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Vie Politique - Damas mis à contribution pour éviter une crise L’affaire de la NTV compromet la fragile entente Lahoud-Hariri

La trêve scellée entre Baabda et Koraytem à la faveur du célèbre « lavage des cœurs » n’aura finalement pas duré longtemps, même si le chef du gouvernement, Rafic Hariri, la tenait, il y a quelques jours, pour inébranlable. S’il est encore prématuré de parler d’une rupture formelle de cette trêve, il est du moins permis de dire qu’elle est mise à rude épreuve depuis que le ministre des Télécommunications, Jean-Louis Cardahi, a autorisé la NTV à reprendre sa diffusion satellitaire, en suivant les instructions du chef de l’État, le général Émile Lahoud, et sans consulter M. Hariri qui avait ordonné la suspension de cette chaîne de télévision parce qu’elle s’apprêtait à diffuser un programme sur la politique intérieure saoudienne. Pour le moment, des efforts sont déployés afin d’éviter que la crise politique ne s’exacerbe et qu’elle ne coûte, encore une fois à l’État, ses réserves fraîchement constituées en devises. Selon diverses sources concordantes, le conflit devra être réglé avant la réunion du Conseil des ministres, jeudi, d’autant que Damas est entré en ligne pour éviter une crise politique au Liban, alors que des événements graves risquent de se produire dans la région... Selon diverses sources ministérielles, les contacts entrepris essentiellement par le président de la Chambre, Nabih Berry, avec les chefs de l’État et du gouvernement, ainsi qu’avec les dirigeants syriens, devront contribuer au rabibochage des rapports entre Baabda et Koraytem (sans régler bien sûr le problème principal qui est celui du dysfonctionnement des institutions dont le rôle est marginalisé au profit de l’humeur et des intérêts des pôles du pouvoir) avant le retour de M. Hariri, demain de Paris, où il effectue une visite de travail. Mais commençons par le début : samedi, soit trois jours après la suspension de la diffusion satellitaire de la NTV, à la demande expresse de M. Hariri, qui avait jugé que le programme sur l’Arabie saoudite « portait atteinte à l’intérêt supérieur national » en « compromettant les relations du Liban avac un pays ami », le ministre des Télécommunications a autorisé la reprise de cette diffusion, partant du principe que les motifs de la coupure du relais satellitaire ne tiennent plus. Le ministre a adressé une lettre en ce sens à M. Hariri affirmant que la notion d’urgence qu’il avait invoquée mercredi pour justifier la suspension de l’émission satellitaire de la NTV n’est plus valable du moment que la chaîne de télévision s’était engagée devant les FSI à ne plus diffuser le programme contesté et qu’elle a tenu sa promesse. Il a aussi expliqué qu’il a ordonné le raccord du relais satellitaire, « par respect des règlements et des lois en vigueur, cités dans notre missive du 2 janvier ». L’initiative du ministre a pronfondément irrité le chef du gouvernement, d’autant que la sanction infligée à la NTV devait rester en vigueur, selon lui, jusqu’à ce qu’elle soit discutée en Conseil des ministres, jeudi, et qu’elle a été levée quelques heures seulement après le retour du général Lahoud de ses vacances en France, dans la nuit de vendredi à samedi. M. Hariri, qui a vu dans ce geste une atteinte à son autorité, a menacé de démissionner, selon des sources ministérielles. Il a pris immédiatement contact avec le ministre de l’Information, Ghazi Aridi. Et dans les milieux proches du chef du gouvernement, le ministre des Télécommunications a été vivement critiqué, voire rendu responsable de la crise naissante entre Baabda et Koraytem. Car dans ces milieux, il est incontestable que M. Cardahi a cassé l’ordre donné par le chef du gouvernement, à la demande du chef de l’État, puisque la reprise de la diffusion satellitaire de la NTV n’a été autorisée de nouveau qu’après son