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REGARD - Saliba Douaihi, Huguette Caland : peintures La mouvance orientale

Les peintures figuratives, paysages et portraits, de la première période dite « libanaise » de Saliba Douaihi sont particulièrement recherchées sur le marché. Au point que, tout comme pour d’autres artistes pionniers, l’industrie du faux tourne à plein rendement. Rares sont, en revanche, les amateurs qui apprécient à leur juste valeur ses peintures abstraites de la période « américaine » et ses tableaux de la dernière période « syriaque ». Bien entendu, ce sont les toiles « hard edge » aux formes géométriques plates, comme tirées au cordeau par un arpenteur, qui ont fait son succès aux États-Unis. Parce qu’elles semblaient coller parfaitement à l’air du temps des années 60-70 et à une démarche d’une ampleur toute américaine, comme si les grands espaces du pays s’y trouvaient sublimés. Avec en plus une intensité vitale exceptionnelle rayonnant à travers des couleurs pures sursaturées. Comme si Douaihi cherchait à exprimer la quintessence même du jaune, du bleu, du vert, du rouge, de l’orangé. Tout comme il semblait chercher à extraire l’essence géométrique de paysages de l’esprit. En contrebande Or, ce qui semblait être si typiquement américain n’était, en quelque sorte, que le décalque, agrandi plusieurs fois, des paysages figuratifs libanais dont seuls les contours étaient retenus. De manière à créer, une fois les surfaces ainsi délimitées ou découpées (curieux comme ces aplats ressemblent aux patrons de papier ou de carton utilisés par les couturiers), une sorte de patchwork qu’il suffisait alors de surcharger de couleurs éclatantes et apparemment arbitraires dont la quantité autant que la qualité contribuaient à l’effet final. Les paysages du Liban-Nord, avec leurs montagnes et leurs vallées vertigineuses, et les télescopages de la montagne et de la mer, comme dans la baie de Jounieh, passaient en quelque sorte en contrebande dans des œuvres qui avaient l’air de surgir uniquement d’une pure rigueur intellectuelle et d’une puissante imagination graphique éclairée, cependant, par une lumière méditerranéenne. Triples distillats Saliba Douaihi devait rire sous cape de contentement à voir les amateurs américains spéculer sur l’inclinaison des obliques, l’intersection des droites et les ressauts qui faisaient rebondir, avec un petit décalage, les traits ascendants ou descendants. Ce qui, dans la structure du paysage figuratif, était évident devenait ici une sorte de mystère attribué au génie du peintre. Ces œuvres sont de véritables « abstractions » dans l’acception originelle du mot, des extractions d’essence, des distillations et des décantations mentales, des distillats décantés. En un sens, cette démarche est familière au villageois libanais habitué à distiller de l’arak, de l’eau de rose, de fleurs d’oranger, de sauge et d’autres herbes médicinales. Douaihi ne faisait pas autre chose avec le paysage libanais. Il est donc assez curieux que ces œuvres, qui sont des « triples distillats » en quelque sorte, soient si décriées ici, comme s’il s’agissait de jeux futiles bons pour les Américains mais qui ne nous abusent guère. Attitude béotienne particulièrement dommageable parce qu’elle opère une discrimination, presque un apartheid, dans le legs du peintre. D’autant plus que les toiles méprisées comptent bien plus, en tant qu’apport artistique personnel du peintre, que les toiles traditionnelles qui n’ont de sens et d’attrait que pour les amateurs locaux. Parce qu’elles dépouillent le paysage de ses particularités et contingences matérielles d’espace et de temps en le portant à un niveau d’universalité intemporelle qui en révèle l’armature archétypale et donc le sens profond, au-delà des apparences. Elles en font ainsi don à tous les hommes, loin de le réserver à un groupe particulier. Royaume de la permanence Au lieu de les rejeter, c’est à un autre type de références culturelles qu’il faut faire appel pour pouvoir les apprécier. Saliba Douaihi, en un sens, ne fait pas autre chose, dans ses méplats, que retrouver, dans un autre cadre, un autre climat, avec d’autres concepts, d’autres ressources et moyens, la démarche des iconographes, des miniaturistes et des ornementalistes orientaux qui n’ont de cesse de transcender la réalité extérieure tenue pour impermanente, périssable, trompeuse et illusoire pour accéder au royaume de la permanence et des vérités inaliénables où réside la véritable réalité. Celle qui ne passe ni ne change, celle des causes, des lois et des forces qui se manifestent sous forme d’effets au plan que l’on croit être la réalité et qui