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Sécurité - Des routes labourées et des civils en armes pour empêcher l’opposition de déjeuner chez Gabriel Murr à Bteghrine Vague d’indignations à la suite de l’agression contre les pôles de Kornet Chehwane

C’est par une vague d’indignations dans tous les milieux politiques que les incidents qui se sont produits samedi à Bteghrine ont été accueillis. Non seulement parce que des pôles de l’opposition ont été empêchés manu militari de se rendre à la résidence de M. Gabriel Murr où ils étaient invités à déjeuner, mais surtout parce que le procédé suivi pour leur barrer le chemin – labourage de routes, fermeture des voies d’accès à la résidence de M. Murr par des camions et des bulldozers, déploiement de civils armés pour intimider les plus téméraires parmi les invités – ramène le Liban à l’époque des milices qui imposaient leurs lois en l’absence de l’État, durant la guerre. Il jette aussi l’opprobre sur un pouvoir – qui a été sans doute pris pour exemple, puisqu’il n’hésite pas lui aussi à recourir à la violence et aux méthodes les plus déplorables pour essayer de neutraliser l’opposition – dont les agents de sécurité présents sur les lieux, selon les membres de Kornet Chehwane, ont laissé faire des civils armés jusqu’aux dents. Les présidents de la République et du Conseil, ainsi que le ministre de l’Intérieur ont exprimé leur mécontentement à cause de ces actes qui donnent une piètre image du Liban, mais pour l’opposition, l’indignation ne suffit pas dans ce genre de circonstances. Les pôles de Kornet Chehwane estiment que les responsables étatiques ne peuvent pas se contenter de condamnation mais doivent prendre des mesures concrètes. Quelques mesures ont été annoncées, hier, par les ministères de l’Intérieur et de la Justice.
Dans un communiqué, le bureau d’informations de ce département a annoncé qu’« en plus des mesures prises samedi, à la suite des incidents de Bteghrine, le ministre de l’Intérieur, Élias Murr, a déféré le caïmacam du Metn, Joseph Hobeiche, devant l’Inspection centrale parce qu’il s’est rendu coupable de négligence dans l’exercice de ses fonctions et qu’il n’a pas reporté ce qui s’est passé à ses supérieurs. Il a demandé au président de cet organisme de prendre les mesures administratives les plus sévères à son encontre. M. Murr a également demandé à la direction générale des FSI de transférer vers un autre poste le chef de la place de Bickfaya dont relève la gendarmerie de Bteghrine, ainsi que le chef du poste de gendarmerie de ce village, parce qu’ils n’ont pas non plus reporté les incidents à leurs supérieurs ».
Le communiqué précise que les deux personnes transférées ont été remplacées hier, ajoutant que M. Murr a « supervisé toute la nuit (de samedi à dimanche) l’enquête menée pour faire la lumière sur ce qui s’est passé et déterminer les responsabilités ». Le ministre, poursuit le communiqué, a également « invité la justice à infliger les sanctions les plus sévères à l’encontre de celui qui a tiré des coups de feu à Bteghrine et qui a été arrêté avec cinq autres personnes du village ».
Aucun mot cependant sur l’instigateur de ces incidents, sachant que ceux-ci engagent une responsabilité pénale, qu’il s’agisse des tentatives d’intimidation, du port d’armes ou de la détérioration de biens publics. Rien que pour la détérioration de biens publics, le code pénal prévoit une peine allant jusqu’à trois ans de prison, sans compter qu’en fonction de ce texte, la responsabilité de l’instigateur est la même que celle de l’auteur.
De son côté, le ministre de la Justice, Bahige Tabbarah, a demandé au parquet de veiller directement sur les enquêtes lancées par le ministère de l’Intérieur et a pris contact à cette fin avec le procureur général près la Cour de cassation, Adnane Addoum. Selon l’Ani, qui a rapporté la nouvelle, il est apparu que, jusqu’à une heure tardive de la nuit de samedi à dimanche, le parquet n’avait toujours pas été officiellement notifié de ce qui s’était passé dans la matinée.
Le ministre de la Justice a aussi pris contact avec M. Lahoud pour lui faire part de sa démarche.

