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CDR, Ombudsman: deux sujets conflictuels à venir

Grâce au fameux miracle libanais, aujourd’hui rebaptisé « miracle syrien », le projet de loi sur le budget est finalement passé en Conseil des ministres. Mais entre le chef de l’État, le général Émile Lahoud, et le président du Conseil, M. Rafic Hariri, la bataille est loin d’être terminée. Prochains dossiers conflictuels, le rôle du CDR et l’adoption de l’institution d’un médiateur de la République (Ombudsman), dont les enjeux sont différents, mais l’importance évidente. Sollicités en permanence, les ministres ne se font toutefois pas trop de soucis : la leçon de mardi dernier a été concluante, le Conseil des ministres avait été levé en début d’après-midi, sans consensus et surtout sans que soit fixée une date pour sa prochaine réunion et, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, il a été convenu d’un nouveau rendez-vous le mercredi matin... Retour sur des faits qui éclairent ce qui va se passer au cours des prochaines semaines.
Ce n’est plus un secret pour personne. Le Conseil des ministres de mardi dernier s’est déroulé dans un climat d’orage. Au moment d’étudier le budget de 110 milliards de LL alloués au CDR, le président du Conseil, selon des ministres présents, aurait refusé de donner des détails sur les dépenses prévues. Le ministre de l’Information, M. Michel Samaha, aurait alors demandé à son collègue des Finances de présenter ses chiffres détaillés. Mais là aussi, M. Hariri serait intervenu pour s’écrier: « Ses chiffres ne sont pas précis. Il faut du temps pour préparer une telle liste. »
Le ministre du Travail, M. Assaad Hardane, aurait alors proposé une réunion le samedi, ce qui donnerait le temps au CDR de préparer le détail des dépenses. Mais M. Hariri aurait refusé une réunion en week end. Les ministres ont alors commencé à se lever, convaincus qu’il n’y aura pas de réunion prochaine du Conseil. Le chef de l’État aurait alors déclaré: « Que tout soit clair. Nous attendons que le CDR soit prêt et nous fixerons alors une date pour notre prochaine réunion. »
M. Samaha aurait été le seul à protester: « Qu’est-ce que je vais dire aux journalistes qui attendent dehors ? Que nous n’avons pas réussi à nous entendre ? » Mais personne n’avait de formule magique à lui proposer, et chacun a quitté la salle, se préparant à donner sa version à la presse.

Réunions hâtives,
mardi soir
Pourtant, à 17h, les ministres membres de la commission chargée d’une nouvelle rédaction du préambule du projet de loi sur le budget, qui avaient commencé par faire des plans pour la soirée, sont contactés par M. Souheil Baouji, secrétaire général du Conseil des ministres, qui les convoque à une réunion avec M. Hariri, à 21h, le soir-même. Entre-temps, le président du Conseil s’est réuni à la hâte avec les responsables du CDR de 18h à 21h pour établir la fameuse liste qui devait être présentée au Conseil. C’est dire qu’un mot d’ordre était rapidement parvenu aux personnes concernées pour accélérer au maximum le processus.
La commission ministérielle s’est donc réunie pendant deux heures trente et M. Hariri a même retenu le ministre du Développement administratif, M. Karim Pakradouni, pour un petit aparté d’un quart d’heure, histoire de détendre l’atmosphère... Ou de préparer le terrain à la réunion du Conseil des ministres fixée à la hâte à mercredi soir, après l’iftar. Les ministres n’ont pas eu besoin d’un dessin. Ils ont rapidement compris que l’atmosphère avait changé du tout au tout et que l’heure était désormais à la coopération.
De fait, mercredi soir, le PDG du CDR, M. Jamal Itani, a exposé en plein Conseil des ministres son plan d’action. Les 110 milliards de LL seraient ainsi la part du Liban dans les crédits qui lui sont accordés. Car lorsqu’un pays reçoit un crédit, il doit payer 15 % de sa valeur au moment de l’utiliser et le reste est remboursé à long terme. Si le Liban ne paie pas ces fameux 15 %, il perdra les crédits dont il devrait bénéficier. Les ministres ont ainsi accepté d’allouer cette somme au CDR, dans le budget 2004. Mais, parallèlement, M. Itani a présenté un plan étalé sur quatre ans, d’un coût de 800 millions de dollars, dont 80 % sont consacrés à des projets relatifs à l’exploitation de l’eau (le réseau d’égouts, l’irrigation, les barrages, les installations d’eau potable). Les projets d’eau étant le « dada » du chef de l’État, qui considère qu’il s’agit là d’un élément fondamental du développement humain, industriel et agricole, il ne pouvait plus s’opposer au projet et le budget du CDR est passé sans la moindre anicroche.

