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Interview - Le patriarche maronite entame jeudi une tournée pastorale en Europe Sfeir : L’hégémonie syrienne vide le Liban de sa jeunesse (photo)

Le chef de l’Église maronite entreprend, à partir de jeudi, une visite pastorale en Europe de plus d’un mois qui le conduira successivement en France, en Belgique, en Italie, en Suisse, en Suède, en Allemagne et en Grande-Bretagne. En France, la visite du patriarche Sfeir revêtira un double aspect, celle d’une visite pastorale et d’une visite d’État. Vendredi, le patriarche maronite sera reçu au palais de l’Élysée et s’entretiendra avec le président Jacques Chirac. À Rome, il participera aux cérémonies marquant le jubilé d’argent du pontificat de Jean-Paul II. En Allemagne, il aura un entretien avec le chancelier Gerhard Schröder.La multiplication des voyages pastoraux du chef de l’Église maronite est symptomatique de l’importance grandissante de l’émigration maronite dans le monde, un phénomène hélas en partie lié à l’hémorragie humaine qui affecte les forces vives du Liban toutes communautés confondues. Ainsi, comme pour tous ses autres voyages pastoraux, des occasions seront offertes au patriarche de parler de la situation au Liban et d’élever la voix pour défendre des positions nationales.
À la veille de son départ, le patriarche maronite a bien voulu répondre aux questions de L’Orient-Le Jour. Sur sa visite pastorale, le chef de l’Église maronite précise qu’elle ressemble à ses autres visites aux maronites installés en Amérique du Nord, en Amérique latine ou en Australie. Ce sera l’occasion, dit-il, d’établir le contact avec les maronites installés en Europe et de les inviter à maintenir leurs liens avec le Liban et leur Église.
« Pour les maronites installés en Europe, il y a moins de difficulté à se rattacher au Liban, car ils en sont proches, géographiquement, alors qu’il y a peu d’espoir que des jeunes qui s’en vont en Australie ou au Canada reviennent. L’Europe n’est pas si loin, on peut espérer les voir revenir », précise le patriarche Sfeir.
Selon lui, il y a environ
150 000 maronites en Europe, dont la moitié au moins est installée en France.
Combien y a-t-il de maronites au Liban ? « Je n’ai pas d’estimation, car depuis 1932, il n’y a pas eu de recensement au Liban », répond évasivement le patriarche. Mais son discours est teinté de gravité, presque de pessimisme, toutes les fois qu’il est question de l’émigration des jeunes, de l’influence syrienne ou de la situation économique.
« La jeunesse libanaise quitte le Liban faute de travail, mais aussi parce qu’elle supporte mal le climat politique », souligne le patriarche Sfeir.
Le climat politique dont il est question, c’est d’abord celui que crée l’envahissante présence syrienne au Liban.
« Depuis l’an 2000, précise le patriarche, l’Assemblée des évêques maronites lance un appel annuel. Nous avons mis en garde, cette année, contre le risque de disparition du Liban, déplorant le fait que ce risque soit couru du fait du pays qui lui est le plus proche, la Syrie (...) l’hégémonie syrienne a prouvé qu’elle était une mauvaise chose. »
N’exagère-t-il pas ? La réponse est péremptoire : « Disparition, entendons-nous. Le roc et la terre resteront. Mais la jeunesse libanaise s’en va, et la jeunesse, c’est l’avenir. Quand l’avenir nous fuit, oui, la peur se justifie. »

