Rechercher
Rechercher

Actualités

Société - En deux mois, la vente de billets de loto a augmenté de 90 % Cinq milliards de livres, une cagnotte qui fait rêver trois millions de Libanais(photo)

Un peu moins de cinq milliards de livres – (quatre milliards huit cent quatre-vingt-quatre millions, huit cent vingt-huit mille livres exactement), soit une affaire de trois millions de dollars – à gagner. Il suffit de choisir six numéros, remplir une grille, composter un billet et attendre le tirage du loto. Le gros lot est au bout du chemin. D’ailleurs, il suffit de s’attarder un peu sur le logo de la Libanaise des jeux, avec son trèfle à quatre feuilles sur fond rouge, pour être tenté. Un fer à cheval aurait pu également faire l’affaire. Car évidemment, c’est cette somme énorme, pour la première fois mise en jeu dans le pays, qui pousse les Libanais à tenter leur chance.
D’ailleurs, dans tous les points de compostage, ils vous le confirmeront : depuis que la cagnotte du loto a franchi la barre des trois milliards de livres, soit deux millions de dollars, la participation a augmenté de 90 %, pour se stabiliser ensuite. Et voilà que presque tous les Libanais se sont découvert une âme de joueur. Des hommes, des jeunes gens et des femmes, appartenant à toutes les catégories sociales, veulent tenter leur chance... au point que chez les libraires, dans les supermarchés ou autres fonds de commerce qui disposent de la machine reliée par une connexion Internet à la Libanaise des jeux, on a baptisé les lundis et les jeudis
« journées du loto ».
C’est que, ces jours-là, les joueurs commencent à affluer dès le matin pour composter leurs grilles. De petites foules se forment, on choisit des numéros et l’on patiente parfois trois quarts d’heure devant la machine, qui peut se planter... car il n’y a que dix lignes téléphoniques qui relient les ordinateurs de tout le Liban au poste central. Tous jouent pour gagner. Et parfois, le rêve de devenir millionnaire – dans un pays en crise – peut se transformer en réalité ou en dépendance à cette cagnotte que personne n’a encore remportée...
Il y a ceux qui jouent régulièrement au loto. Certains n’ont pas changé leurs habitudes, d’autres ont augmenté la somme consacrée au jeu par semaine. Dans un supermarché d’Antélias, on raconte que beaucoup de clients ont augmenté leurs mises de 20 ou 40 dollars par semaine à 300 ou 400 dollars. Et, on n’est pas prêt d’oublier le client qui a versé 2 700 dollars pour composter une dizaine de billets. Il a opté, entre autres, pour 12 grilles de dix numéros, à 315 000 livres l’une, et deux grilles de 9 numéros, à 126 000 chacune. Explications : pour augmenter les chances de gagner, on peut choisir plus de six numéros par grille à 1 500 livres et remplir sept, huit, neuf ou dix cases moyennant des sommes plus élevées. « Il faut comparer le loto à une femme, plus elle a des attraits, plus on la courtise et plus on est prêt à faire des sacrifices pour elle. Les trois millions de dollars du loto, c’est presque la même chose », indique un libraire.
Michel, ingénieur au chômage, a fait des calculs. Pour chaque tirage, il faut remplir environ 52 millions de grilles pour gagner. « C’est un simple calcul de probabilités », dit-il, soulignant que « la chance de gagner dans un endroit qui compte trois millions d’habitants est plus faible que dans un pays à fort taux de population ». Michel, qui joue au loto depuis que la cagnotte a dépassé deux milliards de livres libanaises, veut quitter le Liban s’il gagne le gros lot. D’ailleurs, c’est la réponse donnée par la plupart des jeunes gens interrogés. Aucun ne veut investir ou créer un projet. « Dans un pays en crise, on perdra l’argent gagné », affirment-ils.
Certains, plus âgés, ont l’âme plus charitable : ils donneront de l’argent aux pauvres, aux orphelins ou encore « à ces jeunes qui n’ont pas d’avenir dans le pays, pour les aider à rester et vivre dignement », indique Rose, la cinquantaine. Elle a cinq enfants et hier son mari, qui était hors de Beyrouth, l’a appelée pour qu’elle n’oublie pas de composter deux grilles à 3 000 livres libanaises. « À la première quinzaine du mois, je joue quatre grilles par tirage, mais là je n’ai plus beaucoup d’argent, je n’en ai fait que deux », explique-t-elle.
