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REGARD - Panoramas européens : portraits des 15 capitales de l’Union Le temps et donc l’espace

Indigeste à force d’ambition documentaire, cette exposition mammouth assène des tonnes de données à assimiler en deux ou trois heures, faute de catalogue. Il a été jugé trop cher par les organisateurs qui ont renoncé à l’importer. Dommage. Il aurait donné matière à réflexion à nos édiles qui n’ont pas le goût de ce genre d’exercice, je veux dire la lecture debout de panneaux bourrés de photos, de dessins et de textes. Beyrouth n’est précisément pas une ville modèle pour ce qui est de la planification urbaine et des projections d’avenir. L’aménagement du centre-ville ne doit pas faire illusion. Son développement se fait aux dépens des autres quartiers en l’absence d’une gestion équilibrée de l’espace métropolitain en pleine transformation, avec une expansion anarchique extra-muros le long des artères autoroutières. Noyades En cette ère d’idéologie ultralibérale, les initiatives privées ont la bride sur le cou. Ce qui aboutit, entre autres, à l’accaparement de la côte, censée relever du domaine public et donc profiter à tout le monde, par des stations balnéaires et des complexes hôteliers exclusifs. On a même supprimé la plage populaire municipale de Ramlet el-Baïda, l’un des rares exutoires pour les citoyens démunis et même pour les autres, pourtant inaugurée en grande pompe il n’y a pas si longtemps. Ce qui ne l’empêche pas d’être de nouveau colonisée par les baigneurs et les marcheurs sur sable, mais cette fois-ci sans commodités sanitaires et sécuritaires et sans maîtres nageurs. Il y aura donc des noyades cet été, vu l’existence de courants marins souvent assez forts. C’est la manière dont les autorités veillent au bien-être de la population. Beyrouth, c’est aussi le Grand-Beyrouth, une conurbation au tissu lâche, avec des vides, des trous, des friches, des noyaux plus ou moins organisés, une architecture aussi anarchique que possible, des espaces publics de sociabilité, de civilité et de convivialité urbaines quasi inexistants ou en voie de disparition s’ils existent encore, vestiges des anciens villages intégrés, à échelle humaine,enfin des empiétements systématiques sur les terrains agricoles et sur les flancs boisés des collines et des montagnes dont la couverture arborée est graduellement anéantie par le béton. Désagrégation La réflexion menée par les commissaires de Panoramas européens porte précisément sur la désagrégation de la ville en tant que configuration délimitée dotée d’une morphologie géométrique identifiable. Désagrégation qui, pour Beyrouth, a commencé avec la démolition, dans la seconde moitié du XIXe siècle, de ses remparts dont il ne reste aucune trace sauf toponymique dans des noms comme Bab Edriss et Assour. Tant que la démographie de la ville est restée modeste, elle a pu préserver une physionomie familière. L’afflux soudain de centaines de milliers de ruraux dans les années 1960 a mis fin à cette figure avenante avec la naissance, dans le désordre et la confusion, de banlieues congestionnées, alors que la ville est censée être régie par l’ordre et l’organisation, étant à l’origine un espace structuré, policé et fini reflétant souvent l’ordre cosmique, image du ciel sur la terre, opposé à la nature sauvage, chaotique, infinie. Le connu sécurisant et sans mystère contre l’inconnu mystérieux de tous les dangers. Cette explosion suburbaine, en dehors de toutes les normes traditionnelles d’évolution du tissu urbain, est également le fléau de la plupart des capitales et grandes villes européennes. En raison, mise à part le révolution industrielle qui a tout initié, de l’invasion du trafic automobile nécessitant la construction d’infrastructures autoroutières qui deviennent vite des attracteurs de développement suburbain trop rapide pour être intégré dans des planifications globales portant sur des régions entières. Chaos mégalopolitain Aujourd’hui, la ville ne se cherche plus une configuration face au chaos de la nature extérieure mais face au chaos de sa propre prolifération mégalopolitaine, dans un territoire où la nature au sens originel du terme a été presque totalement évacuée. Il ne s’agit plus de créer un ordre humain rationnel séparé de l’environnement naturel, même quand il ne se ferme pas tout à fait à lui. Il s’agit de couper dans le vif du tissu cancéreux pour y inscrire de grands projets cohérents, surtout des équipements et des espaces publics, des lieux de rencontre et d’échange capables de redonner une orientation, un sens, une qualité de vie à tout ce qui grouille autour. Après l’assèchement de la vague postmoderniste qui a prévalu un certain temps en Europe, les aménageurs urbains reviennent à une conscience plus aiguë de l’histoire des villes, de leur patrimoine urbain, architectural et culturel, à un souci d’intégration du nouveau dans l’ancien ou de l’ancien dans le nouveau, ou du moins d’harmonisation, par exemple en multipliant les liaisons et les réseaux entre des