Rechercher
Rechercher

Actualités

L’Ifpo a mis à contribution intellectuels et politiques lors d’un colloque à l’Esa Comment affronter le passé ? Quelques leçons à méditer...

« Comment affronter le passé ? » Alors que l’on commémore aujourd’hui en France le 40e anniversaire du traité de l’Élysée qui avait scellé, le 23 janvier 1963, la réconciliation franco-allemande, le thème choisi par l’Institut français du Proche-Orient (successeur du Cermoc et de l’Ifapo) prend une dimension particulière. Cette question brûlante, trop de pays se la posent encore en effet aux quatre coins du monde. À l’aune de l’histoire franco-allemande et de deux expériences en cours, Français et Algériens, puis Allemands et Polonais face à leur passé commun, plusieurs personnalités politiques et intellectuelles ont réfléchi hier à la question lors de ce colloque organisé à l’instigation de M. Laurens, directeur du Cermoc, en collaboration avec Manfred Kropp de l’Orient Institut, à l’École supérieure des affaires à Beyrouth. «Il faut rendre hommage à deux grands chefs (Konrad Adenauer et Charles de Gaulle) formés aux écoles classiques du XIXe siècle nationaliste, qui surent pourtant dégager pour leur pays une vision ambitieuse, fermer les plaies du passé, et surtout, engager leurs deux nations dans la construction européenne. » Accepter et gérer un passé commun, panser les plaies, renouer le dialogue et se construire un avenir. Tels sont les éléments, cités en ouverture du colloque par l’ambassadeur français, Philippe Lecourtier, qui ont permis au couple franco-allemand de s’engager résolument, il y quarante ans, sur la voie de la réconciliation. Une réconciliation que l’Allemagne s’emploie depuis des années à sceller également avec la Pologne, a rappelé l’ambassadrice d’Allemagne au Liban, Gisela Kaempffe-Sikora. La réconciliation franco-allemande pourrait se résumer à trois mots énoncés par M. Lecourtier : la paix, le dialogue et la coopération. Trois petits mots pour une aventure rien moins qu’exemplaire, à en recenser le nombre de conflits ou de tensions bilatérales dont les racines plongent dans un passé commun que les parties en cause ne savent ou ne peuvent affronter. Ne pas diaboliser l’autre Le ministre libanais de la Culture, Ghassan Salamé, a, quant à lui, livré sa vision sur cette difficulté à gérer le passé en se basant sur la référence franco-allemande et en la recentrant dans le cadre des relations entre l’UE et le sud de la Méditerranée. Après avoir rappelé que la connaissance du passé « est avant tout une découverte qui pousse à ne pas fuir son passé, à ne pas le refouler », M. Salamé affirme que « le devoir de mémoire », qui constitue « l’essentiel de l’héritage freudien », suppose une approche ouverte à l’autre et dépourvue de toute diabolisation de son adversaire. M. Salamé rappelle à cet effet les dangers d’une utilisation du passé comme « arme de guerre, utilisée comme un instrument de mobilisation contre les autres ». « L’appropriation commune du passé ne réussit vraiment que lorsqu’elle est consolidée par une construction commune de l’avenir », poursuit le ministre, soulignant le caractère audacieux de la construction européenne. M. Salamé avoue être un « observateur parfois amusé, souvent médusé, et toujours passionné, de cette gigantesque entreprise », avant de regretter que les Arabes n’aient même pas accompli « le quart du chemin parcouru par les Européens », et que l’Europe « ne soit pas entièrement innocente de cet état de choses ». Le ministre Salamé reprend ainsi le débat qui divise les Européens, entre « Latins » et « Anglo-Saxons », sur la politique à suivre vis-à-vis de la rive sud de la Méditerranée, alors que le timide processus de Barcelone n’a pas apporté de réponses. « Les sommes allouées à ce programme sont dérisoires en comparaison avec ce que l’Allemagne de l’Ouest a déboursé pour l’Est », souligne le ministre avant d’ajouter qu’il « ne s’agit pas d’une affaire de gros sous, mais d’une lecture commune par les deux rives de la Mare Nostrum de son histoire récente et ancienne, préalable à une réconciliation profonde des peuples ». Avant de conclure que « l’urgence nous pousse à chercher une formule de réappropriation commune de notre passé, suivie d’une réconciliation en profondeur qui aboutirait à une construction commune d’un avenir autre ». Français et Algériens face à leur passé commun La difficulté des pays et des peuples à affronter leur passé a par ailleurs été illustrée lors de ce colloque par l’étude de deux cas. La question des Français et des Algériens face à leur passé a été traitée par un spécialiste de la question, l’historien français Benjamin Stora. Les deux parties seront-elles un jour capables d’écrire ensemble leurs livres d’histoire ? M. Stora est plutôt pessimiste puisqu’il souligne que, bien que quelques « fils de mémoire » commencent à être tirés d’un côté et de l’autre, « les parties en présence restent toujours trop enfermés dans leur propre mémoire ». L’expérience des Allemands et des Polonais, exposée par M. Boehler, jeune chercheur à l’Institut historique allemand de Varsovie, et par M. Borodziej, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Varsovie et président de la commission germano-polonaise pour la mise au point de manuels communs d’histoire, est plus encourageante. Qui d’autre qu’un Libanais pouvait conclure ces débats sur le thème du passé. Cette responsabilité, Ahmad Beydoun, philosophe, historien et sociologue, s’en est chargé de manière admirable, lui qui a étudié les travers de l’historiographie libanaise, centrant son exposé sur le thème de l’identité. L’historien doit effectuer un « travail sur l’identité » avant de se coller à l’étude « d’un passé chargé, dont on retient surtout les drames ». Le chercheur doit « s’exprimer en tant qu’historien en se séparant des acteurs de l’événement que l’ont tente de reconstituer ». L’historiographie libanaise pèche par son « incapacité à autonomiser le travail de narration ». Sans ce dédoublement de l’identité de l’historien, « le passé ne peut pas passer, et les événements d’il y a 1 000 ans continuent de fanatiser l’historien aussi efficacement que les événements actuels. Les uns nourrissant les autres d’ailleurs ». Reprenant la thèse de Ghassan Salamé qui expliquait plus tôt que c’est à partir d’un projet d’avenir que l’on peut dépasser l’adversité du passé, M. Beydoun affirme que l’on ne peut aborder l’histoire de « manière apaisée », qu’à la condition « d’être engagé dans un projet différent de celui qui a engendré les traumatismes du passé ». « Là est la leçon que l’on doit tirer de l’évolution des relations-franco-allemandes. C’est la construction de l’Europe qui incarne le processus d’assainissement de la vision franco-allemande du passé », conclut M. Beydoun. Une leçon à méditer dans la région. Émilie SUEUR et Roger BARAKEH
« Comment affronter le passé ? » Alors que l’on commémore aujourd’hui en France le 40e anniversaire du traité de l’Élysée qui avait scellé, le 23 janvier 1963, la réconciliation franco-allemande, le thème choisi par l’Institut français du Proche-Orient (successeur du Cermoc et de l’Ifapo) prend une dimension particulière. Cette question brûlante, trop de pays se la posent...