Quinze jours pour le bilan des dépenses en 2003
Par contre, M. Émile Lahoud a déclaré qu’il y avait encore deux points en suspens concernant le CDR : les récentes nominations, qui placent des sunnites aux postes-clés de cet organisme, et les prérogatives ainsi que le rôle du CDR. Le chef de l’État a encore demandé des précisions sur les projets réalisés par le CDR avec les 98 milliards de LL qui lui ont été octroyés par le budget 2003. « Il nous faut dix jours pour préparer un tel bilan », aurait déclaré M. Itani. Et Lahoud aurait répondu : « Nous vous donnons deux semaines. »
En principe, le Conseil des ministres de la mi-novembre devrait donc étudier la situation du CDR. Et c’est là que cela pourrait chauffer. Pour M. Hariri, cet organisme doit conserver sa structure et ses prérogatives, car il constitue le moyen le plus efficace et le plus rapide de réaliser des projets de développement. Quant à dresser des plans, selon lui, cette pratique a été abandonnée depuis la chute de l’URSS. Pour le général Lahoud, il n’est pas normal qu’un même organisme établisse les priorités, puis les plans, trouve les financements, lance les appels d’offres et veille à l’exécution des projets. Il propose donc la création d’un ministère du Plan qui établirait les projets et les priorités, avant de les soumettre au Conseil des ministres qui, lui, aurait le pouvoir de décision. Le CDR ne serait plus, dans ces conditions, qu’un organisme d’exécution. Un peu comme cela se passait sous le mandat du général Fouad Chéhab, lorsque le ministère du Plan faisait son travail alors que le Conseil exécutif des grands projets se chargeait de l’exécution. Les proches de Lahoud confient d’ailleurs que si la création d’un ministère du Plan est adoptée, le portefeuille pourrait être confié à un des ministres d’État.
La bataille s’annonce serrée et l’enjeu vital, pour le général Lahoud et pour le président du Conseil, tous deux, à travers le CDR, confrontant leurs visions totalement opposées de l’État et de sa gestion.

Le début d’une réforme
en profondeur
Concernant le médiateur de la République, le conflit est sans doute moins apparent, car l’enjeu est moindre. Le sujet a déjà été débattu en Conseil des ministres et M. Hariri ne s’est prononcé ni pour ni contre. Toutefois, le projet avait été présenté par le précédent ministre du Développement administratif, M. Fouad es-Saad, et M. Hariri ne l’avait jamais inscrit à l’ordre du jour du Conseil des ministres. Il devrait désormais y figurer au cours des prochaines semaines. Selon des sources ministérielles, il pourrait faire l’objet d’un nouveau bras de fer, entre Lahoud et Hariri. Le premier y tient parce qu’il y voit une institutionnalisation de l’expérience de la Chambre des plaintes, installée au palais de Baabda, au début de son mandat et qui, à ses yeux, était nécessaire pour résoudre les problèmes des particuliers avec l’Administration. De plus, il s’agit pour lui d’une nouvelle approche de la relation entre les services publics et les citoyens.
C’est le début d’une réforme en profondeur, destinée à faciliter les formalités et surtout à permettre aux Libanais d’avoir un recours direct et gratuit, qui préserve leurs droits.
M. Hariri, estiment ses adversaires, y verrait plutôt l’émergence d’une institution indépendante, sans tutelle, chargée des questions administratives. Car si le Conseil des ministres nomme le médiateur de la République, celui-ci agit en totale indépendance et n’a de comptes à rendre à personne, contrairement aux autres organismes de contrôle qui relèvent de l’autorité de la présidence du Conseil, ou de celle du Conseil des ministres.
Là aussi donc, la bataille pourrait être féroce. Mais depuis l’adoption miraculeuse du projet de loi sur le budget, les ministres ne se font pas trop de soucis. Le plus dur est passé, le reste n’est plus qu’un duel à points, avec, en toile de fond, l’échéance présidentielle, qui hante tous les esprits, même si personne n’en parle ouvertement.
Scarlett HADDAD
Grâce au fameux miracle libanais, aujourd’hui rebaptisé « miracle syrien », le projet de loi sur le budget est finalement passé en Conseil des ministres. Mais entre le chef de l’État, le général Émile Lahoud, et le président du Conseil, M. Rafic Hariri, la bataille est loin d’être terminée. Prochains dossiers conflictuels, le rôle du CDR et l’adoption de l’institution...