n’est qu’une succession de reflets dans l’eau, d’images flottantes approximatives de ce monde supérieur. Autrement dit, alors qu’on le prend pour un « américanisant », Saliba Douaihi reste un pur oriental travaillant dans la stricte mouvance d’une tradition millénaire où l’abstraction est reine. Hélas, les amateurs locaux, qui apprécient pourtant les icônes, les miniatures, la calligraphie et l’art géométrique musulman, semblent perdre le sens et le sentiment de cette tradition dès lors qu’elle s’incarne en de nouveaux avatars. Et tandis qu’ils accusent Saliba Douaihi de trahison, de passage avec armes et bagages à l’Occident (ils veulent dire à l’une de ses récentes versions), ce sont eux, au rebours, qui non seulement trahissent leur propre culture en s’attachant à un art d’imitation reproduisant de pures apparences, ce qui n’a jamais été le cas d’aucun art oriental, mais sont en retard de plus d’un siècle sur l’évolution des valeurs et du goût des créateurs mêmes de cet art d’illusion qui ont fini par rejoindre, il y a déjà longtemps, les conceptions orientales. Toile emblématique Il est donc urgent de reconsidérer les œuvres « américaines » de Douaihi, les débaptiser pour les rebaptiser « orientales », et orientales elles le sont éminemment aussi bien par leur esprit géométrique que par leur esprit chromatique (Hôtel Inter-Continental de Mzaar). La baie de Jounieh peinte dans les années 70 par Huguette Caland n’est pas loin de cet esprit-là. Des pans de montagne, chargés de boucles et de tourbillons dessinés d’un épais trait noir, à la fois énergétiques et ornementaux, enserrent une baie qui prolonge le blanc de la toile. Là où Saliba Douaihi laissait parler des équilibres de couleurs pures, Huguette Caland cède la parole au vide. Il n’y a ni mer ni ciel, simplement un vaste espace intouché. Comme si elle cherchait à résumer au maximum l’allure du paysage tout en l’animant de l’intérieur par un bouillonnement de forces souterraines. La démarche, déconcertante pour beaucoup à l’époque, est purement orientale, même si elle a l’air de relever de l’art contemporain. Cette toile est emblématique des développements ultérieurs. Même quand Caland s’approche très près de la figuration, elle résume toujours le motif par des linéaments sommaires, presque volontairement maladroits, et le surcharge de détails ornementaux, souvent en le multipliant par prolifération. Musique visuelle Ses nouvelles œuvres appartiennent, quoique nées en Californie, à la mouvance orientale. Si elles sont d’apparence très différente, elles ne dérogent pas à ses œuvres anciennes. Il n’y a donc pas de coupure entre les deux séries d’œuvres exposées sous le titre d’« Introspective ». Comme il y a une continuité intérieure, « intro » est plus pertinent que « rétro ». D’autant plus que cette fois-ci, ce n’est plus du tout la réalité extérieure qui est le référent mais la réalité intérieure, ou du moins la réalité mentale et la sensibilité pure. Les œuvres, réalisées sur toile et sur papiers spéciaux, entre autres un précieux papier végétal du Japon et un papier plissé du Népal, se résument à des jeux de traits horizontaux appliqués au pinceau à l’aide de pigments naturels. Variations minimalistes sur un thème aussi simple que possible. Les variables sont ici la longueur, la largeur, la répétition, la rythmique, la couleur. Sur le papier végétal noir dit « gumpi », les traits sont peints en or et en argent comme on le fait au Japon pour souligner la noblesse du support. Sur d’autres papiers Japon, ils le sont en rouge, en bleu, en noir. Huguette Caland se cantonne d’ailleurs à une ou deux couleurs pour mieux faire ressortir la subtilité des itérations, des décalages et des cadences. C’est une musique visuelle où les voix chantent tantôt à l’unisson, tantôt en canon, tantôt en contrepoint. C’est fort raffiné, fort zen, disant le plus avec le moins. Le référent oriental est passé du Proche à l’Extrême-Orient, mais c’est toujours l’allusion à une autre réalité, ne serait-ce que celle de l’œuvre elle-même, qui prévaut. Les toiles en longueur, de 7 cm de large sur près de 2 mètres de long, introduisent un paramètre ludique insolite qui ne manque d’ailleurs jamais dans le travail et la manière d’être du peintre (Galerie Janine Rubeiz). Joseph TARRAB
Les peintures figuratives, paysages et portraits, de la première période dite « libanaise » de Saliba Douaihi sont particulièrement recherchées sur le marché. Au point que, tout comme pour d’autres artistes pionniers, l’industrie du faux tourne à plein rendement. Rares sont, en revanche, les amateurs qui apprécient à leur juste valeur ses peintures abstraites de la période «...