retour au Liban. Dans le même temps, le bruit courait que le président Lahoud avait été indisposé par la décision prise par le chef du gouvernement contre la NTV. De l’huile sur le feu Le commentaire de la chaîne de télévision devait confirmer les soupçons de M. Hariri et de ses proches. « La NTV a repris ses émissions satellitaires il y a juste quelques secondes, à 15h10. Le chef de l’État a regagné le pays et la loi est à nouveau appliquée. Le ministre des Télécommunications est revenu sur son erreur, ce qui est en son honneur », a annoncé triomphalement la chaîne dans un communiqué lu sur l’antenne. « Le Premier ministre ne peut plus prendre seul les décisions et violer les lois », indique aussi le communiqué. Pour la NTV, « l’issue de la bataille n’est pas tranchée. La lutte entre le bien et le mal est permanente, mais nous pouvons au moins dire que nous avons gagné une manche dans cette lutte pour les libertés, notamment médiatiques ». « La liberté et le droit sont une caractéristique du Liban et nous souhaitons que nul n’en soit privé, notamment notre consœur, la MTV », ajoute le communiqué, pendant que M. Tahsin Khayat, PDG de la NTV et farouche détracteur de M. Hariri, rendait hommage, dans une déclaration à l’agence al-Markaziya, à « la prise de position du ministre des Télécommunications adoptée en dépit des pressions du chef du gouvernement qui souhaitait le maintien illégal de l’interruption de la diffusion satellitaire ». Le chef du gouvernement n’a pas attendu la fin de sa visite à Paris pour réagir. Quelques heures après avoir reçu la note de M. Cardahi, son bureau de presse a publié un communiqué au ton on ne peut plus ironique. Selon lui, le ministre a « bien fait d’autoriser la reprise de la diffusion satellitaire de la NTV en se basant sur l’engagement que cette chaîne a pris devant les agents des FSI », qui avaient été chargés par le procureur général près la Cour de cassation de veiller à l’application de la décision de suspension de la diffusion satellitaire. « Étant donné l’impact de la fermeture totale de la MTV sur la réputation du Liban, les ministres concernés devraient, pour préserver les libertés publiques, demander à la MTV (fermée le 4 septembre) de présenter aux Forces de sécurité intérieure un engagement similaire à celui de la NTV pour obtenir le même droit de reprise de diffusion », ironise le texte. Jeudi, dans son interview à la Future TV, M. Hariri avait reconnu que la loi n’était pas toujours respectée et avait affirmé que la fermeture de la MTV était politique, après avoir justifié les mesures prises contre la NTV. Il s’était engagé à ouvrir le dossier des médias audiovisuels après le vote du budget 2003 afin d’en finir avec les anomalies qui caractérisent la gestion de ce secteur, oubliant qu’il fait lui aussi partie de ceux qui sont à l’origine de ces anomalies. Toute cette crise aurait pu être évitée – au moment où le Liban tente de faire bonne figure devant la communauté internationale dont il sollicite l’aide pour régler sa crise économique – si la loi sur l’audiovisuel avait été strictement appliquée. Celle-ci prévoit d’ailleurs un mécanisme à suivre en cas d’atteinte à un pays ami. N’est-ce pas le Conseil des ministres qui était supposé prendre une décision au sujet de la NTV, puisqu’il représente l’autorité exécutive ? M. Hariri était-il dans l’impossibilité de convoquer un Conseil des ministres restreint s’il est vrai qu’il y avait urgence ? Ne pouvait-il pas confier cette affaire à la justice après avoir consulté le CNA à ce sujet ? Est-il possible d’arguer de l’absence du chef de l’État pour justifier l’adoption d’une décision unilatérale ? On peut comprendre l’importance des relations privilégiées du chef du gouvernement avec les dirigeants saoudiens et leur intérêt pour le Liban, mais est-il possible que les rapports personnels priment la conformité aux lois ? Cardahi et la loi Ce qui est encore