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Réfugiés - Ils ont quitté Bagdad il y a dix jours et attendent dans la clandestinité un pays d’accueil La longue marche de quatre Irakiens fuyant l’horreur

Nous l’appellerons Ayman. Il a vingt et un ans et, dans les yeux, une terreur sans nom. Avec trois de ses compagnons, il a fui, il y a dix jours, l’enfer irakien, grâce à un réseau de passeurs clandestin et il se retrouve à Beyrouth, sans papiers, sans argent et sans aide, ne sachant à qui s’adresser tant il craint les espions du régime honni, avec, pour seule lueur d’espoir, la perspective d’obtenir le statut de réfugié donné par le HCR (Haut comité des réfugiés de l’Onu). À l’heure où les pacifistes du monde entier se mobilisent contre la guerre en Irak, de nombreux Irakiens sombrent dans le désespoir. Contre les États-Unis, mais haïssant Saddam Hussein, ils n’aspirent plus qu’à l’oubli. C’est un pur hasard, une coïncidence qui permet toutefois de replacer les événements dans leur véritable contexte. L’idée de départ était de voir comment les réfugiés irakiens présents au Liban vivent cette période cruciale et ce qu’ils pensent de la guerre en préparation. Mais voilà qu’en visitant une association humanitaire, nous croisons quatre jeunes gens effrayés et encore sous le choc. Ils sont chiites et habitaient à Bagdad, dans un quartier plutôt pauvre et négligé. C’est pourtant là, selon leurs dires, que le régime aurait caché une partie de ses armes prohibées, afin que, disent-ils, s’il est contraint à les détruire, les victimes soient essentiellement chiites. Une seule option, la fuite Ayman et ses compagnons affirment avoir été harcelés depuis quelque temps pour s’enrôler dans la brigade al-Qods, créée récemment par le régime, en principe pour combattre aux côtés des Palestiniens, mais qui, faute d’atteindre les territoires occupés, pourrait bien finir, selon eux, par servir de nouveau moyen de répression contre la population. Ils ont donc choisi de s’enfuir, à n’importe quel prix. « J’ai laissé ma mère malade et mes deux sœurs, confie Khaled d’une voix monocorde. Mais ce sont elles qui m’ont poussé à partir, en me disant : tourne la page, ne pense plus à nous, essaie de te construire un avenir et surtout, ne reviens pas, quelles que soient les circonstances. » Les quatre jeunes gens précisent que depuis que le régime a levé les taxes exorbitantes sur le voyage, chaque jour un nouveau flot de personnes quitte le pays. Mais, dans leur cas, c’est un peu différent. Pour s’enfuir, on ne peut utiliser les voies normales. Ils sont donc partis sans papiers (car il serait impossible de s’en procurer en Irak, quand on est recherché par le régime pour s’enrôler), avec un léger bagage et ont traversé la frontière irako-syrienne, la nuit, à pied, après six heures de marche. Une nuit de tempête à Haret Hreik Moyennant 150 dollars par personne, les passeurs les ont déposés dans une grande ville syrienne, en pleine nuit. Là, ils ont retrouvé 500 autres Irakiens qui avaient pratiquement suivi le même chemin. Les quatre jeunes gens ont passé le reste de la nuit sur le trottoir avant de prendre une voiture pour le Liban, pour 50 dollars par personne. Première escale à Tripoli, où on leur donne l’adresse d’un contact, à Haret Hreik, à Beyrouth. Entre-temps, on leur vole une partie de leur argent, mais ils arrivent quand même dans la banlieue sud de la capitale, en pleine nuit, pendant la fameuse tempête. Impossible alors de retrouver l’adresse indiquée sur le papier. Ils sont si fatigués qu’ils s’abritent dans l’entrée d’un immeuble pour y passer le reste de la nuit. C’est là que viendra les cueillir une patrouille du Hezbollah, intriguée par ces jeunes qui dorment par terre, leurs sacs à leurs côtés. Un long interrogatoire s’ensuit et les membres du Hezbollah sont finalement convaincus qu’il ne s’agit pas d’espions américains ou israéliens. Ils les relâchent, en leur recommandant de se trouver un toit. Leurs sacs à la main, ils entament une quête désespérée pour trouver un gîte abordable en plein quartier chiite de Beyrouth. Entre-temps, Ayman