Un paysage lunaire
à Bteghrine
Pour en revenir aux faits, il faut dire que, pour les détracteurs du Rassemblement de Kornet Chehwane, tous les moyens étaient bons pour empêcher les membres de ce mouvement d’opposition d’arriver à la résidence de Gabriel Murr. Ils n’ont pas hésité, pour cela, à labourer les routes de Bteghrine et à infliger ainsi un paysage lunaire au village.
En l’espace de quelques heures, Bteghrine était devenu comme un énorme chantier avec les routes labourées, les tranchées creusées dans la chaussée, les camions, les tracteurs et les bulldozers coupant la voie au niveau des chemins qui sont restés indemnes. Les membres de Kornet Chehwane qui sont montés tôt dans la matinée chez M. Gabriel Murr n’ont pas tout de suite réalisé ce qui se passait, lorsqu’ils ont été pris dans un énorme embouteillage à l’entrée de Bteghrine. Et pour cause : ceux qui faisaient semblant d’organiser la circulation leur ont raconté qu’il y a eu un accident de la route qui a fait un tué et que des travaux d’infrastructure étaient en cours dans le village.
C’est ce que les membres de KC ont indiqué à la presse. Il n’en demeure pas moins que MM. Dory Chamoun, Élias Abou Assi, le président Gemayel et son épouse, les députés Pierre Gemayel et Antoine Ghanem, ainsi que MM. Chakib Cortbaoui, Michel Khoury, Samir Abdel Malak et Élie Karamé ont pu vaincre les nombreux obstacles dressés sur leur chemin et arriver chez M. Murr.
MM. Boutros Harb, Farès Souhaid, Mansour el-Bone, Samir Frangié, Simon Karam, Gebrane Tuéni, Toufic Hindi et Jean Aziz ont eu moins de chance et ont dû rebrousser chemin.
Idem pour MM. Nassib Lahoud, Camille Ziadé et Nadim Salem, qui étaient montés ensemble, mais chacun dans sa voiture, et qui ont été la cible de tirs de civils armés jusqu’aux dents, qui les ont sommés de rebrousser chemin et de ne pas entrer à Bteghrine.
Dans une conférence de presse qu’il a tenue plus tard dans la journée à Baabdate, pour relater les faits, M. Lahoud a affirmé avoir pris contact avec le chef du Parlement, Nabih Berry, pour le mettre au courant de ce qui s’est passé « car il y va de la dignité de la Chambre », avant d’indiquer que le chef du gouvernement Rafic Hariri – en visite privée en Sardaigne – et le chef du PSP Walid Joumblatt l’ont également appelé pour exprimer leur indignation.

Série de condamnations
Un grand nombre de membres de Kornet Chehwane ont condamné en des termes très virulents les incidents de Bteghrine, notamment MM. Boutros Harb, Pierre Gemayel et Gebrane Tuéni, pour qui il serait inadmissible d’essayer d’étouffer cette affaire. « Il ne faut pas que l’action politique débouche sur des actes de banditisme et de répression des libertés », a déclaré M. Harb. « Comment est-il possible de couper des routes sous les yeux des forces de l’ordre et de transformer certaines régions en chasses gardées inaccessibles sous peine d’essuyer des tirs ? » s’est indigné M. Gemayel tandis que le PDG de notre confrère an-Nahar a estimé que ce qui s’est passé « donne la preuve de la faillite de l’État et de la classe gouvernante qui redoutent une invitation à déjeuner et qui n’hésitent pas à couper les routes pour la torpiller ».
L’incident a été aussi dénoncé par les ministres Ghazi Aridi et Karim Pakradouni, ainsi que par les députés Nehmetallah Abi Nasr, Émile Émile Lahoud, Antoine Andraos, Nasser Kandil, Mohammed Kabbani, Ahmed Fatfat, Ghassan Moukheiber. La réaction parlementaire la plus virulente a été celle de M. Bassem Sabeh, qui a vu dans les incidents de Bteghrine « le signe de la fin politique, constitutionnelle et juridique de l’autorité au pouvoir », ainsi qu’« un nouvel aspect du sous-développement politique qui a favorisé l’émergence d’une classe politique qui reste la pire que le Liban ait jamais connue ».
L’affaire Bteghrine a été aussi stigmatisée par l’ancien chef de la diplomatie, Fouad Boutros, par le Forum démocratique de M. Habib Sadek, le PSP, le Parti communiste, le parti al-Waad, ainsi que par un ancien responsable des Forces libanaises, Salman Samaha.
C’est par une vague d’indignations dans tous les milieux politiques que les incidents qui se sont produits samedi à Bteghrine ont été accueillis. Non seulement parce que des pôles de l’opposition ont été empêchés manu militari de se rendre à la résidence de M. Gabriel Murr où ils étaient invités à déjeuner, mais surtout parce que le procédé suivi pour leur barrer le chemin...