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LIBAN-SUD - « Le triangle de diamant » au cœur du conflit israélo-arabe depuis un demi-siècle Le réchauffement du front de Chebaa inquiète les uns et rassure les autres

Au premier jour du Ramadan, alors qu’ils s’apprêtaient à organiser leur premier iftar, les habitants de Chebaa ont été surpris par les bruits de mortier et de roquette qu’ils n’avaient plus entendus depuis près de trois mois. L’opération lancée ce jour-là par le Hezbollah contre les positions israéliennes dans les hameaux occupés tout proches est venue leur rappeler que la bataille pour la récupération des fermes, qui avait cessé depuis un certain temps, pouvait à n’importe quel moment reprendre, quels que soient les motifs avancés. Situé à quelques kilomètres à peine de deux postes d’observation israéliens, ce village, appelé à juste titre « le triangle de diamant » – Chebaa relie le Golan syrien et la plaine de Houlé en Israël au Liban -, est le témoin par excellence d’un conflit israélo-arabe qui se prolonge aujourd’hui par des opérations de résistance.
Conscients des enjeux régionaux qui commandent l’arrêt ou la reprise des opérations, les résidents de cette bourgade stratégique ne veulent pas savoir si les opérations de lundi dernier étaient un avertissement à l’État hébreu, après l’attaque de l’armée israélienne en territoire syrien, ou si, comme l’a laissé entendre il y a quelques jours le secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah, elles visaient à relancer le processus de l’échange de prisonniers entre les deux parties. Pour eux, tant que l’armée israélienne campera sur les collines avoisinantes, leur village continuera de pâtir d’un conflit qui s’éternise.

Les terres promises
À l’instar de l’ensemble des Libanais, ils restent divisés sur la légitimité de cette bataille de libération qui revient à chaque fois comme un leitmotiv pour justifier une nouvelle équation sur le terrain. Pour la majorité des habitants de Chebaa, quelles que soient les raisons de la reprise de la violence à la frontière, l’important est qu’elle incarne pour eux la poursuite d’une cause « juste » qui les touche de près : 70 % des habitants du village possèdent de larges parcelles de terre arable, auxquelles ils ne peuvent plus accéder. Pour ces propriétaires, sunnites ou chrétiens orthodoxes, seul le Hezbollah a revendiqué à l’ennemi un droit qu’ils n’ont pas cessé de réclamer, depuis l’occupation des hameaux, en 1967.
« Aucun des gouvernements qui se sont succédé n’a cherché à rétablir nos droits sur les fermes occupées », explique Karim, 38 ans, qui reconnaît que le parti intégriste ne cesse de souligner devant la communauté internationale une revendication qui aurait dû être celle de l’État. Sa famille possède plusieurs hectares d’oliveraies dans les hameaux, et pouvait jusqu’au début des années 90 y accéder pour en récolter les fruits, après avoir obtenu l’autorisation de l’armée israélienne.
Si la majorité des habitants du village soutiennent le Hezbollah, estime Karim, ce n’est pas tant par affinité religieuse ni même idéologique que parce que « ce parti s’est engagé à nous restituer nos biens et, au-delà, à rétablir la souveraineté au Liban sur l’ensemble du territoire ».
À la question de savoir si l’argument territorial est un prétexte avancé par le Hezbollah et par extension, par la Syrie, pour perpétuer la confrontation avec Israël, il répond par la négative, affirmant souscrire totalement à la politique actuellement suivie par Beyrouth et Damas : « Je crois profondément à la concomitance des deux volets et je reste convaincu que les gouvernements libanais et syrien ont fait un choix stratégique qui sert les intérêts des deux pays. »
Quant à la proposition d’envoi de l’armée, Karim affirme qu’il ne s’agit pas tant d’ « une fuite en avant » de la part du gouvernement libanais que d’un rapport de forces militaires en faveur d’Israël, l’armée libanaise ayant, dans les années 70, perdu nombre de ses soldats face à l’armée de l’État hébreu.

