Rechercher
Rechercher

Actualités - INTERVIEWS

Interview - Endoscopie d'une CGTL qui périclite et d'une guerre appelée à durer Elias Abou Rizk : je ne démissionnerai plus

Il ne s’agit pas de faire jouer au président de la CGTL, Élias Abou Rizk, le rôle de la victime. Depuis plus de deux ans, la centrale syndicale en est à sa troisième crise majeure. Et comme à chaque fois, elle est intervenue après l’entêtement de M. Abou Rizk à dire non, à refuser, selon lui, «l’interventionnisme et l’hégémonie des partis politiques», à œuvrer, toujours selon lui, pour «l’indépendance et la démocratie» de la CGTL. Sauf que le pourrissement s’accentue aujourd’hui au sein de la confédération, la population – la dernière manifestation qui n’a réuni que 2000 personnes en est la preuve – ne suit plus et c’est clair que ce n’est pas seulement parce qu’elle s’est résignée. La guerre est désormais ouverte entre les pro-Abou Rizk et les anti, ces derniers ayant à leur tête le secrétaire général de la CGTL, Saadeddine Hamidi Sakr, et le secrétaire aux affaires extérieures, Bassem Tleiss, tous deux dans la mouvance d’Amal et de Nabih Berry. La démission d’Abou Rizk – la quatrième – est posée par eux comme condition sine qua non à toute évolution. À sa décharge, et depuis son échec d’il y a dix jours aux législatives, le président de la CGTL a comme adversaire principal, selon lui, le président de la Chambre, dont il subit «les pressions répétées depuis plus de deux ans.» Avec L’Orient-Le Jour, il est revenu sur les raisons de la crise, proposé sa solution, fait l’endoscopie de la centrale syndicale, aujourd’hui moribonde, explicité ses trois démissions et ses trois rétractions. Non sans coups de sang… QUESTION : Qui a intérêt à voir péricliter, comme ils le font aujourd’hui, les mouvements syndicaux en général et la CGTL en particulier ? RÉPONSE : Prenons la question à l’envers et essayons plutôt de voir qui sont les perdants. Q. : Mais les perdants, tout le monde sait qui c’est. À qui profite le «crime», à votre avis ? R. : Les mouvements syndicaux existent pour défendre les intérêts des pauvres et des travailleurs. Et voilà la CGTL devenue aujourd’hui, du jour au lendemain, sans aucune raison ou justification, le théâtre d’une crise interne – qui a été créée de toutes pièces. Il n’y a eu aucune activité syndicale ces deux derniers mois pouvant justifier tout cela, aucune, tout ce que nous avons fait, c’est planifier les manifestations de la fin septembre et d’octobre. C’est une crise qui a été provoquée artificiellement. Q. :Pourquoi ? R. : Les raisons sont claires et elles sont politiques. Ce sont les dissensions qui prévalent entre le président de la Chambre et moi-même, à cause des élections et du «non» ferme que j’ai tenu face à M. Berry qui ne voulait absolument pas entendre parler de ma candidature au Liban-Sud alors que l’on m’a presque supplié de me présenter à Beyrouth à la place de Najah Wakim en m’offrant les grands moyens. Résultat : on veut faire croire à la crise interne, à la divison de la CGTL. C’est faux. On veut simplement me punir, me punir à cause de ce non. Q. : C’est qui «on» ? R. : C’est le courant de M. Berry au sein de la CGTL, que dirigent Bassam Tleiss et Saadeddine Hamidi Sakr, qui s’est chargé de créer toute cette pseudo-crise, sur laquelle tout et n’importe quoi est en train d’être dit. Q. : Ça, on le sait, M. Abou Rizk. Mais il est indéniable que le pourrissement de la CGTL n’a pas attendu cette «pseudo-crise». Cela fait longtemps que la confédération périclite, vous ne croyez pas ? R. : Il y a quelque chose de pourri à la base, oui. Allons plus loin : la CGTL a connu une très grosse crise, elle s’est même scindée en deux le 24 avril 97. Et le 30 juillet 98, les choses ont été reprises en main pour réunifier la confédération, réunification sans laquelle la CGTL ne peut rien faire. L’affaire de la CNSS Q. : Apparemment, l’unité est loin d’avoir prévalu… R. : Attendez… Il y a eu ensuite les élections du conseil d’administration de la Caisse nationale de sécurité sociale. Nouvelle crise de la CGTL : je me