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Actualités - REPORTAGES

Environnement - C'est le contribuable qui en souffre le plus La dégradation écologique coûte des centaines de millions de dollars par an à l'Etat libanais

Au moment où la polémique bat son plein en raison de la transformation du célèbre Grand théâtre en... restaurant. Au moment où on assiste à l’impuissance des hommes de théâtre à produire des spectacles de qualité sans avoir recours au soutien du ministère de la Culture, cette forme d’expression artistique dans notre pays serait-elle menacée ? S’agirait-il plus précisemment d’une crise purement conjoncturelle ou définitivement fondamentale ? À ce propos, nous publions l’article de Jalal Khoury écrit en 96 dans la revue L’internationale de l’imaginaire, à l’occasion de la manifestation Année du Liban organisée à Paris par la Maison des cultures du monde. Un article qui reste encore d’une actualité brûlante. Il y a près d’un siècle et demi, la première représentation théâtrale en arabe était donnée à Beyrouth. Il s’agissait de l’Avare, une comédie entièrement chantée, d’une parenté relative avec l’œuvre de Molière. Son auteur était Maroun Naccache (1817-1854), un commerçant libanais féru de lettres qui avait découvert l’art de la scène en France et en Italie, en marge de ses voyages d’affaires. Depuis, dans l’aire culturelle arabe, le théâtre a connu une certaine expansion, au même titre d’ailleurs que d’autres formes d’expression, à cause précisément de la pénétration occidentale dans cette partie du monde et de la diffusion de ses modèles culturels. Aujourd’hui, d’aucuns appréhendant l’aventure du théâtre arabe en sont à s’interroger : ce théâtre a-t-il sa raison d’être ? A-t-il jamais eu un quelconque impact sur son auditoire ? Est-il en mesure de se faire l’écho des préoccupations essentielles de sa communauté, comme ce fut le cas aux origines ? Peut-il intervenir dans les affaires de la cité ou, tout au moins, participer à l’élaboration d’une conscience nouvelle ? Le moment est sans doute venu de considérer ces interrogations, d’autant que, par les temps qui courent, on ratiocine beaucoup au sujet de l’identité de ce théâtre, de ses supposées racines, de ce qui le caractérise ou le distingue de ce qu’il devrait être ou ne devrait pas être. D’autant que se multiplient çà et là les efforts visant à faire de ce théâtre un art authentique puisant sa substance dans la matière populaire ou les formes héritées. Le théâtre dans le monde arabe est donc, au départ, un art d’importation étranger à son univers culturel, à ses traditions, sa sensibilité, son climat spirituel et sa vision du monde. Et ce, en dépit de tout ce qu’on a pu lui attribuer comme histoire remontant au théâtre d’ombres Taïf al-zoul d’Ibn Daniel (XIIe siècle) ou en l’apparentant à certaines formes de manifestations spectaculaires ou de littérature orale Al-Hakawati, le Zagal... Il reste pour l’essentiel, malgré les apports formels, les surajouts folkloriques ou les multiples couleurs locales, une émanation du théâtre occidental dont il garde la trace génétique, celle d’un art conflictuel de l’humanité, à un moment précis de l’histoire. Le théâtre occidental – il y a lieu de le rappeler ici pour la clarté de notre propos – a pris forme dans cette Athènews du VIe siècle, dans le cadre de grands bouleversements socioculturels sanctionnés par un ordre politique nouveau, les réformes démocratiques de Clysthène (506 av. J-C) par lesquelles l’individu achevait de trancher le cordon ombilical avec la communauté donnant naissance à une civilisation matérielle où un ordre régi par les hommes supplantait l’ordre céleste, où l’on passait de la tribu à la cité-État, de la communauté à la société, de la loi du talion à la justice civile, du sacré au profane, du surnaturel au politique, de la pensée magico-mystique à la philosophie, de la métaphysique à la pensée rationnelle. Somme toute, une civilisation qui plaçait l’homme au centre du monde et réduisait l’univers aux limites de son intelligence. La tragédie se structurait alors en se dégagent du rite, transformant le dithyrambe en l’honneur des dieux en un plain-chant de la destinée humaine. Elle venait en quelque sorte exprimer et amortir l’impact de ces bouleversements sur la conscience de l’individu. Elle était une nécessité... La tragédie grecque et par la suite le drame européen ont été le cadre le plus approprié aux grandes interrogations existentielles de l’âme occidentale dans une civilisation fondée sur l’individualisme et la rationalité, où l’identité de l’homme est le corollaire de sa propriété. Une civilisation consacrant le divorce entre l’homme et l’univers