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REGARD - « Women by Women », peintures, installations « Les racines du monde »

Les œuvres d’art ne sont pas tributaires du sexe de leurs auteurs. Néanmoins, si l’on excepte la peinture d’agrément dite « féminine », les artistes femmes transmettent habituellement dans leurs travaux une vision spécifique enracinée dans leurs expériences vécues. Les premières peintres femmes au Liban, de véritables pionnières, se sont souvent montrées plus audacieuses, plus radicales, moins entravées par les préjugés sociaux et les contraintes artistiques que leurs homologues masculins. Ayant plus d’énergie à dépenser pour s’affirmer dans un environnement social et culturel peu enclin à la tolérance envers la libre expression des femmes, artistes ou autres, elles ont réussi une émancipation plus dynamique. Libre choix Les vingt artistes de trente à soixante ans qui figurent dans cette exposition, ainsi que leurs collègues plus jeunes, n’ont pas eu à s’arracher à la réserve, voire au silence qu’on attendait de leurs aînées pour pouvoir déployer leur plein potentiel. La voie était déjà frayée en quelque sorte. Elles se sont naturellement insérées dans un paysage culturel et artistique en pleine évolution où la place de la femme était déjà reconnue et acceptée, ce qui leur a donné la liberté de s’exprimer à leur propre guise et à leur propre rythme tout en étant plus attentives à leur vie intérieure. Les querelles artistiques des années cinquante et soixante étaient terminées, pour la plupart d’entre elles du moins, et elles n’avaient pas à soutenir telle ou telle thèse ou position esthétique prévalente. Cela leur a laissé le libre choix de leurs thématiques et de leurs moyens d’expression, comme le montre amplement cette exposition d’œuvres exposées à l’occasion de la Journée internationale de la femme à l’initiative de l’Institut des études féminines dans le monde arabe de la LAU. Les techniques vont du dessin classique au crayon mine à l’installation en passant par différents types de peinture. Une image plus fidèle Cette sélection restreinte a été conçue comme une exposition de peinture figurative avec trois œuvres sortant de ce cadre (Nada Sehnaoui, Tanbak, Anita Toutikian) pour indiquer la possibilité de futurs prolongements. Elle ne prétend pas refléter tous efforts créatifs de cette génération. Manquent les femmes peintres non figuratives, les céramistes, les femmes sculpteurs, les photographes, les designers, les installationnistes et les adeptes du computer art dont la créativité est souvent plus originale, plus innovatrice, plus branchée sur ce qui se passe dans le reste du monde. Une exposition complémentaire devrait leur être consacrée pour refléter une image globale plus fidèle, plus riche et diversifiée de leur productivité artistique. Pas de style de référence La peinture est, entre autres, un processus méditatif. Elle est donc parfaitement apte à traduire les sentiments intimes, les idées privées, les états personnels de corps, de pensée, d’âme et d’esprit : l’inconscience heureuse du sommeil profond, les divagations du rêve et du rêve éveillé, l’intensité enivrante de la danse, du chant, de la musique, du jeu, l’exultation sensuelle des bains de soleil, le plaisir détendant de griller une cigarette ou de siroter un verre de vin dans des moments de pause, de réflexion et de resouvenir, les vanités ambiguës de la vie nocturne à la page, la douleur physique et psychique, la maladie, la mort, la mémoire, la voyance, la réinterprétation ironique-critique de peintures célèbres. Ces thèmes sont un échantillon de ce qui se donne à voir à la LAU. Le riche éventail des factures va de l’hyperréalisme quasi photographique au dessin linéaire le plus dépouillé en passant par toute une gamme de procédés picturaux et de styles, du plus détaillé au plus simplifié. Chaque artiste a sa propre approche. Il n’existe pas de style de référence générationnel autour duquel les œuvres tourneraient. Divergences Pas de parenté entre les lignes graphiques quasi géométriques de Rima Amiuni et les contours noirs de Rim el-Jundi. Les fonds gris de la première irradient la joie de vivre en tenue d’Ève, alors que les gris de la seconde reflètent l’atmosphère morbide des chambres d’hôpital et, en même temps, le refus de s’y identifier. Les mêmes moyens graphiques et picturaux et les mêmes couleurs produisent des effets différents, voire contradictoires. Le traitement vigoureux des chanteuses de jazz et le mystère de l’autoportrait de Greta Naufal sont fort éloignés de la sensibilité à fleur de peau des pastels de Samia Osseiran Tout sépare la façon complexe dont Térèse Kabsa construit ses peintures et choisit sa palette de celles de Ghada Saghiyeh, Mona Sehnaoui, Fatima el-Hajj, Odile Mazloum ou Rose Husseini. Suleima Zod et Afaf Zreik traitent le corps féminin de manières presque opposées. La première combine construction et déconstruction, centrant ses tableaux sur les seins. La seconde recherche un état de déliquescence et de dissolution de la chair avec pour point de repère le nombril ou le bas du dos. Le statut et l’identité En dépit de similarités techniques, Flavia Codsi et Lulu Baassiri divergent considérablement dans le traitement du portrait. La première capte son modèle de pied en cap dans un contexte global à l’intérieur d’un ample espace. L’autre cadre les visages de ses jeunes femmes dans des gros plans sans aucune marge. Les fonds paysagés ou construits fonctionnent comme cadres des cadres et non comme des contextes. Quelle distance entre les visages évanescents de Afaf Zreik, les minuscules visages solitaires concentrés de Maya Eid et les visages surdimensionnés fortement cernés au rayonnement magnétique, voire magique de Houry Chekerdjian. L’œuvre de belle facture de Dima Hajjar dans des tonalités roses-noires est basée sur une œuvre clé de Manet. Son traitement de la forme et du contenu d’un chef-d’œuvre est sans rapport avec la manière dont Rima Amiuni remonte à Matisse et Picasso. Évitant toute forme de représentation picturale, Nada Sehnaoui fragmente une phrase narrative en dix segments indéfiniment réitérés pour produire une poignante litanie obsessionnelle dénonçant le sort des femmes privées de leurs enfants et de leurs droits, alors que Anita Toutikian, dans son installation, pose des questions sur le statut et l’identité des femmes dans une société en mutation par le recours à des objets de mémoire, des signes et des symboles qui renvoient à sa propre biographie. Crise malgré tout En dépit de sa volonté de dépouiller son œuvre de toute exactitude formelle ou sémantique, Tanbak ne peut s’empêcher de décrire instinctivement, dans sa petite installation, une femme qui se noie dans les denses sphères des contraintes sociales, économiques, culturelles, religieuses et psychiques, comme si c’était le dernier mot de cette exposition et la confirmation de la continuité d’une crise profonde, malgré tous les efforts de libération. Il n’en reste pas moins que les femmes, même tiraillées entre rêve et réalité, rébellion et acceptation, désirs et aspirations possibles et impossibles, demeurent les « racines du monde » comme l’affirme vigoureusement Odile Mazloum. C’est là l’involontaire quoique inévitable tendance thématique centrale de cette exposition qui met en lumière, encore une fois, l’énergie, la vitalité et l’engagement spontané des artistes femmes au Liban. Joseph TARRAB
Les œuvres d’art ne sont pas tributaires du sexe de leurs auteurs. Néanmoins, si l’on excepte la peinture d’agrément dite « féminine », les artistes femmes transmettent habituellement dans leurs travaux une vision spécifique enracinée dans leurs expériences vécues. Les premières peintres femmes au Liban, de véritables pionnières, se sont souvent montrées plus audacieuses,...