Cette réaction de corps, impulsive, conjoncturelle, étonne un peu nombre d’opposants. Qui se demandent, répétons-le, pourquoi l’État se réveille maintenant, alors que Aoun est en exil depuis tant d’années. Ces professionnels ajoutent que les méthodes dures adoptées actuellement ont été négligées dans d’autres cas similaires, concernant des pôles politiques, publics ou parareligieux. Des affaires où les autorités ont fait montre de plus de pusillanimité, sinon de moins d’audace, préférant souvent négocier, au détriment comme au mépris de la loi brute. Pour ces sources, l’inconvénient majeur de l’attitude officielle observée par rapport à Aoun est qu’elle alimente d’une manière sous-jacente de redoutables tensions d’ordre confessionnel. Car dans la rue chrétienne beaucoup, même parmi les rivaux de Aoun, se rangent instinctivement aux côtés de l’agressé. Les opposants ne peuvent d’ailleurs s’empêcher d’émettre le doute que cette exacerbation confessionnelle est l’un des buts recherchés par certains.
Pour rappeler ensuite, assez perfidement, qu’à la veille de la partielle de Baabda-Aley, et pendant le scrutin même, des officiels s’étaient félicités de la participation des aounistes. En y trouvant la preuve que ce courant s’alignait enfin sur Taëf et sur l’ordre établi. Donc à ce moment-là encore, Aoun était en quelque sorte applaudi par ces loyalistes, et certains d’entre eux l’invitaient directement à retourner au pays. Ils en reconnaissaient la popularité, prenant même plaisir à noter qu’elle s’étendait en fait à de multiples confessions. Maintenant, les mêmes se déchaînent contre Aoun et lui promettent les fers, s’il revenait. Après son coup d’éclat au Congrès, ils n’hésitent pas à le soupçonner de vouloir fomenter un putsch ! En l’accusant en tout cas, et au bas mot, de haute trahison caractérisée. Les plus habiles de ces stratèges affirment qu’il faut faire une distinction entre Aoun et son courant présent sur le sol national. Comme si les militants de la base allaient désavouer les positions de leur chef. Pour le fond, et comme toujours, les opposants relèvent que la campagne de haine est trop bien synchronisée, trop bien orchestrée pour qu’on n’y voie pas les effets du fameux remote control. La preuve en étant l’entrée en lice de polémiqueurs professionnels, éléments aboyeurs bien connus, formant une claque comme on dit au théâtre, qui ne bougent jamais que sur ordre des décideurs. Les vétérans se souviennent à ce propos des pratiques de l’ancienne dactylo, qui avait au moins le mérite d’être purement autochtone.
Si l’on se place strictement du point de vue de Damas, on peut comprendre la réaction d’irritation à l’encontre de Aoun. Il s’est en effet attaqué à la Syrie au lendemain même d’une partielle où cette puissance, en restant neutre, avait permis à son courant d’engranger 25 000 voix.
Quoi qu’il en soit, on se demande aujourd’hui si Aoun va chercher à voir Sfeir, lors du passage en France du prélat. Le patriarche, indiquent ses proches, est contre les positions de certains politiciens et contre le Syria Accountability Act car les paris sur l’étranger (entendre sur les USA) ne servent à rien. Il faut d’après lui militer pour la souveraineté, corriger les relations libano-syriennes, qui en ont bien besoin, dans un cadre purement bilatéral. Et dans la concorde, pas dans la haine.
Philippe ABI-AKL
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