suis porté candidat à la présidence de ce conseil et j’ai été élu. Et ceci n’a pas plu à tout le monde. Q. : À qui par exemple ? R. : Au candidat malheureux, Maurice Abou Nader, et à ceux qui le soutenaient et qui l’ont porté ensuite à la présidence du conseil d’administration de la CNSS. Et dès que j’ai été élu à la tête de ce dernier, un officier supérieur en charge d’un important service de sécurité de l’État me pressait chaque jour pour que je démissionne. Et tous les jours, je disais non. En fin de compte, il y a eu ensuite un véritable soulèvement contre la CGTL. À cause de mon «non»… Q. : Et l’épisode du Conseil économique et social ? R. : Ce même officier supérieur de l’État voulait m’imposer une liste de personnes à placer au sein de ce CES. Et j’ai encore dit non. Et il y a encore eu une crise au sein de la CGTL. Tout ça pour dire que la CGTL a traversé, désunie, deux crises majeures en deux ans, simplement parce que son président a refusé de se soumettre aux demandes multiples et sa persévérance à ce que la confédération reste indépendante et démocratique et que les institutions de l’État puissent fonctionner sainement. La CNSS est mort-née, et voyez la situation aujourd’hui de la CES qui n’a absolument rien fait. Q. : Mais vos candidatures, vos entêtements, on peut les voir comme l’aboutissment directe d’une ambition personnelle démesurée… R. : Pas du tout. Tout ce que je voulais, c’était préserver les institutions et que les choses aillent dans la bonne direction. Et pour les dernières élections, rebelote : on a l’opposition de M. Berry, encore une fois ! Et vous m’avez demandé à qui profite cette dégénérescence de la CGTL… L’État, les patrons ! Et puis, écoutez-le à M. Berry affirmer que «des décisions impopulaires seront imposées». C’est ce qui se passe avec la CGTL. Q. : Cette crise pourrait servir les intérêts de M. Berry ? R. : Je ne sais pas, demandez-lui. Q. : Il y a quelques jours vous avez présenté pour la troisième fois votre démission – c’est un acte fort et souvent courageux, une démission. Sauf que vous vous êtes, à trois fois, rétracté. Vous pensez vraiment que ça fait sérieux tout ça ? Que ça ne diminue pas votre impact ? R. : Je m’en moque ! Ce n’est pas mon problème s’ils ne me prennent pas au sérieux, c’est le leur. Je le referai dix fois s’il le faut, ce sont mes convictions, ma conscience. La démission et la rétraction sont une opinion, une position que l’on prend, une carte que je peux être amené à utiliser pour servir l’intérêt public et ceux de la confédération. C’est une position très naturelle. Q. : Qui vous demande de revenir sur votre démission ? Quels sont les arguments que ces derniers ont défendus ? R. : Qui ? Les syndicats, mes collègues, des organisations arabes et internationales. Les Libanais ! Ils me disent que j’ai tenu le mouvement syndical, la CGTL, que j’en ai fait une institution fortement présente au Liban, en partant de strictement rien. Ils me demandent de continuer ce combat énorme que je mène, avec des moyens dérisoires, pour la sauvegarde de l’intérêt de mes concitoyens. Q. : Vous ne pensez pas que ce pourrissement de la CGTL dépasse maintenant la personne – et les actes et les capacités – de son président, quel qu’il soit ? Que les Libanais maintenant ne croient même plus en elle ? À revoir la dernière manifestation en date où il n’y avait même pas deux mille personnes dont le tiers étaient des partisans d’Amal notamment… R. : Permettez, c’est tout à fait faux. Le chiffre de l’évaluation était énorme et la place des partis était minime. Q. : Quel était le chiffre des manifestants ? R. : Je ne sais. Et puis je n’ai pas à vous le dire… Q. : Pardon ? R. : La presse à l’époque a chiffré au minimum à 5 000. Moi j’ai à assumer mes responsabilités et à appeler à la manifestation. Et lorsque je le fais, c’est qu’il y a une raison profonde. Le nombre de manifestants ne m’importe pas. Continuer Q. : Qu’est-ce qui vous importe alors ? R. : Moi je descendrai à dix dans la rue et nous manifesterons. À dix. Q. : Mais ça ne servirait à rien ! R. : Mais regardez à