arrive donc à se regrouper et à collaborer pour le bien du pays, pour le bien du prochain, nous pouvons constituer une force non négligeable», a dit M. Chucri Sader, président de l’Association des anciens et directeur général du service du contentieux au ministère de la Justice. Il ajoute que «des contacts seront entrepris afin de créer des branches de l’association en Europe et dans les pays du Golfe». Une coalition qui se veut un laboratoire d’idées, une boîte à outils, mais aussi un espace de dialogue.
L’École de Béryte
Du IIe au VIe siècle, Beyrouth est le siège d’un dépôt des lois et des constitutions impériales pour les provinces d’Orient. Les textes y sont envoyés par la chancellerie impériale pour y être publiés par voie d’affichage et notifiés aux provinces. C’est donc là que les juristes se procuraient les matériaux nécessaires à la rédaction de leurs codes de lois: codes grégorien et hermogénien vers les années 290, et code théodorien en 438.
L’École de droit est sans doute née de la présence de ce dépôts de lois, avec les encouragements d’Ulpien, originaire de Tyr, et de Papinien, originaire de Homs. Dans son panégyrique d’Origène, prononcé en 239, saint Grégoire le Thaumaturge évoque Beyrouth comme «le centre d’enseignement du droit». Au siècle suivant, le rhéteur Libanius la proclame «nourrice des lois». L’éclat de son enseignement lui valut, en 438, un statut de faculté impériale, privilège partagé avec les écoles de Rome et de Constantinople. Elle s’affirme par son indépendance d’esprit, ses méthodes d’enseignement et son bilinguisme. En effet, Beyrouth substitua aux «définitions» des Romains les scolies gréco-orientales et les mémentos des solutions juridiques. De même, une partie du droit romain était enseignée en grec.
Enfin, pour entreprendre la refonte du droit romain, Justinien fait appel à des maîtres de Beyrouth comme jurisconsultes. En 528, Leontius est associé, comme commissaire, à la préparation du premier code de Justinien. Son nom paraît également dans la préface du deuxième code en 529 et dans la préface du Digeste en 533, lorsque son fils Anatolius en est le commissaire avec un autre maître de Beyrouth, Dorotheus. Ce dernier est même autorisé à éditer des résumés grecs du Digeste dont Justinien avait interdit les commentaires.
L’histoire de l’École de droit de Béryte prendra fin avec le tremblement de terre de 551.
Fille de France
L’École de Beyrouth, qui compte des aïeux à Rome, est aussi «fille de France ». Elle a une mission à remplir que M. Huvelin expose:
La France s’est affirmée comme la patrie du droit. Elle poursuit à travers le monde l’idéal éternel de la justice et de la fraternité exprimé dans ses lois écrites et dans ses codes (particulièrement ceux du XIXe), et c’est pourquoi le droit français a une force d’expansion supérieure à celle de tout autre droit. La France, en légiférant pour elle-même, s’est trouvée en train de légiférer pour les peuples. Elle s’est propagée et acclimatée chez eux naturellement, ici par infiltration, là par transplantation directe. Il est bien permis de rappeler que plusieurs codes de l’Empire ottoman – notamment le code du commerce, le code de procédure commerciale, le code de procédure civile, le code de procédure pénale – sont des frères cadets de nos codes français. Mais c’est notre code civil qu’on a imité le plus. C’est, depuis la diffusion des lois romaines, le seul exemple que nous possédions d’une si large expansion des lois d’un peuple. Puisque les États les plus divers du globe se sont inspirés de notre code civil, il nous est bien permis d’en tirer gloire pour notre patrie et d’en conclure que notre droit national a en lui quelque chose de large et d’universel; qu’il dépasse naturellement nos frontières territoriales; que ce n’est pas un droit égoïste qui se réserve ou qui se refuse, mais que c’est un droit généreux qui se donne; en un mot, que le droit de la France devient aussi le droit de l’humanité.
L’Association des anciens

Créée le 20 mai 1957, l’Association des anciens de la faculté de droit et des sciences politiques et de la faculté des sciences économiques de l’Université Saint-Joseph fut présidée pour la première fois par le bâtonnier Edmond Kaspar.
Après la guerre, un comité administratif dirigé par Hassan Rifaat prépare de nouvelles élections. Le président de la Cour de cassation, chambre pénale, M. Ralph Riachi, est élu à la tête d’un nouveau comité qui planchera sur l’élaboration de nouveaux statuts et objectifs. Les décisions prises seront approuvées par l’assemblée générale du 4 mai 1996.
Actuellement présidé par le juge Chucri Sader, directeur général du service du contentieux au ministère de la Justice, le comité administratif regroupe: Marie-Antoinette Airut (vice-présidente), Fawzi Khamis (secrétaire), Nader Gaspard (trésorier), Lody Nader, Hala Chahine, Gabriel Sehnaoui, Ayman Oueidate, Fouad Touma, Toni Issa, Kamal Hamdane et Makram Sader.
Objectif: sonner le rassemblement

«Attirer les diplômés de l’USJ au sein de notre association est un de nos premiers buts», déclare le président Chucri Sader. Un site Internet (www.adep-usj.org.lb) a déjà été créé. Un nouvel annuaire des anciens sera prochainement publié. Des séminaires et des conférences seront organisés autour d’«un intérêt commun».
L’association organise par ailleurs des réunions avec les étudiants en dernière année afin de leur «expliquer les orientations, en vue de possibilités de travail à venir». L’octroi des bourses est également au programme. «Chaque année, six bourses couvrant 50% des frais universitaires sont offertes à des étudiants en troisième et quatrième année de faculté ou en DEA», signale M. Sader. Il souligne aussi «l’effort qu’entreprend l’association pour placer les diplômés dans des postes de responsabilité, en priorité chez les anciens de l’USJ».

May MAKAREM
Neuf décennies au compteur de la faculté de droit et des sciences économiques et politiques de l’Université Saint-Joseph! Cofondée par la Compagnie de Jésus et l’Université de Lyon, elle avait ouvert ses portes le 14 novembre 1913, amorçant la formation d’une élite qui deviendra l’épine dorsale de la vie publique, particulièrement dans les domaines de la juridiction et de la...