Rechercher
Rechercher

Actualités

Interview - L’ancien bâtonnier appelle les jeunes à ne pas fuir le pays Chakib Cortbaoui aux Libanais : Apprenez à dire « non »(photo)

Chakib Cortbaoui est du type combatif, pugnace. L’ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats, qui n’est pas du genre à baisser les bras, martèle depuis des années sans se lasser le même message : il n’est rien sans souveraineté, et il faut lever la mainmise syrienne sur le Liban. « La souveraineté du Liban est l’objectif pour lequel j’œuvre depuis 25 ans », précise-t-il. Sur ce point, M. Cortbaoui, membre du Rassemblement de Kornet Chehwane, ex-membre du Bloc national, est intransigeant – jusqu’au-boutiste. Alors, « il faut s’opposer, dire “non” ».
S’opposer ? « Oui. À la décadence qui frappe le pays à tous les niveaux. Au plan externe, le pays est dépossédé de sa souveraineté. Au plan interne, l’agression de Bteghrine est très significative de la décadence, qu’il s’agisse des mœurs ou de l’éthique politique. Chacun fait ce qui lui plaît, se croit autorisé à empêcher les autres de faire ce qu’ils veulent. Les services de renseignements interfèrent partout. Les Syriens aussi. Il n’y a plus d’indépendance, plus de démocratie, plus de mœurs. Le pays est victime d’une entreprise de vol caractérisé. Et personne ne dit rien. Cela est très grave », affirme Chakib Cortbaoui.
« Le rôle de l’opposition est de dénoncer et d’essayer de changer. C’est ce que nous tentons de faire. Mais le changement n’est pas facile, parce qu’il n’y a pas de démocratie. Or nous sommes pacifistes et nous voulons un changement par les urnes. Si Kornet Chehwane réclame une alternance au pouvoir, c’est parce qu’il est impossible de modifier la situation avec la caste politique qui est en place actuellement. Nous avons touché le fond du gouffre et ça suffit. C’est un changement total de mentalité qui est nécessaire », ajoute-t-il.
« Beaucoup de Libanais prétendent que l’opposition ne fait rien. Mais il n’y a pas de solution magique. Il ne faut pas confondre entre le pouvoir et l’opposition. Les citoyens attendent les résultats comme si, au niveau de l’opposition, nous avions des solutions toutes faites, toutes prêtes, et qu’on se garde de les mettre en application », poursuit-il, en militant en faveur de la « culture du “non”. » « Les Libanais doivent prendre conscience qu’ils ont aussi quelque chose à faire. Ils doivent agir, dire “non”. Personne ne peut empêcher les citoyens de voter comme ils le veulent. Les citoyens ne doivent pas se contenter de rester à se lamenter dans les salons sur la mauvaise gestion du pouvoir. Ils se doivent de dire “non”, à haute voix, devant les responsables. S’ils ne veulent pas prendre les choses en main, rien n’est possible », souligne l’ancien bâtonnier, qui tient à mettre en garde contre une certaine culture de la servitude.
Mais, en pratique, comment les citoyens doivent-ils exprimer ce mécontentement ? « Cela commence par de simples actes et culmine dans le cadre du processus électoral. Prenons le cas, par exemple, d’un député qui a été parachuté. Pourquoi lui manifester de la sympathie et lui faire des salamalecs ? Pourquoi inviter chez moi un homme qui est indigne de me représenter ? Ce sont peut-être des futilités, mais il faut commencer par là. Toutes ces courtoisies sont déplacées », estime Chakib Cortbaoui. « Il ne sert à rien d’être dans les bonnes grâce de ces personnes. Or il est de la responsabilité des citoyens de manifester leur refus de cette classe politique. Beaucoup de pays ont été occupés à travers l’histoire. Si les citoyens sont dociles, ils ne pourront rien changer », souligne-t-il.
Le laxisme des citoyens est-il à l’origine de l’enracinement d’une caste politique au bilan largement déficitaire ? « Certainement. Ils assument une grande part de responsabilité. Ils doivent dire “non” à haute voix. C’est leur droit et leur devoir. »
Pourtant, les élections du Metn ont prouvé que les gens pouvaient se mobiliser en temps dû... « C’est vrai. L’opposition a gagné, même si la caste qui gouverne le pays a falsifié la victoire. Mais si jamais les gens votent librement, le pouvoir ne peut rien faire. Il ne peut pas annuler les élections partout au Liban. Les gens parachutés ne pourront plus être députés. »

