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Interview - Son livre sur les arrestations d’août 2001 a été saisi et interdit par les autorités Adonis Akra: « Ne m’appelez plus jamais 16... » (photo)

En août 2001, il avait été arrêté dans le cadre des rafles qui avaient visé les responsables du courant aouniste et des Forces libanaises, incarcéré, puis accusé par le tribunal militaire « d’enseigner la philosophie du général retraité Michel Aoun ». Adonis Akra est professeur de philosophie à l’Université libanaise – section III (Tripoli) depuis 1977, et son violon d’Ingres, c’est la philosophie politique. Il a également enseigné durant quinze ans au sein de l’armée, à l’état-major. L’expérience de la prison dans les geôles du ministère de la Défense à Yarzé, puis à la prison de Roumieh, en août 2001, lui a laissé un souvenir amer et de nombreux stigmates. C’est pourquoi le professeur Akra s’est consacré à l’écriture d’un livre sur les événements d’août, une chronique de ses 25 jours de détention, intitulé Lorsque mon nom est devenu 16. Une œuvre qu’il devait signer samedi dernier, dans le cadre d’un débat avec plusieurs intellectuels libanais d’appartenances politiques diverses. Mais la cérémonie n’a pas eu lieu. La police judiciaire a interpellé M. Akra, qu’elle a relaxé après interrogatoire en présence de ses avocats Jean Selwane et Walid Dagher, puis a saisi les exemplaires de son œuvre et a mis sous scellés durant quelques heures la maison d’édition qui avait imprimé le livre, « Dar el-Taliaah ». Il lui a également été demandé de « reporter » la cérémonie de lancement du livre, et le professeur d’université est toujours passible de poursuites devant le tribunal des imprimés. L’éditeur a également été convoqué pour interrogatoire. Comment justifie-t-il le titre de son ouvrage ? « En prison, on m’a ôté mon nom. On m’a donné un numéro, le 16, et j’étais obligé de répondre. En m’ôtant mon nom, c’était toute mon identité et mes droits qu’on m’arrachait. Cela ne leur suffisait pas de me prendre ma liberté, il fallait aussi me donner un numéro pour m’enlever mon identité libanaise, qui m’est garantie par la Constitution. » Pourquoi a-t-il écrit Lorsque 16 est devenu mon nom ? « J’ai vécu une expérience que j’ai voulu partager avec le peuple libanais pour qu’il en profite et en tire les leçons. Pour que chaque Libanais, à partir de ses convictions politiques, se fasse sa propre opinion. C’était une expérience pénible, destructrice. Il fallait donc aussi que j’exorcise pour me sentir mieux. J’ai enfin voulu adresser un message à mes enfants pour qu’ils sachent que leur père a œuvré pour ce pays, consciencieusement, et pour les inciter à ne pas rester passifs si l’occasion se présente pour eux de défendre une cause juste. Dans ce sens, je voulais aussi que l’opinion publique libanaise soit juge de mes actes », affirme Adonis Akra. Son livre, il le place aussi dans le cadre du nécessaire devoir de mémoire. « Août 2001 est une date honteuse dans l’histoire du Liban contemporain. Les citoyens libanais, de toutes tendances politiques, doivent s’en souvenir. La répression est aveugle. Cette fois, nous étions les victimes, mais la même mésaventure pourrait arriver à quiconque. Dans de telles circonstances, si mon prochain est la cible d’actes similaires, il me serait impossible de rester passif, même s’il ne partage pas mes convictions politiques », souligne le professeur de philosophie. « Il ne faut pas oublier qu’on nous a accusés sans fondement de collaboration avec Israël, une accusation très grave. L’état d’urgence de fait a été instauré durant quelques jours. La Constitution a été assassinée, les lois bafouées », poursuit-il. « C’est notamment pour cela que j’ai écrit. Les Libanais ne doivent pas croire du tout ce qu’ils entendent des milieux officiels », ajoute M. Akra. Un dialogue interdit au plan national Dans la saisie de son livre et l’annulation du débat pluriel qui devait se dérouler durant la cérémonie de signature, M. Akra voit une volonté du pouvoir « d’interdire tout dialogue au plan national ». « J’ai invité des intellectuels, différents de moi à tous les niveaux. Le but était d’initier un dialogue constructif et objectif, mais le pouvoir n’en veut pas. Les autorités ont peut-être cru que je tentais d’organiser un meeting du courant aouniste, ce qui n’était pas le cas. Le courant aouniste n’était même pas invité à cette séance. D’autre part, le pouvoir a peur de voir se créer une force de dialogue et de légitimer la mise en place d’une nouvelle dynamique nationale qu’il lui serait actuellement impossible de gérer », estime M. Akra. Le professeur regrette que très peu de voix dans la société civile aient déploré la violation flagrante de la liberté d’opinion et d’expression dont il a été victime. « Il y a deux catégories de silence. Certains ont peur de subir la même violation que moi, et cela les conduit à se taire, par crainte de l’État-Léviathan. D’autres considèrent qu’en me muselant, l’on m’a infligé une défaîte politique. C’est une erreur monumentale, puisque tout le monde est dans le collimateur. C’est aussi une défaite pour eux », estime-t-il. L’engagement politique Son bagage philosophique, Adonis Akra affirme l’avoir mis à disposition de la cause en laquelle il croit et qui est actuellement incarnée par le Courant patriotique libre (CPL-aouniste). « Je ne pense pas qu’un État puisse réellement exister sans assurer la liberté à son peuple, la souveraineté à ses gouvernants et l’indépendance à la nation. Ce sur quoi le CPL insiste dans son discours, c’est la nécessité de rendre la souveraineté aux gouvernants. Même si le territoire est occupé, la souveraineté continue à exister dans le cas où les gouvernants sont libres de leurs décisions », affirme M. Akra. Se considère-t-il comme une personnalité académique engagée ? « Oui, mais pas au sens partisan ou idéologique. Je ne suis pas prisonnier d’une idée politique. Ce qui m’intéresse, c’est le concept de citoyenneté. Le citoyen est partie au contrat social et libre de ses décisions. Il est à la base de la souveraineté, et il est impossible de faire fi de sa participation au contrat. Sinon, c’est tout le principe de la volonté générale qui est remis en cause. » Adonis Akra appelle ses concitoyens à un véritable sursaut de conscience. « En saisissant mon livre, ils ont porté atteinte aux liens qui nous unissent entre nous, à ce que nous avons en commun et qui nous transcende : la liberté. Nous sommes tous engagés dans le même combat. » Dans une lettre ouverte aux autorités, il appelle l’État à « libérer » son livre. « Je vais représenter le Liban à Bagdad dans quelques jours, à la conférence de l’Union philosophique arabe, dont je suis le vice-président. Se peut-il que je représente mon pays à une conférence académique alors que mes écrits y sont prohibés ? » conclut-il. Michel HAJJI GEORGIOU
En août 2001, il avait été arrêté dans le cadre des rafles qui avaient visé les responsables du courant aouniste et des Forces libanaises, incarcéré, puis accusé par le tribunal militaire « d’enseigner la philosophie du général retraité Michel Aoun ». Adonis Akra est professeur de philosophie à l’Université libanaise – section III (Tripoli) depuis 1977, et son...