plus absurde, c’est que le ministre des Télécommunications soit – encore une fois – critiqué parce qu’il a voulu appliquer la loi, sans solliciter une autorisation préalable. Vingt-quatre heures après avoir reçu l’ordre de couper le relais satellitaire de la NTV, M. Cardahi, qui avait regagné son bureau après le congé de fin d’année, a adressé au chef du gouvernement une lettre dans laquelle il lui a expliqué, selon des sources bien informées, que la mesure prise contre la NTV est illégale conformément à la loi régissant l’audiovisuel. En vertu de ce texte, a-t-il rappelé, il appartient au ministre de l’Information d’appliquer les clauses de la loi. Et lorsque les relations du Liban avec des pays amis risquent d’être compromises, c’est au Conseil des ministres de réagir par décret pris sur proposition des ministres de l’Information et des Affaires étrangères, a-t-il ajouté. Tout en soulignant que l’ordre de suspension de la diffusion satellitaire a été exécuté, M. Cardahi a souligné que l’affaire doit être réglée conformément à ces points, selon les mêmes sources. Mais le chef du gouvernement a pris l’avion le lendemain, vendredi, sans répondre au ministre. Le jour même, le PDG de la chaîne a pris contact avec M. Cardahi pour l’informer que le programme ne passera plus. Samedi, le ministre a reçu les avocats de la NTV qui l’ont informé qu’ils ont l’intention de présenter un recours devant le Conseil d’État parce que la mesure prise contre la chaîne de télévision est illégale. Le ministre a alors décidé d’agir selon les dispositions des textes en vigueur. Il a ensuite pris contact avec le chef du gouvernement pour lui expliquer ce qui se passe et lui faire part des intentions des avocats de la NTV. Il a ensuite appelé le chef de l’État, qui lui a conseillé de prendre les mesures qui sont en conformité avec les lois, toujours selon les mêmes sources. Le volet légal relatif au bien-fondé de la décision prise contre la NTV est devenu du coup secondaire, la priorité étant accordée au conflit de prérogatives, un conflit qui n’aurait pas éclaté, on ne le répétera jamais assez, si la loi et les institutions avaient été respectées. En soirée samedi, une réunion s’est tenue à Aïn el-Tiné sous la présidence de M. Berry et en présence des ministres Marwan Hamadé et Ghazi Aridi, qui a plus tard révélé à la presse que des contacts intensifs avaient été menés au cours de ces assises pour circonscrire l’affaire de la NTV. Un règlement en vue De diverses sources concordantes, on indique que le conflit serait en voie de règlement. Selon le ministre de l’Information, M. Berry a multiplié les contacts avec le président Lahoud et le chef du gouvernement, « ainsi qu’avec d’autres responsables concernés par le règlement de cette affaire ». Ce que M. Aridi n’a pas dit, c’est que les contacts ont englobé les Syriens qui ont de nouveau conseillé aux dirigeants libanais de calmer le jeu, soulignant que l’heure n’est pas aux querelles au moment où des événements graves sont sur le point de se produire dans la région. De sources proches du pouvoir, on a confirmé que la tendance est à l’apaisement. De même source, on a indiqué que l’ordre du jour du Conseil des ministres a été distribué hier soir aux membres du gouvernement, alors même qu’il était question de reporter la réunion. Ce qu’on ne dit pas, en revanche, c’est si l’opération de « lavage des cœurs » également critiquée par de nombreux ministres parce qu’elle a consacré la « troïka » du pouvoir au détriment des institutions, sortira indemne de cette épreuve.
La trêve scellée entre Baabda et Koraytem à la faveur du célèbre « lavage des cœurs » n’aura finalement pas duré longtemps, même si le chef du gouvernement, Rafic Hariri, la tenait, il y a quelques jours, pour inébranlable. S’il est encore prématuré de parler d’une rupture formelle de cette trêve, il est du moins permis de dire qu’elle est mise à rude épreuve...