Cesser
de se lamenter...
Et c’est donc lors des prochaines élections qu’il va falloir faire le forcing ? « Certainement. C’est une étape cruciale. Il faut cesser de se lamenter et agir d’une façon démocratique. Dire “halte à la décadence, nous avons décidé de prendre notre sort en main, même s’il faut pour cela faire de petits sacrifices”. »
L’opposition n’a-t-elle pas, elle aussi, péché par omission, dans le cadre de l’affaire MTV, par exemple ? Dans sa réponse, Chakib Cortbaoui procède à une autocritique de l’opposition : « Personnellement je crois qu’il aurait peut-être fallu descendre dans la rue, bon gré, mal gré, et exprimer sa grogne. Ce qui a empêché cela, c’est que les piliers de Kornet Chehwane se sont demandé s’il fallait laisser les jeunes à la merci des services de sécurité, à un moment où l’État sévissait à outrance contre le droit à la liberté de manifester, la démocratie et l’opposition. Pour ma part, je crois qu’on aurait dû continuer. C’était une cause juste : la MTV a été fermée par une décision politique. On pourra tout faire pour me convaincre du contraire, sans réussir. J’ai été témoin de tout le processus. Je comprends que les citoyens parlent d’immobilisme de l’opposition. Mais eux aussi sont immobiles. L’opposition, à travers toutes ses composantes, doit œuvrer pour un changement. Mais sans l’appui des citoyens, rien ne peut être fait. Il faut arrêter de rejeter la responsabilité sur les autres et commencer à agir. »
Selon M. Cortbaoui, « lorsqu’un pays est en danger, le must de toute opposition est de se regrouper pour le sauver, en mettant de côté les divergences. C’est partant de ce principe que j’ai quitté le BN », l’an dernier, lorsque Carlos Eddé a décidé de se retirer de Kornet Chehwane.
« L’objectif que nous recherchons est de grouper une opposition nationale. Mais ce n’est pas la faute du Rassemblement si nous n’y sommes pas encore parvenus. Il faut voir pourquoi les autres, en particulier les leaders musulmans, refusent d’élaborer un programme commun dès lors qu’il est question de souveraineté, qui est en définitive la première, la plus grave de toutes les plaies. Nous sommes convaincus que le pluralisme est l’essence de ce pays, et que la libre décision dépend des efforts de tous les Libanais », précise-t-il.
Croit-il à un retrait imminent de l’armée syrienne ? « Le problème n’est pas seulement au niveau de la présence de l’armée syrienne. Il découle surtout de l’ingérence des SR syriens et de la mainmise sur le pouvoir. Si les Syriens ont besoin d’une base militaire au Liban dans leur lutte contre Israël, les Libanais ne sont pas contre. Mais cela ne justifie pas la présence de soldats syriens aux Cèdres et à Bécharré ! »
La classe politique est-elle responsable de l’importance du rôle syrien au Liban ? « Non. Cette classe est le produit de l’ingérence syrienne. Le jour où il n’y aura plus d’ingérences, cette classe politique disparaîtra seule, aussi vite qu’elle a été parachutée. »
Pour Chakib Cortbaoui, le fondement d’un programme commun d’opposition nationale et plurielle doit être le consensus sur le principe et le concept de la souveraineté : « Dans les textes, nous sommes indépendants, mais pas dans la pratique. Or on ne peut transiger sur un problème comme celui-là. Il faut être jusqu’au-boutiste. Être indépendant, ce n’est pas être l’ennemi de la Syrie, bien au contraire. Nous avons beaucoup de points communs, mais cette relation doit reposer sur le principe de l’indépendance. »

Rester au Liban,
coûte que coûte
Mais une autre angoisse, tout aussi grande et douloureuse, guette M. Cortbaoui : l’émigration massive des jeunes et ce spectacle terrible qu’offre, tous les jours, l’ambassade du Canada. « Il faut que les responsables passent en milieu de semaine, avant 7h30, sur l’autoroute de Jal el-Dib, devant l’ambassade du Canada, et regardent la file interminable de jeunes qui font la queue pour l’émigration. Qu’ils scrutent leurs visages. Qu’ils les apostrophent pour leur demander pourquoi ils quittent le pays... », dit-il.
« L’autre jour, j’ai arrêté ma voiture pour bien regarder ces visages. Il devait y avoir une centaine de jeunes. Moi, j’ai choisi pour mes enfants, en n’essayant pas d’obtenir un second passeport. Ai-je bien agi ? Il m’arrive parfois d’en douter », poursuit l’ancien bâtonnier, déplorant le « phénomène de contagion » qui entraîne tout le monde à quitter, même ceux qui peuvent rester.
« Loin de moi l’idée de faire des sermons. Mais je veux encourager les jeunes à rester au Liban. Pourquoi vous quittez ? C’est à vous d’œuvrer pour rétablir les libertés, l’égalité, la démocratie. Être libanais, ce n’est pas seulement avoir des privilèges, mais aussi des devoirs. Je sais qu’on ne peut plus arrêter ce phénomène d’émigration, mais il faut le freiner. Les jeunes ne doivent pas tourner le dos à la première difficulté.
« Cela m’inquiète d’entendre des Libanais installés à l’étranger, qui viennent passer leurs vacances au Liban, dire qu’ils reviendront définitivement quand le pays ira mieux. Je voudrais leur dire : Mais c’est maintenant que le Liban a besoin de vous. Quand il ira mieux, il n’aura plus besoin de vous ! Ne quittez pas ce pays pour n’importe quelle raison. Il est de la responsabilité de tout le monde de le sauvegarder. Moi, je fais déjà partie du passé. À peine du présent. L’avenir, ce sont les jeunes qui le forgent... »
Michel HAJJI GEORGIOU
Chakib Cortbaoui est du type combatif, pugnace. L’ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats, qui n’est pas du genre à baisser les bras, martèle depuis des années sans se lasser le même message : il n’est rien sans souveraineté, et il faut lever la mainmise syrienne sur le Liban. « La souveraineté du Liban est l’objectif pour lequel j’œuvre depuis 25 ans », précise-t-il. Sur...