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Actualités - REPORTAGES

Histoire - Les témoins d'une des plus brillantes civilisations en danger I - L'embargo contre l'Irak ruine les monuments et sites les plus prestigieux

Rien de plus triste qu’un bilan de guerre. Certains dégâts sont réparables, vu qu’un immeuble peut toujours être reconstruit, mais d’autres ne le sont malheureusement pas. Un mort ne ressuscitera jamais et un site pillé demeurera inconnu pour l’éternité. Quant aux antiquités volées et vendues sur le marché international, elles ne sont jamais restituées à leur peuple d’origine. Certes, une guerre est toujours destructrice et la conservation des monuments historiques et archéologiques n’est pas prioritaire, même si la convention de La Haye l’exige. Mais détruire «volontairement» un monument archéologique, c’est le vouer à l’oubli. Systématiser le pillage des sites archéologiques, c’est condamner tout un passé à rester inconnu. Interdire l’importation de produits chimiques nécessaires à la restauration des objets d’art, c’est préméditer le massacre d’un patrimoine. En Irak aujourd’hui, la guerre contre l’archéologie n’est pas officiellement déclarée, mais elle est vécue au quotidien par les multiples équipes de la Direction générale des antiquités et du patrimoine irakien. L’Irak est l’un des pays les plus riches en vestiges archéologiques au Moyen-Orient. Plus de 12000 sites sont répertoriés, alors que le désert n’a pas encore été prospecté. Avant la guerre du Golfe, la Direction générale des antiquités irakiennes avait engagé 28 000 ouvriers pour assurer le suivi de l’ensemble de ses sites. Son budget annuel avait atteint les 800 millions de dollars et 500 voitures étaient mises à sa disposition pour sillonner le pays. À cette époque, les archéologues boursiers de l’État poursuivaient leurs études en troisième cycle dans les meilleures universités du monde. Le musée de Bagdad était considéré comme l’un des dix plus grands du monde et les laboratoires de restauration d’objets d’art étaient les mieux équipés au Moyen-Orient. «Grâce à notre équipe et au travail continu, notre patrimoine était bien protégé», souligne le Dr Mouaid Saïd, archéologue, ancien directeur général des antiquités irakiennes, conseiller du ministre de l’Information et de la Culture. Mais c’était la belle époque, l’âge d’or. Tout cela appartient au passé, car le quotidien est si différent. Les herbes folles du jardin de la Direction générale des antiquités, ainsi que le climatiseur qui ne fonctionne pas dans ce pays où la température moyenne en été est de 50°C trahissent un manque évident de moyens. Même les archéologues ont des mines fatiguées. «Nombreux sont nos anciens collègues qui travaillent aujourd’hui dans les plus grands musées du monde. La DGA souffre d’un manque de personnel. Depuis dix ans, aucun recrutement n’a eu lieu, alors que la majorité de nos anciens fonctionnaires ont dépassé la cinquantaine», explique le Dr Mouaid. Toutefois, l’âge avancé du personnel de la DGA n’est pas le seul problème. C’est aussi le manque de formation aux nouvelles technologies qui fait défaut. L’embargo imposé à l’Irak interdit l’importation de livres scientifiques de tout genre. Le Dr Dony Georges, archéologue directeur des publications à la DGA, avoue en riant que «lors des congrès internationaux, nous passons les nuits dans les bibliothèques à photocopier les dernières publications. Car on ne peut pas les introduire en Irak». Une équipe handicapée par le manque de moyens Cependant, si le Dr Georges a la chance d’assister occasionnellement à des congrès, tel n’est pas le cas de toute l’équipe de la DGA. Le Dr Rabih el-Kaïssi, directeur général, précise que «notre équipe est en retard d’une décennie par rapport au reste du monde. Les nouvelles technologies, les nouvelles sciences et techniques de fouilles lui sont inconnues car il n’y a pas d’échanges avec le monde extérieur et la DGA n’a pas les moyens d’envoyer des archéologues assister à des congrès ou à des ateliers de travail dans des pays européens. Et même si nous le voulions, leurs demandes de visas seraient, dans la plupart des cas, refusées». Ainsi, la seule manière pour eux de participer à des congrès internationaux est d’être entièrement pris en charge par le pays hôte. Pillage massif des sites Les problèmes de la DGA irakienne ne se limitent pas aux nouvelles technologies. Celle-ci se heurte aussi au problème du pillage des sites, organisé par des mafias internationales. Les tablettes cunéiformes, provenant toutes des sites du sud de l’Irak, se vendent comme des petits pains chez les antiquaires européens, à des prix atteignant parfois 2 000 dollars. Le plus triste est que leur pays d’origine ne peut exiger des autorités étrangères la restitution de ces antiquités. «Les lois concernant les antiquités protègent les collectionneurs et les trafiquants et non les pays dont le sol est vidé, déplore le Dr Saïd. Il nous est impossible de récupérer les objets volés de nos musées car ils n’ont plus leurs étiquettes ! Nous les achetons lors des ventes aux enchères», poursuit-il d’une voix amère. Les archéologues irakiens ont appris à composer avec cette situation. Mais ce qu’ils acceptent difficilement, ce sont les trésors de leurs musées voués à la dégradation. En fait, en visitant les laboratoires, une vague de tristesse vous enveloppe. Les œuvres d’art exposées il y a une dizaine d’années dans les vitrines pourrissent dans des caisses en fer. Elles attendent d’être restaurées, mais ne tiendront probablement pas le coup assez longtemps pour l’être, car l’embargo interdit encore l’importation des produits chimiques en Irak ! Malgré tous ces problèmes, les archéologues irakiens ne s’avouent pas vaincus. Ils s’accrochent à leur passé, soucieux de le sauver, et tentent d’atteindre leur objectif par n’importe quel moyen. Le combat est long et pénible, mais leur volonté et leur foi réelle en leur pays leur permet de garder espoir.
Rien de plus triste qu’un bilan de guerre. Certains dégâts sont réparables, vu qu’un immeuble peut toujours être reconstruit, mais d’autres ne le sont malheureusement pas. Un mort ne ressuscitera jamais et un site pillé demeurera inconnu pour l’éternité. Quant aux antiquités volées et vendues sur le marché international, elles ne sont jamais restituées à leur peuple...