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perspective- Le Parlement sous les projecteurs, en attendant le jugement de Berry, revenu de Damas Lahoud et Hariri ont un nouveau champ de bataille : la place de l’Étoile

Fouad Siniora, vendredi, aux micros de La Voix du Liban : « Si le Parlement parvient à introduire au budget des articles s’inscrivant dans le cadre d’une réforme, ce sera une heure bénite. » Le jour où un éditeur aura l’heureuse idée de réunir en un recueil perles, bêtises et autres monstruosités proférées au quotidien par tel ou tel homme politique libanais, la dernière trouvaille du ministre des Finances occuperait sans aucun doute, et jusqu’à nouvel ordre, la place d’honneur de cet effarant sottisier.
Ce SOS d’un grand argentier en détresse, mi-Calimero mi-Machiavel, lancé aux députés par celui qui les a si souvent accusés des pires desseins (notamment lorsqu’ils ont refusé sa proposition concernant les biens-fonds maritimes), cet incongru et hallucinant appel à l’aide, s’il pourrait sembler quelque peu pathétique et émouvant, n’en reste pas moins scandaleux. « Siniora, comme tous ses collègues, est pris en otage par deux personnes, deux présidents, et il nous demande de l’aider. Nous voulons bien l’aider – et nous l’avons fait, notamment en rendant viable et efficace cet Institut financier auquel il tenait tellement –, nous le respectons, même s’il passe son temps à répéter que c’est lui qui travaille et pas les représentants du peuple. Mais c’est bien la première fois que l’on demande à des députés de faire le travail du gouvernement. C’est inouï. »
Ces mots, cet adjectif, sont ceux d’un membre de la commission parlementaire des Finances et du Budget. Et il ne les mâche pas : « Les députés font des propositions de loi, certes, mais celles-ci vont dans un sens bien défini par le gouvernement. Le budget est l’âme financière de l’État, son moteur, sa dynamique, son essence. Comment pense-t-il déléguer tout cela à une commission parlementaire qui, même si elle le voulait, même si la Constitution l’y autorisait, serait tout à fait incapable de penser, construire et rédiger un budget ? Fouad Siniora a toujours eu cette fâcheuse tendance à faire porter le chapeau aux autres, et notamment aux députés. »
En un mot comme en cent, ce député écarte très rapidement toute possibilité pour ses collègues et pour lui-même d’amender la mouture 2004 dans la direction préconisée par Paris II. Et par le bon sens. Et en un mot comme en cent, il assure que la commission veut bien aider Fouad Siniora, mais pas « gouverner à sa place ».
Il n’en reste pas moins que c’est bien cette commission parlementaire des Finances et du Budget qui sera, pour les jours, les semaines et peut-être même les mois à venir, sous tous les projecteurs. Idem pour ses 17 membres, qui représentent bien évidemment tout l’éventail parlementaire, et parmi lesquels on retrouve beaucoup de berryistes ou d’apparentés, deux hezbollahis, un lahoudien (le fils du locataire de Baabda), un PSNS, un joumblattiste, des indépendants (tel Mohammed Safadi, le milliardaire de Tripoli), trois piliers de Kornet Chehwane (Nassib Lahoud, Nayla Moawad et Salah Honein, du bloc Joumblatt)... Et un seul haririen : Nabil de Freige, qui aura fort à faire pour convaincre ses collègues d’aller à l’encontre de ce qui a été décidé en Conseil des ministres et d’abonder dans le sens voulu, espéré, par Fouad Siniora. Sans compter que s’il y arrive, il restera 111 autres députés à convaincre, au moment crucial.
Le premier défi que ces 17 membres auront à gérer est justement le suivant : arriveront-ils à transformer un budget éminemment politisé – parce que simplement et outrancièrement basé sur un partage du gâteau –, accouché au forceps syrien la semaine dernière en Conseil des ministres, en un budget de réformes, répondant aux engagements pris devant la totalité des pays donateurs ? Il semblerait bien, donc, que non. Les députés de l’opposition sont minoritaires ; ils savent qu’ils ne pourront rien changer, ne serait-ce que parce que le gouvernement est un mini-Parlement ; ils savent qu’ils n’arriveront pas à convaincre les autres que le FMI et ses conditions draconiennes attendent le Liban au tournant ; ils savent que leurs collègues accepteront sans états d’âme l’augmentation du déficit budgétaire, proportionnelle à celle des tiraillements et des surenchères ; ils sont persuadés qu’aucun membre de la majorité au pouvoir ne votera « non » comme eux, et ils se contenteront de faire ce à quoi les lois électorales malsaines les réduisent depuis plus d’une décennie : rejeter sur le gouvernement la responsabilité de ce budget néantisé, qui ressemble bien plus à une bataille – certes prépondérante – dans la guerre de la présidentielle 2005, qu’à une loi de finances en bonne et due forme.
Le second défi est bien plus important : les membres de la commission des Finances et du Budget – et au-delà, le Parlement dans son ensemble – seront-ils, encore une fois, les nouveaux otages des objurgations et autres injonctions syriennes ? Est-ce que la vitesse et la célérité avec lesquelles le Conseil des ministres a bouclé son examen du budget 2004, obéissant aux ordres d’une Syrie déterminée à mettre un terme aux guerres de tranchées de l’Exécutif, seront les mêmes place de l’Étoile ? Est-ce que le budget sera voté suffisamment tôt par le Parlement pour éviter, comme le souhaite ardemment le chef de l’État, un recours à un système de douzième provisoire qui viendrait bloquer toutes ces dépenses politiques auxquelles Baabda tient tant ?
Beaucoup, à commencer par le rapporteur de la commission des Finances et du Budget et par les députés hezbollahis pourtant proches du n° 1 de l’État, sans compter les déçus qui n’ont pas obtenu ce qu’ils voulaient et souhaitent sciemment retarder les choses, beaucoup donc sont persuadés que le budget ne sera pas voté avant janvier, voire février 2005. Même les haririens ne verraient pas d’un mauvais œil, en l’absence de réformes, ce douzième provisioire qui empêchera les dollars de servir « la démagogie », disent-ils, de Baabda. La guerre des tranchées entre Émile Lahoud et Rafic Hariri a donc une nouvelle arène : la place de l’Étoile. Et tout va dépendre d’un seul homme : Nabih Berry.
Le président de la Chambre a menacé ces derniers jours que la Chambre, à l’instar du gouvernement, prendra, pour l’examen du budget, tout son temps. Sauf qu’il était hier, comme Rafic Hariri, à Damas. Où il a dû écouter à loisir les conseils prodigués avec douceur par les « frères » syriens. Et en prendre bonne note.
De ce qu’il dira ces deux prochains jours, publiquement ou en coulisses, des alliances qu’il pourrait reformer (comme l’an dernier lorsqu’avec Walid Joumblatt il avait fait barrage aux taxes de Fouad Siniora), dépendra l’avenir du budget. Et le résultat du énième bras de fer des deux pôles de l’Exécutif. Nabih Berry, bon gré mal gré, va faire ce qu’il adore : jouer les chefs d’orchestre. Sachant pertinemment que la partition qu’il va diriger est un des nouveaux avatars de la tutelle syrienne du Liban.

Ziyad MAKHOUL
Fouad Siniora, vendredi, aux micros de La Voix du Liban : « Si le Parlement parvient à introduire au budget des articles s’inscrivant dans le cadre d’une réforme, ce sera une heure bénite. » Le jour où un éditeur aura l’heureuse idée de réunir en un recueil perles, bêtises et autres monstruosités proférées au quotidien par tel ou tel homme politique libanais, la dernière...