Cette nouvelle manifestation de l’intervention syrienne dans les affaires intérieures libanaises est, certes, classique. Mais elle s’est accompagnée, cette fois-ci, d’une surprenante insistance des milieux officiels, des membres du gouvernement eux-mêmes, à souligner, haut et fort, que c’est grâce au forcing syrien que les pôles du pouvoir ont finalement mis une sourdine à leurs querelles pour surmonter, sans délais, l’obstacle du budget. Une telle franchise revient à insinuer, d’une manière quasi officielle, que le rôle de Damas reste nécessaire pour éviter les dérapages ou la déstabilisation au niveau du pouvoir. Ce comportement de la part des responsables n’est, à l’évidence, pas très nouveau. Mais c’est l’insistance à mettre en relief la dépendance, voire l’accoutumance, à l’égard du parrainage syrien, qui porte à réflexion. D’autant qu’elle coïncide (est-ce vraiment une « coïncidence » ?) avec les prises de position répétées de l’Administration américaine concernant la nécessité d’un retrait syrien et d’un recouvrement par le Liban de sa souveraineté et de son autonomie de décision. « Le Liban aux Libanais », répétait il y a quelques jours Mme Condoleezza Rice.
Les développements des deux dernières semaines peuvent porter à croire, en première analyse, que les Libanais ne sont pas en mesure de se gouverner eux-mêmes. Une nuance s’impose sur ce plan. Ce ne sont pas « les Libanais » qui ne peuvent pas s’autogouverner. C’est, plutôt, l’establishment politique en place depuis plus d’une décennie qui a été conditionné (dans le sens pavlovien du terme) pour entretenir une dépendance vis-à-vis de notre puissant voisin. Cette classe politique est d’ailleurs, à quelques exceptions près, l’émanation directe de la volonté syrienne. La plupart des députés, ministres et responsables ont été parachutés par Damas dès le début des années 90. Ils ont été « sélectionnés » précisément parce qu’ils acceptaient de se livrer volontiers au jeu de l’accoutumance à son parrainage. Ceux qui s’opposent à ce fait accompli, ou même ceux qui manifestent quelques réticences, sont littéralement neutralisés par le rapport de forces écrasant imposé dans le sillage du processus de Taëf.
Nul n’est dupe. L’» assistance fraternelle » se fera de plus en plus débordante et sera présentée comme étant prétendument « incontournable », à mesure que les voix locales et internationales s’élèveront pour réclamer le rétablissement de l’autonomie de décision du pouvoir central au Liban. Un tel interventionnisme se manifestera sans aucun doute avec insistance dans les prochaines semaines et dans les prochains mois, à la faveur du débat parlementaire sur le budget et à chaque fois que la petite guerre entre les pôles du pouvoir reviendra à la surface. Quant aux Libanais, ceux qui constituent la majorité silencieuse et soumise, ils devront attendre la conjoncture propice pour élire, enfin, des responsables véritablement représentatifs, susceptibles d’apporter, eux, la preuve que le Liban peut bel et bien prendre son sort entre ses mains.
Michel TOUMA
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