a perdu une chaussure, mais il est si fatigué qu’il s’en rend à peine compte. Tous les quatre tombent finalement sur hajj Abou Sobhi qui accepte de leur louer une chambre sans eau ni électricité pour 120 000 LL par mois, payables d’avance. « Il se dit hajj, ironise Khaled. Elle est bien belle la solidarité chiite. » La chambre est un véritable taudis, puant et suintant l’humidité, mais les réfugiés s’en accommodent faute de mieux. Ils dorment donc, pour la première fois depuis trois nuits, mais très vite les soucis les rattrapent. À qui s’adresser ? À qui faire confiance ? Ils sont terrorisés à l’idée que les réfugiés irakiens qu’ils pourraient croiser soient des espions du régime. L’an dernier, le Liban n’aurait-il pas, selon les rumeurs qu’ils ont entendues, rapatrié plusieurs centaines de réfugiés irakiens ? Or, ils n’ont pas subi toutes ces souffrances et ces humiliations pour revenir en Irak. « Ce que nous souhaitons, c’est partir le plus loin possible de ce pays, n’importe où, pourvu qu’on n’entende plus parler de l’Irak ». Ni Irakiens ni Américains, simplement des hommes Mais si, comme l’annonce George Bush, le régime sera renversé, ne pourraient-ils pas alors rentrer chez eux ? « Vous y croyez vous ? Tout cela est un complot entre les États-Unis et le régime. Ce dernier restera et c’est la population qui écopera, comme en 1991. » Les quatre jeunes gens n’osent d’abord pas parler de la dureté du régime et se contentent de confier leur refus de s’enrôler. Mais au fur et à mesure qu’ils se sentent en confiance, ils racontent comment le parti Baas régente tous les aspects de la vie. Étant chiites et indépendants, ils ont été interdits d’université, à cause de la mention sur leurs bulletins scolaires « inaptes à poursuivre des études poussées ». Acculés, sans avenir, ils ne trouvaient rien à faire, n’ayant qu’une option : s’enrôler dans la fameuse brigade. « Nous étions soumis à une telle pression, confie Khaled, que le soir, chez nous, nous nous mettions à pleurer. C’était la seule manifestation de mécontentement que nous pouvions nous permettre, toute parole pouvant être dangereuse. » Aujourd’hui, leur seul espoir réside dans le HCR, qui pourrait leur redonner des papiers, une identité et un nouveau départ, en leur accordant le statut de réfugiés et en leur assurant un pays d’accueil. « Nous ne voulons plus être des Irakiens, ni des Arabes, mais nous ne voulons pas non plus être des Américains. Nous voulons être considérés comme des être humains, c’est tout. » Dans le monde actuel, c’est peut-être trop demander et les quatre jeunes gens serrent leurs maigres avoirs contre leurs cœurs, terrorisés à l’idée d’être une fois de plus délestés de ce qui leur reste d’argent. Ils voudraient pouvoir trouver un travail, n’importe lequel, « servir le café, nettoyer les salles de bains, nous pouvons tout faire », insistent-ils. L’essentiel étant, pour eux, de pouvoir payer hajj Abou Sobhi pour le mois à venir, en attendant la réponse du HCR. Ils regardent avec une envie mêlée de tristesse les lumières de Beyrouth, les jeunes qui se pressent devant un fast-food, les klaxons impatients, qui leur paraissent à eux joyeux, et lancent: « Vous ne savez pas le prix de ce que vous possédez : un pays, une vie, un avenir. » Et lorsqu’on leur fait remarquer que la plupart des jeunes Libanais n’ont qu’une idée en tête, partir, ils hochent la tête avec incrédulité. Mais ils ne font pas de commentaires. Ils ne sont pas là pour juger les autres. Ils veulent juste s’en sortir et prendre un nouveau départ. Tout à sa solidarité, par ailleurs justifiée au moins sur le plan des principes, avec l’Irak, le Liban répondra-t-il à leur attente ? Scarlett HADDAD
Nous l’appellerons Ayman. Il a vingt et un ans et, dans les yeux, une terreur sans nom. Avec trois de ses compagnons, il a fui, il y a dix jours, l’enfer irakien, grâce à un réseau de passeurs clandestin et il se retrouve à Beyrouth, sans papiers, sans argent et sans aide, ne sachant à qui s’adresser tant il craint les espions du régime honni, avec, pour seule lueur d’espoir, la...