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Diplomatie - L’Iran ne voit plus le Liban à travers le seul prisme du Hezbollah Khatami à Beyrouth : l’image d’un islamisme modéré et un message de paix(photos)

Ce n’est pas seulement un amoureux du Liban (qu’il a déjà visité en 1997, participant à un débat intellectuel avec le mouvement culturel d’Antélias) qui entame ce matin une visite de trois jours à Beyrouth, mais aussi le président de la République islamique iranienne, avec laquelle le pays du Cèdre n’a pas toujours entretenu les meilleurs rapports. Khatami, le réformateur, le symbole d’un islam modéré et démocratique (même si, de prime abord, les deux concepts peuvent paraître contradictoires), est aujourd’hui le représentant de l’ensemble de l’Iran et c’est à l’ensemble du Liban qu’il entend s’adresser, dans cette période cruciale pour toute la région, alors que pendant des années, l’État des ayatollahs n’a vu le Liban qu’à travers le prisme peut-être un peu déformant du Hezbollah. À voir le nombre de banderoles de bienvenue et de drapeaux accrochés le long de toutes les artères principales de la capitale, on mesure très vite l’importance accordée par le Liban à la visite de trois jours du président Mohammed Khatami. Non seulement c’est la première d’un président de la République islamique depuis sa création en 1979, mais elle intervient à une étape particulièrement délicate où, selon Michel Naoufal, spécialiste des relations libano-iraniennes, les Américains multiplient les pressions sur la Syrie, pour qu’elle se désengage du conflit israélo-palestinien, et sur l’Iran pour qu’il rompe ses liens avec le Hezbollah. À l’origine du Hezbollah, les gardiens de la révolution Dans les deux cas, ce ne sera pas chose facile. D’autant que depuis 1979, une relation de fascination réciproque semble lier la République islamique et les chiites du Liban. D’ailleurs, très vite, un grand nombre de Libanais (et de Palestiniens) se sont rendus en Iran pour y étudier de près le phénomène et s’en inspirer. Mais ce n’est qu’en 1982, après l’invasion israélienne, que la présence iranienne a commencé à être visible au Liban. Des centaines de gardiens de la révolution se sont alors installés à Baalbeck, dans la caserne Cheikh Abdallah, pour former militairement et idéologiquement les chiites du Liban. C’était alors pour la jeune République islamique la première occasion d’exporter sa révolution. Les Iraniens ont ainsi mis au service des chiites libanais des moyens militaires et humanitaires, en édifiant un hôpital à Baalbeck même et en construisant des écoles. Il s’agissait d’aider les Libanais à créer un mouvement de résistance structuré, contre l’occupation israélienne. Et c’est en 1983 qu’est né officiellement le Hezbollah, fruit d’une fusion entre trois courants : le parti al-Daawa (né en en Irak certes, mais à vocation expansionniste au point de s’être implanté au Liban et sayyed Mohammed Hussein Fadlallah en était proche à l’époque), le noyau islamiste du mouvement Amal, qui s’apprêtait à quitter ce mouvement parce qu’il ne se retrouvait plus dans son idéologie, et de nombreux noyaux de l’ex-gauche libanaise et proches du Fateh palestinien. Le premier secrétaire général du Hezbollah était cheikh Sobhi Toufayli, un représentant de la ligne la plus dure en Iran et au Liban. Car, à l’époque, ce parti était entièrement sous la coupe de Téhéran, Damas n’étant qu’un simple passage obligé. Ses instructions, il les prenait directement de l’ancien ministre de l’Intérieur iranien, Ali Akbar Mohtachémi, qui a joué un rôle déterminant dans la création du Hezbollah et dans son organisation. Aujourd’hui encore, Mohtachémi continue à avoir une certaine influence sur le parti, mais il fait désormais partie des réformateurs... À ses débuts donc, le Hezbollah était entièrement pro-iranien et ses relations avec la Syrie étaient on ne peut plus mouvementées. Il y a d’ailleurs eu une véritable tuerie à la caserne Fathallah à Beyrouth où dix-huit membres du parti ont trouvé la mort, sans oublier la multiplication des incidents sanglants entre Amal et le Hezbollah, qui reflétaient le bras de fer que se livraient la Syrie et l’Iran avec pour enjeu le contrôle de la communauté chiite au Liban. Finalement, l’appui de la Syrie à l’Iran pendant la guerre irako-iranienne aidant, les deux pays ont abouti à un compromis politique et il a été convenu de renforcer l’influence syrienne sur le Hezbollah, qui s’est ainsi inscrit dans la stratégie de la Syrie, devenant ce qu’on appelle communément un instrument entre les mains de Damas. Cheikh Sobhi Toufayli, qui refusait cette mutation du parti et rejetait toute participation à la vie politique libanaise, par le biais des élections législatives, a été remplacé. Ce qui ne l’a pas empêché, plus tard, d’être récupéré par les Syriens et de présenter à son tour des candidats aux élections législatives de 2000, mais cela est une autre histoire. Cheikh Abbas Moussawi a pris la tête du Hezbollah, mais il a été assassiné par les Israéliens, avec sa femme et son fils, et c’est sayyed Hassan Nasrallah qui a pris la relève, concrétisant la syrianisation du Hezbollah. Au cœur des divergences, la « wilayat al-Fakih » Mais ce parti n’en continue pas moins à avoir des liens très étroits avec l’Iran, qui reste sa référence religieuse. Pendant des années, les responsables iraniens se rendaient d’ailleurs à Beyrouth et y rencontraient les dirigeants du parti, sans passer par l’État. L’ayatollah Khaménéi est ainsi l’autorité religieuse suprême pour le Hezbollah, qui reconnaît le fondement même de la République islamique d’Iran, la « wilayat al-Fakih », qui donne aux autorités religieuses un pouvoir absolu puisqu’il vient d’Allah. Sayyed Mohammed Hussein Fadlallah, par contre, considère que cette « wilayat » est un phénomène propre à l’Iran et il n’est pas exportable ni applicable chez les autres communautés chiites. Cheikh Mohammed Chamseddine, de son côté, avait lancé une théorie à ce sujet, considérant que la « wilayat » ne peut être absolue. Elle se résume à un mandat qui est donné aux autorités religieuses et qui dit mandat, dit demande de comptes. Ces nuances peuvent paraître secondaires, elles montrent en fait l’étendue des divergences interchiites, qui ont une origine religieuse, liée aux différentes jurisprudences. Le Hezbollah relève donc strictement de l’autorité religieuse de l’ayatollah Khaménéi. C’est dire que ses relations ne peuvent être cordiales avec le président Khatami, qui, sans pouvoir le dire ouvertement, cherche à réduire le pouvoir absolu des religieux dans son pays. Pourtant, selon certaines sources bien informées, l’ancien chef occulte du Hezbollah, Ali Akbar Mohtachémi, aurait récemment conseillé à ce dernier de se rapprocher du président iranien. Celui-ci aurait aussitôt envoyé son frère, qui est aussi le président du Front de participation islamique, à Beyrouth pour s’y entretenir avec les dirigeants du parti. C’est donc fort de cette nouvelle relation, mais aussi du fait que Khatami représente surtout la République islamique d’Iran, que le Hezbollah compte lui réserver un accueil d’une rare chaleur. Pour le parti, montré du doigt par presque l’ensemble de la communauté internationale, c’est l’occasion de rendre à l’Iran une partie de ce qu’il lui doit mais aussi de montrer son immense capacité de mobilisation populaire et sa représentativité sur le terrain. Et, pour ne pas réveiller les vieilles querelles chiites qui pourraient ternir le message qu’il souhaite transmettre, Nasrallah s’est rendu à la fin de la semaine dernière chez Fadlallah, avec lequel les divergences religieuses restent profondes, ce dernier étant un réformateur, prônant un islam modéré et démocratique, à l’instar de Khatami. Nasrallah souhaite donc, à la faveur de la visite de Khatami, s’offrir un baroud d’honneur, le dernier peut-être en tant que chef d’un mouvement de résistance armée. Car, au-delà des symbolismes évidents et de l’apparent appui à la résistance contre l’occupation israélienne, Michel Naoufal considère que Khatami délivrera un message de calme et de pondération. D’accord donc pour la solidarité, mais concrètement, en raison de l’ampleur du chambardement géostratégique, il vaudrait mieux calmer le jeu. L’Iran serait en effet très inquiet des derniers développements internationaux. Il est désormais encerclé par les Américains, de la mer Caspienne à l’Irak, et il est placé sous le microscope de l’Administration Bush. D’ailleurs, les griefs que cette même administration avait contre le régime de Saddam Hussein pourraient s’appliquer à l’Iran, notamment la possession d’armes de destruction massive. C’est dire que la République islamique ne prend pas à la légère les menaces américaines et la nouvelle donne dans la région et souhaiterait que ses interlocuteurs libanais aient la même approche. Selon les Iraniens, il serait bon que le calme règne sur tous les fronts, pour ne pas fournir de prétexte à une Administration américaine forte de sa récente victoire en Iran. Khatami et le dialogue islamo-chrétien Mais, toujours selon M. Naoufal, il serait injuste et réducteur de ne voir dans la visite de Khatami à Beyrouth que le volet politique, voire chiite. Ce réformateur, moderniste, qui mise sur le dialogue et l’ouverture, éprouve une grande admiration pour l’expérience libanaise de pluralisme et de dialogue islamo-chrétien. Il avait d’ailleurs participé en 1997 à un débat sur ce thème avec le Mouvement culturel d’Antélias et il avait alors été agréablement impressionné par la profondeur du dialogue et par la pensée des intellectuels chrétiens. C’est d’ailleurs pourquoi il compte profiter de sa visite au Liban pour se rendre à l’USJ, et même pour rencontrer le patriarche Sfeir qu’il compte recevoir à Téhéran, dans le plus proche avenir. Selon les spécialistes, c’est à l’USJ que Khatami exprimera toute la profondeur de sa pensée. Ce président, qui terminera bientôt son second mandat (la Constitution iranienne en interdit un troisième), souhaite sincèrement faire avancer le dialogue islamo-chrétien, lui qui a voulu placer sa diplomatie sous le signe du dialogue des cultures. Avec ses interlocuteurs chrétiens et avec les jeunes, Khatami exprimera sa vision du monde et de l’avenir des peuples. Et c’est là qu’il délivrera son message humaniste. Même si son second mandat touche à sa fin, le courant qu’il incarne ne risque pas de disparaître. Le revers essuyé aux dernières élections municipales a d’ailleurs été interprété comme un vote de sanction parce que la jeunesse et la nouvelle élite urbaine née au cours de ces dernières années ont considéré qu’il n’a pas opéré suffisamment de réformes. La demande est donc de plus en plus grande et le processus irréversible. C’est peut-être là un des importants messages que délivrera le président iranien, au-delà des considérations politiques. Scarlett HADDAD
Ce n’est pas seulement un amoureux du Liban (qu’il a déjà visité en 1997, participant à un débat intellectuel avec le mouvement culturel d’Antélias) qui entame ce matin une visite de trois jours à Beyrouth, mais aussi le président de la République islamique iranienne, avec laquelle le pays du Cèdre n’a pas toujours entretenu les meilleurs rapports. Khatami, le...