l’étranger. Ils manifestent même à trois, ils expriment quelque chose. Q. : Si la population boude la rue, ce n’est pas uniquement sa faute ou qu’elle ne le veut pas. La confiance en la CGTL est de plus en plus faible chez les Libanais, ils ne vous écoutent plus. R. : Qu’ils n’écoutent plus alors si tel est votre avis… Que voulez-vous que je vous dise ? Moi je fais mon travail. Q. : Visiblement ça ne marche pas ! Vous allez continuer à vous entêter ou vous pensez qu’il faut trouver d’autres solutions pour la CGTL ? R. : La solution ? On va continuer. Avec tout le monde, pour l’indépendance du mouvement syndical et de la CGTL, sans hégémonie, d’aucune faction politique que ce soit. Concrètement, il faut créer et appliquer un organigramme syndical. C’est tout. Elle organisera le travail, elle évaluera les secteurs qui formeront ce mouvement, leur situation, et qui seront en harmonie avec les accords internationaux, notamment ceux de l’Organisation internationale du travail se rapportant aux libertés syndicales. Il faut impérativement que cet organigramme syndical voit le jour. Q. : Et la présence des partis politiques au sein de la CGTL ? R. : À l’étranger, ce sont ces partis politiques qui se mettent au service des syndicats et pas l’inverse comme cela se passe au Liban. À partir de là, la CGTL travaillera pour les ouvriers ou les fonctionnaires affiliés à un parti quelconque. Aujourd’hui, on utilise la CGTL pour servir les intérêts de quelques forces politiques ou de partis. Q. : Pourquoi il vous déteste autant, Nabih Berry ? Pourquoi cette campagne menée contre vous ? R. : Je ne sais pas s’il me déteste ou pas. Je ne pense pas qu’il y ait là quelque chose de personnel. C’est peut-être la façon dont je mène la présidence de la CGTL, et M. Berry a un courant fort au sein de la centrale. Et depuis trois ans, les visées hégémonistes se poursuivent. Et ce courant veut intervenir partout, maîtriser les décisions de la CGTL. Q. : Les sept membres du conseil exécutif qui n’ont pas répondu à votre convocation sont tous issus de ce courant ou est-ce que l’appel à votre démission fait maintenant tache d’encre ? R. : Je ne sais pas et je ne veux pas savoir à quel courant appartiennent ces personnes. Je sais qu’il y en a 7 qui n’ont pas participé à la réunion, c’est tout ce qui m’importe. Q. : Un mot sur votre candidature aux législatives 2000 ? Vous considérez toujours que votre échec n’entache pas l’institution que vous présidez ? R. : Bien sûr que non. Et le président Hoss alors ? Il ne dirige pas une institution ? Et les ministres ? Moi je me suis présenté comme la dernière fois, en mon nom personnel. C’est tout. Q. : Qu’est-ce que vous allez faire ces deux jours ? Résoudre, enfin, la crise ? R. : Mais je ne suis pas responsable de cette crise ! C’est à ceux qui sont à l’origine de la crise de trouver une solution. Moi, ce que je souhaite, c’est que si quelqu’un a quelque chose à dire, qu’il le fasse dans le cadre des instances constitutionnelles de la confédération. Tout le reste serait stérile. Seules ces instances constituent la tribune idéale pour débattre et tenter de résoudre les problèmes. Pourquoi aller tout crier sur les toits et dans la presse ? Pourquoi sont-ils archiprésents sur la scène publique tout en refusant de venir en parler à l’intérieur même de nos instances ? Maintenant, si c’est la division, l’effritement ou le pourrissement qui sont souhaités pour la CGTL, c’est autre chose… Q. : Elle est prévue pour quand, votre prochaine démission ? R. : Quand ça sera utile, je le ferai… Q. : Pas de scoop alors… R. : Je vous le donne : je ne démissionnerai plus. C’est fini. Nous avons été élus il y a 9 mois pour 4 ans. Dans 4 ans, nous en reparlerons.
Il ne s’agit pas de faire jouer au président de la CGTL, Élias Abou Rizk, le rôle de la victime. Depuis plus de deux ans, la centrale syndicale en est à sa troisième crise majeure. Et comme à chaque fois, elle est intervenue après l’entêtement de M. Abou Rizk à dire non, à refuser, selon lui, «l’interventionnisme et l’hégémonie des partis politiques», à œuvrer,...