soudain devenu étranger. Le théâtre occidental, art conflictuel par excellence, est en quelque sorte un produit de ce divorce dont il porte les stigmates dans ses fondements, sa nature, sa substance et sa structure même. En ce sens, Œdipe de Sophocle, Hamlet de Shakespeare, Faust de Goethe ou Galilée de Brecht, sont des moments extrêmes exprimant ce divorce et l’angoisse de l’homme occidental face à un univers absurde, sans autre recours dans ses choix essentiels que son libre arbitre personnel. À titre d’exemple, le refus d’Œdipe d’assumer son destin – tuer son père et épouser sa mère –, en comparaison avec l’attitude d’Abraham – sacrifier son fils – se soumettant sans révolte à la volonté divine. Et voilà le théâtre s’introduisant comme par effraction dans une société arabe où l’individu demeure jusqu’à ce jour – et malgré tous les réflexes citadins – partie prenante du groupe dont il reste tribulaire dans ses choix ontologiques, ses valeurs, sa vision du monde, à l’abri de l’angoisse, protégé qu’il est par un système de certitudes que le groupe, par ses mécanismes de solidarité, confirme. Son identité, quelle que soit sa position sociale, se fonde d’abord sur son appartenance. Et toujours, à travers et grâce à cette appartenance, il vit en état d’harmonie spirituelle avec son environnement et avec l’univers. Il est dans sa conscience aux antipodes de l’homme d’Occident «qui cherche la lumière dans la confusion de son esprit». La conscience collective est restée insensible à cet art, sauf quand intervenait la musique, le fameux tarab oriental, art de participation caractérisé, issu de l’incantation et de la transe religieuse, pour réconcilier ainsi le théâtre importé avec le public arabe. Exemple : l’expérience de Salama Hijazi et Sayed Darwich en Égypte, avec Abou Khalil Kabbani en Syrie, et des frères Rahbani au Liban. Dans ces cas précis, la musique en fait diluait, pour ne pas dire escamotait, l’essence du modèle original fondé sur la propension du citoyen athénien à l’individualité, sur le conflit de l’homme avec lui-même, le milieu, et avec l’univers tel que l’incarnaient, par procuration sur la scène, des personages exemplaires. Mais le théâtre, dans cette partie du monde, a eu un rôle mineur dans le cadre de la comédie, à l’instar de Yacoub Sanoub et Najib Rihani, qui se sont livrés à la critique des comportements sans toucher à l’essentiel. En faisant le bilan de l’expérience de Jean Vilar et du Théâtre national populaire, Patrice Chéreau relevait que la tentative de propager la culture parmi les masses n’a eu pour résultat que «d’amener ces masses sur les positions culturelles de la bourgeoisie». Nous est-il permis de paraphraser Chéreau et de dire à l’adresse des hommes de théâtre arabes, si pressés de faire de leur art un instrument d’authenticité culturelle et souvent de lutte contre le modèle occidental et ses succédanés : «Ne craignez-vous pas d’être ainsi, sans le vouloir, en train de pousser le public arabe sur les positions culturelles de ce colonialisme tant décrié ? À moins que, chez vous aussi, l’homme n’ait été abandonné par ses certitudes et ne se trouve seul dans un univers hostile et aliénant et qu’il lui soit devenu nécessaire de faire appel à cet art pour expériementer des réponses à ses doutes, ses craintes, et à ses interrogations existentielles». Le théâtre conflictuel, de la tragédie à celui de l’absurde, en passant par Shakespeare et Brecht, est devenu un «art sénile» (Jean Vilar dixit)... malgré sa propagation sur l’ensemble de la planète. C’est un des indices que la civilisation matérielle de l’Occident, issue de l’aventure athénienne, touche à sa fin en dépit du triomphe insolent du «nouvel ordre mondial» et de l’imposition de ses normes et valeurs à l’ensemble de l’humanité. Cet art, dans sa condition présente, est bel et bien mort. Que serait-ce alors du théâtre arabe, né comme une pâle imitation d’une forme devenue surannée dans son terroir même ? Remarque : Je n’ai pas, dans ce propos, abordé les formes spectaculaires des pays d’Asie, formes enracinées dans leurs cultures et leurs spiritualités respectives, malgré ma conviction que ces cultures pourraient jouer un rôle salvateur essentiel dans l’élaboration de cette civilisation universelle à venir, qu’on pressent déjà, ou, tout au moins, qu’on souhaite.
Au moment où la polémique bat son plein en raison de la transformation du célèbre Grand théâtre en... restaurant. Au moment où on assiste à l’impuissance des hommes de théâtre à produire des spectacles de qualité sans avoir recours au soutien du ministère de la Culture, cette forme d’expression artistique dans notre pays serait-elle menacée ? S’agirait-il plus...