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Les historiens face à la reconstruction de la mémoire

Affronter le passé. Une question qui se pose aux peuples et à leurs représentants à la tête de l’État. Une question qui est également au cœur du travail des historiens. C’est sous cet angle qu’Henry Laurens, historien et directeur du Cermoc, devenu IFPO (Institut français du Proche-Orient), et Daniel Lindenberg professeur d’Histoire à l’Université de Paris VIII ont abordé le thème de la journée. La notion de passé a plusieurs définitions : passé vécu, passé transmis, mémoire affective, mémoire reconstruite. « Affronter le passé, c’est savoir que le passé est présent dans le temps présent », annonce M. Laurens. L’appréhension du passé évolue au cours du temps, en fonction des générations. C’est cette évolution que les deux chercheurs se sont employés à démontrer en analysant la présentation de l’histoire du XXe siècle. Les guerres du XIXe siècle en Europe étaient « des conflits sans haine durant lesquels on était confronté à un adversaire », explique Henry Laurens. Durant la guerre de 1871, « on a commencé à basculer de la notion d’adversaire à celle d’ennemi », mais c’est au cours de la Première Guerre mondiale que la figure de « l’ennemi » a été achevée par une pratique intensive du bourrage de crâne. Parallèlement était mis en avant « l’héroïsme du combattant », alors que sa souffrance s’était tue. Avec la Seconde Guerre mondiale, « la violence s’est déplacée du militaire au civil », explique l’historien qui précise que l’Europe est alors imprégnée d’une forte « culture de guerre ». En 1963, la France et l’Allemagne décident de sceller leur réconciliation avec le traité de l’Élysée dont la problématique consiste à « imposer une culture de paix en affrontant le passé ». Ce changement de culture implique un « déplacement de l’interprétation des faits », explique M. Laurens qui cite en exemple le replacement sur les plaques commémoratives à Paris de la mention « tué par les Allemands » par « tué par les nazis ». Une « mémoire reconstruite » vient ainsi coexister aux côtés d’une « mémoire vécue », avant l’instauration, à la fin des années soixante, d’une « mémoire transmise », celle de la génération qui n’a pas vécu la guerre. Enfin, avec les années 70 disparaît « la culture de guerre comme paradigme dominant des sociétés européennes ». C’est à cette même période que le nazisme devient « la figure universelle du mal qu’il faut combattre », alors que parallèlement, « la posture de la victime vient effacer celle du combattant ». La « réinterprétation historique fait ainsi de la Première Guerre mondiale une guerre de victimes, dont le soldat de Verdun est le symbole », conclut M. Laurens. Ce glissement est également perceptible dans le conflit israélo-palestinien. Il y a quelques années seulement « le mouvement national palestinien considérait que la lutte était l’unique moyen de libérer la Palestine et Israël privilégiait l’image du combattant pour effacer celle du juif de la diaspora », explique le directeur du Cermoc. Aujourd’hui, les deux acteurs du conflit se battent pour obtenir la palme de la victime. Cette tendance au culte de la souffrance se traduit par une avalanche de procès pour réparations. À Durban, explique Daniel Lindenberg, les peuples africains ont demandé des réparations pour la traite des Noirs, lors du 5e centenaire de la découverte de l’Amérique, ce sont les Amérindiens qui adressaient au monde la même requête. Une véritable concurrence des devoirs de mémoire. Si, dans l’idéal, le rôle de l’historien est de « rechercher la vérité », explique M. Laurens, dans les faits, « il est investi d’un rôle social ». Dans cette optique, et étant donné la tendance actuelle, l’historien doit être particulièrement vigilant, explique-t-il, à ce que « le besoin de savoir ne se transforme pas en position d’accusateur ». Et de conclure que « l’historien doit conserver au nom de même de la justice le devoir d’être critique ». E.S.
Affronter le passé. Une question qui se pose aux peuples et à leurs représentants à la tête de l’État. Une question qui est également au cœur du travail des historiens. C’est sous cet angle qu’Henry Laurens, historien et directeur du Cermoc, devenu IFPO (Institut français du Proche-Orient), et Daniel Lindenberg professeur d’Histoire à l’Université de Paris VIII ont abordé le...