Cette cagnotte qui se chiffre à trois millions de dollars mobilise de plus en plus de maîtresses de maison ou de femmes actives de toutes les catégories sociales. Mais sachez que les joueurs de loto demeurent à 70 % du sexe fort. Et tout comme les hommes interrogés, la plupart des femmes (contrairement aux jeunes gens) utiliseront l’argent pour rembourser des dettes et vivre sans penser aux fins de mois difficiles. C’est le cas de Najah qui relève que « le deuxième prix suffit (environ 70 000 dollars) pour rembourser tout ce que je dois et économiser un peu ». Hier, elle a composté son billet en achetant des cahiers de vacances Nathan à ses deux enfants. Et comme pour se déculpabiliser, elle affirme encore : « Je ne fume pas, 1 500 livres, c’est le prix d’un paquet de cigarettes. »
Dans une librairie de Jal el-Dib, on raconte l’histoire d’un client qui revient au lendemain de chaque tirage avec des papiers pleins de chiffres et de graphes et qui explique : « J’ai fait les calculs hier soir, et voici les chiffres qui sortiront au prochain tirage », affirme-t-il inévitablement en compostant sa grille, rapporte le libraire. « La part du rêve est très importante au loto ; chacun a les mêmes chances de gagner », souligne-t-il. Il se souvient d’un homme qui, avant de composter son billet, lui avait demandé : « Qu’est-ce que je fais si je gagne et si une personne dans une autre région du pays a choisi les mêmes numéros gagnants ? » L’individu en question a failli piquer une crise quand il a été informé qu’il devrait alors partager la somme... qu’il n’a pas encore gagnée (et qu’il risque de ne jamais gagner) avec une tierce personne.
Rebecca habite Naccache. Une femme élégante et aisée. On le devine surtout à ses chaussures, sa pochette et son sac, tous assortis et finement griffés. Elle attend avec la foule de joueurs du lundi (le jour du tirage). « Ici – du plus pauvre au plus riche – tout le monde joue dans l’espoir de gagner », dit-elle. Que fera-t-elle si elle remporte le gros lot ? « Je ne sais pas. Quand je gagnerais j’y penserais, en tout cas je trouverais toujours un moyen de dépenser l’argent », dit-elle en riant. Elle est l’une des rares joueuses à ne pas parler d’une tricherie quelconque. Car les gens suspicieux sont nombreux. Ils évoquent les bureaux qui ferment vers 16 heures – quelques heures avant le tirage de 19h30 – afin que l’ordinateur puisse faire le décompte des combinaisons gagnantes.
Et comment font-ils pour truquer les balles ? « Une ou deux balles ont un diamètre infiniment plus petit que les autres, elles sont plus légères et elles sortent du lot en premier », affirment-ils le plus sérieusement du monde. Ils se demandent encore pourquoi l’entreprise n’effectue pas des tirages continus... Ils affirment que, contrairement à la Loterie nationale, on n’a jamais rendu public le nom d’un gagnant au loto. D’ailleurs, eux-mêmes ne connaissent pas des personnes qui ont choisi des numéros gagnants.
Justement, ils ignorent qu’au début de la semaine dernière, une employée de maison philippine, qui avait composté son billet dans un supermarché du Metn, a remporté le deuxième prix, 70 000 dollars. Elle est rentrée chez elle, riche et heureuse. En attendant de gagner le gros lot, essayez donc de vivre heureux en vous contentant de vos revenus. Et si vous remportez la cagnotte, souvenez-vous qu’il n’y a pas de prix pour le bonheur et que l’argent n’a aucune valeur s’il n’est pas dépensé. Et bonne chance.
Patricia KHODER
Un peu moins de cinq milliards de livres – (quatre milliards huit cent quatre-vingt-quatre millions, huit cent vingt-huit mille livres exactement), soit une affaire de trois millions de dollars – à gagner. Il suffit de choisir six numéros, remplir une grille, composter un billet et attendre le tirage du loto. Le gros lot est au bout du chemin. D’ailleurs, il suffit de...