La fatalité s’acharne
sur Chebaa
Évoquant les opérations militaires dont Chebaa a été le théâtre durant les guerres de juin 67 et d’octobre 73, ainsi que les actes de la résistance palestinienne, Karim se dit particulièrement concerné par la « grande cause arabe ». Bien qu’il ait choisi, lui et ses 7 frères et sœurs, de « résister civilement » à la présence israélienne dans les années 90, il n’a pas pu échapper à un séjour forcé dans la prison de Khiam, une expérience qu’il partage aujourd’hui avec son père, sa sœur et ses deux frères. Voilà, dit-il, qui explique notre éternel refus de l’occupation. Un sentiment que partagent au moins les mille autres familles qui possèdent des terrains dans les fermes de Chebaa. Sans être aussi engagées que la famille de Karim, ces familles rêvent de pouvoir récupérer un jour leurs propriétés. Cet avis n’est pas celui du reste de la population du village, qui, aujourd’hui, éprouve un sentiment mitigé quant à la poursuite de la résistance.
Confrontés à l’insécurité, à l’incertitude et à la tension qui troublent régulièrement leur quotidien, certains habitants veulent voir l’État mettre un terme à cette situation. La présence en face d’eux de l’armée israélienne qui scrute le moindre mouvement du village ne fait qu’accroître leurs craintes.
À quelques mètres de l’endroit où le Hezbollah avait kidnappé des officiers israéliens, en automne 2000, l’école principale du village est aujourd’hui déserte. Une nouvelle école, qui vient d’être construite au cœur du village par l’USaid (l’Agence américaine pour le développement international), est boudée par la population.
Sur 22 000 habitants, seuls 3 000, dont 8 % de chrétiens, ont décidé de rester. Les autres ont emprunté, dès les années 70, le chemin de l’exil, préférant venir une fois tous les deux ans visiter le pied-à-terre qu’ils ont quand même tenu à construire dans ce village, comme maudit par l’histoire.
Karim, ainsi que plusieurs de ses frères, ont émigré en Europe, à la recherche d’un destin plus clément. Karim est retourné depuis, dans l’espoir de pouvoir un jour promouvoir la cause de son village et expliquer au monde « les enjeux qui se trament du haut de ces collines qui surplombent trois pays au cœur d’un conflit israélo-arabe vieux de plus d’un demi-siècle ».
À l’entrée de Chebaa, Karim accueille chaleureusement les visiteurs – des journalistes surtout –, les accompagne dans un tour guidé des lieux « stratégiques ». Documents et cartes historiques à l’appui, il relate l’histoire des 14 fermes de Chebaa, saisies par l’État hébreu en 67. Il explique également les raisons pour lesquelles la Syrie a pu revendiquer les hameaux, lorsque le contentieux territorial a éclaté, en 2000.
« L’État était à tel point absent dans cette région que la Syrie a fini par y installer (avant 1967) un poste de police pour mettre fin à la contrebande, devenue l’activité principale de cette région frontalière. Les contraventions et autres procès-verbaux que les forces de sécurité syriennes établissaient ont servi d’arguments aux autorités syriennes pour revendiquer, au nom du Liban, les 220 km2 occupés. »
Pour Karim, le refus d’Israël d’abandonner les hameaux lors de son retrait en 2000 a été fatal pour l’État hébreu, qui, dit-il, a donné au Hezbollah une occasion en or pour poursuivre la guerre d’usure. Partagé entre, d’une part, l’abandon d’un espace qui domine et le Golan et le versant libanais, d’autre part l’affrontement avec une résistance « redoutable » qui a réussi à le déloger de la majeure partie du Liban-Sud, Israël a opté pour le second choix, qui semble être plus « payant » du point de vue sécuritaire. Karim reste toutefois convaincu que les développements futurs viendront prouver le contraire.

Jeanine JALKH
Au premier jour du Ramadan, alors qu’ils s’apprêtaient à organiser leur premier iftar, les habitants de Chebaa ont été surpris par les bruits de mortier et de roquette qu’ils n’avaient plus entendus depuis près de trois mois. L’opération lancée ce jour-là par le Hezbollah contre les positions israéliennes dans les hameaux occupés tout proches est venue leur rappeler que la...