L’opposition à la Syrie
Mais l’opposition à la Syrie est-elle le seul fait des chrétiens ? Quand il s’exprime, a-t-il le sentiment de le faire au nom de tous les Libanais ?
« On ne peut pas dire que ce sont les chrétiens seulement qui s’opposent à la prédominance syrienne. C’est une question de principe. Le Liban comme tout autre pays, doit être indépendant, souverain et jouir de sa libre décision. Cela concerne toute la population libanaise. Mais il y en a qui s’expriment plus franchement que les autres, pour des raisons bien connues. Ou bien ils ont des affinités avec les Syriens, ou bien par mesure de précaution... »
On parle d’une évolution de l’attitude de la Syrie envers le Liban, la perçoit-il ?
« On le dit, je reçois de temps en temps des émissaires libanais qui sont en contact avec la Syrie. Ils disent que les Syriens ont redéployé par quatre fois leur armée. C’est vrai qu’il y a des endroits ou l’armée syrienne était visible et où actuellement ce n’est plus le cas. Mais elle continue d’être présente dans d’autres régions. Ce qui fait du mal au pays, ce n’est pas tant la présence de l’armée syrienne que l’intervention et l’immixtion syrienne dans les affaires intérieures du Liban. Et parce que la Syrie s’immisce dans les affaires du Liban, on ne peut quand même pas rendre le Liban à lui seul responsable de cette situation. Il y a, pour ainsi dire, coresponsabilité, car ils (les Syriens) se comportent en maîtres de céans. »
Mais on parle aussi d’une évolution interne du régime syrien vers une plus grande ouverture ? « On le dit, répond le patriarche. On a changé le gouvernement. Mais ceux qui profitent du Liban, ce ne sont pas seulement les personnalités haut placées. Il y a aussi les gens ordinaires. Il se peut que les personnes haut placées ne sachent rien ou soient incapables d’y remédier. »
Le discours antisyrien n’a-t-il pas des effets pervers pour les chrétiens ?
« Nous avons quand même le droit de dire la vérité sans choquer personne, répond le patriarche Sfeir. Nous ne cherchons pas querelle à la Syrie. Nous voulons rester amis. Mais nous avons intérêt à dire que nous devons récupérer notre indépendance et notre souveraineté. »

Un espoir dans le dialogue
Lors du synode patriarcal maronite, vous avez dit que l’Église maronite n’a jamais pensé à la partition.
« Nous avons vécu avec les musulmans dès l’aube de l’islam. Il y a eu des jours difficiles, tragiques mêmes, et il y a eu des jours fastes. Jusqu’ici tous ceux qui ont cherché à créer une entité chrétienne ont échoué. Le territoire libanais est tellement exigu qu’on ne peut pas créer deux États. Je ne veux pas entrer dans la conscience des gens. Il y en a peut-être qui le pensent (à la partition). Mais je ne suis pas de ceux-là, car je sais que le fait de vivre ensemble est bénéfique pour les deux, d’ailleurs il n’y a pas d’autre solution. »
Le sentiment de marginalisation de certains chrétiens vous paraît-il justifié ? « Il y a certainement, chez des chrétiens opposés au régime, un sentiment qu’ils sont persécutés. Ils n’ont pas leur mot à dire, ils sont jetés en prison. Cela se voit, je ne l’invente pas. Il faudrait y remédier, leur faire sentir qu’ils sont comme tous les autres Libanais. »
Voyez-vous un espoir dans le dialogue islamo-chrétien ? « Le dialogue n’est pas continu. La moindre chose l’arrête. À l’occasion de la récente élection partielle (Baabda-Aley), les réflexes communautaires ont repris le dessus. Il faudrait assainir l’atmosphère, oublier le passé, bâtir l’avenir ensemble, sans préjugé communautaire. »
Croyez-vous qu’il y a un risque de déstabilisation du Liban, dans la situation régionale actuelle ? La réponse du patriarche est terrible : « Nous avons eu notre part de malheurs.Il n’y a plus rien chez nous qui mérite l’embrasement. Du point de vue de la sécurité, nous allons mieux que certains de nos voisins. Mais le risque de contagion subsiste. Il y a un proverbe arabe qui dit : “Tu vas bien si ton voisin va bien”. Le contraire est également vrai. Si votre voisin se porte mal, il y a risque de contagion. Ce qui vaut pour les personnes vaut pour les États. Mais du point de vue de la sécurité, le Liban est plus solide que n’importe quel autre pays de la région. Il y a certes des problèmes sociaux et la dette. Si le Liban sait assainir sa situation financière, il pourra s’en sortir. »
Propos recueillis par
Fady NOUN
Le chef de l’Église maronite entreprend, à partir de jeudi, une visite pastorale en Europe de plus d’un mois qui le conduira successivement en France, en Belgique, en Italie, en Suisse, en Suède, en Allemagne et en Grande-Bretagne. En France, la visite du patriarche Sfeir revêtira un double aspect, celle d’une visite pastorale et d’une visite d’État. Vendredi, le patriarche...