lieux de la ville autrefois séparés pour mettre fin à des ségrégations encore trop flagrantes. Urbanité renouvelée Cette méthode d’intervention s’applique surtout au cœur des villes anciennes, souvent avec grand succès plastique, comme la reconstruction du quartier du Chiado à Lisbonne par Alvaro Siza Vieira après l’incendie de 1988. Mais le problème reste entier pour ce qui est des confins des villes, désormais incertains, mouvants, en perpétuelle transformation. Les grands projets peuvent contribuer à une certaine fixation de cette mobilité sans pour autant l’arrêter ou la rationaliser. Certaines villes s’y efforcent par tout un appareil de lois, de régulations, de zonages, de spécifications. Mais le mal est fait, il s’agit de le réparer ou de le corriger plutôt que de l’extirper. L’un des moyens les plus efficaces pour limiter les méfaits de la circulation automobile, notamment de la voiture individuelle, est la mise en place de transports publics performants par bus, métro, train, tramway, de pistes cyclables pour encourager l’usage du vélo et de zones piétonnes, manières de promouvoir une urbanité renouvelée, loin de l’isolement stressé et agressif de l’automobiliste pressé. Révision déchirante Ce qui manque sans doute à tous les projets de réhabilitation, de requalification et de revitalisation des métropoles et mégalopoles par ce que l’un des commissaires de l’exposition appelle des mégaformes, complexes horizontaux pouvant comprendre plusieurs mégastructures, tels les stades, les universités, les gares, les centres commerciaux ponctuant le paysage bâti et lui donnant un visage caractéristique, ce qui manque le plus, ce n’est pas tellement l’aménagement de l’espace, c’est l’aménagement (ou le manégement) du temps, sa réhabilitation et sa revalorisation dans une culture contemporaine qui, étant asservie à la vitesse et à la rentabilité, le craint et redoute ses sanctions. Je veux parler de la revalorisation du temps dit perdu, du temps de vivre, de flâner, de rencontrer les autres, de dialoguer, ce qui est l’une des premières fonctions des villes. À cette seule condition peut-on mettre un terme à la frénésie qui consume le monde occidental et qui gagne, mondialisation oblige, le reste de la planète.Une telle réévaluation du temps nécessite une réévaluation de la culture, une révision déchirante de l’idéologie capitaliste ultralibérale pour qui le temps est uniquement de l’argent, une mesure de la productivité à l’usine, au bureau, à la bourse ou sur les stades, et non point de la vie, purement et simplement, une pure gratuité, une dépense et non une recette, une jouissance sans finalité obligée. Utopie Même la civilisation dite des loisirs est dominée par cette notion de temps performant et n’aboutit le plus souvent qu’à une nouvelle servitude, un nouveau genre de stress au lieu d’une nouvelle forme d’émancipation, de liberté. La ville, la culture, la civilisation sont des espaces-temps, indissociablement. Qu’on se donne un temps plus humain, moins obsédé par la vanité du profit, le mirage du gain, l’illusion des résultats, on se donnera automatiquement un espace consonant où respirer n’équivaudra plus à étouffer. De l’utopie, dira-t-on, littéralement un non-lieu. Par quoi d’autre qu’un autre non-lieu débouter le non-lieu mégalopolitain, modèle urbain de l’entropie universelle ? (Villa Audi, Sofil). Joseph TARRAB L’exposition Après Paris, Amsterdam, Madrid et Berlin, « Panoramas européens à Beyrouth » est une exposition qui se déroule à la Villa Audi-Sofil jusqu’au 23 mai. Un événement organisé par l’école d’architecture de l’Alba avec le soutien de la Délégation européenne. L’exposition est mise sur pied par le Pavillon de l’Arsenal, centre d’information, de documentation et d’exposition d’urbanisme et d’architecture de la ville de Paris. Créé en 1988, il est ce lieu unique où l’aménagement de Paris et ses réalisations architecturales sont mis à la portée de tous. « C’est une occasion de découvrir les 15 capitales européennes sous un jour inhabituel. Si ces capitales font partie d’une même entité économique et politique, leur histoire et leur développement architectural et urbain les différencient et les identifient. En dressant le portrait urbain et architectural de ces 15 métropoles, une réflexion ici est engagée sur les différents aspects de l’évolution et de la mutation de ces grandes villes selon deux axes majeurs: la ville historique et sa transformation et les stratégies de conquête des territoires métropolitains », écrit J-P Caffet, président du Pavillon de l’Arsenal. Une sélection de projets et de réalisations des cinq dernières années témoigne du dynamisme de ces capitales.
Indigeste à force d’ambition documentaire, cette exposition mammouth assène des tonnes de données à assimiler en deux ou trois heures, faute de catalogue. Il a été jugé trop cher par les organisateurs qui ont renoncé à l’importer. Dommage. Il aurait donné matière à réflexion à nos édiles qui n’ont pas le goût de ce genre d’exercice, je veux dire la lecture debout de...