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Actualités - REPORTAGES

Un panachage à outrance rend les résultats du scrutin incertains Une fièvre sur le littoral qui détonne avec le calme dans la montagne(photos)

S’il faut apprécier la qualité du scrutin au Metn-Nord sur base de la mascarade électorale dont Bourj-Hammoud a été hier le théâtre, l’État mérite bien le «zéro» qu’on a envie de lui attribuer. Zéro pour son parti pris, zéro pour le manque de civisme de ses services, zéro pour le coup qu’il a porté à la liberté de choix des électeurs. Et si dans le Metn central et le Haut-Metn les élections se sont déroulées normalement – à l’exception de quelques incidents répertoriés ici et là –, les abus constatés à Bourj-Hammoud ont malheureusement terni l’image des Législatives et peut-être même mis en doute à l’avance les résultats – quels qu’ils soient – de ce qui était supposé être une consultation populaire dans ce secteur. Des résultats qui, soit dit en passant, paraissaient toujours incertains en fin d’après-midi en raison du panachage pratiqué à grande échelle dans plusieurs localités de la deuxième circonscription du Mont-Liban. En assistant à ce qui s’est passé à Bourj-Hammoud, on a tout de suite tendance à penser que si l’État souhaitait un plébiscite en faveur des membres de la liste qu’il soutient dans le Metn, il aurait mieux fait de le préciser dès le départ. On aurait peut-être pu comprendre l’incroyable comportement, à Bourj-Hammoud, de la machine électorale du ministre de l’Intérieur, Michel Murr – dont la liste, «l’entente metniote», dispute à celle de Nassib Lahoud, «la liberté», les voix des 152 621 électeurs du Metn-Nord – et de certains agents des FSI chargés pourtant de veiller sur la régularité du scrutin. La municipalité de Bourj-Hammoud, où les bureaux de vote des Libanais non arméniens ont été installés (maronites, grecs-catholiques…), est pratiquement assiégée par les délégués de la liste de «l’entente metniote», facilement repérables grâce à leurs T-shirts bleus à l’effigie du ministre de l’Intérieur et à leurs casquettes de la même couleur. Ils sont partout. Il n’est pas possible de leur échapper. Pour pouvoir se frayer un chemin jusqu’à la porte d’entrée de la municipalité, il faut traverser trois «check-points» des délégués de la liste. Trois délégués, munis chacun d’une liste d’électeurs, vous prient à tour de rôle de décliner votre identité et vous demandent pour qui vous venez voter ! Ils n’hésitent pas à arracher des mains d’un partisan de Paul Gemayel et de Nabil Lahoud le bulletin qu’il comptait déposer dans l’urne avant de lui remettre celui de la liste de «l’entente metniote» et de l’escorter – pauvre proie docile et intimidée – vers le bureau de vote. Pour les autres, il ne sera pas aisé d’accéder au bâtiment municipal. Et pour cause : juste à la porte d’entrée, les délégués de Michel Murr ont installé une grande table avec trois ordinateurs devant laquelle les électeurs, encadrés chacun par deux hommes aux T-shirts bleus, doivent bon gré mal gré s’arrêter et décliner, encore une fois, leur identité. La voie est enfin libre, ou presque, parce que même à l’intérieur du bâtiment, les cerbères de la liste de «l’entente metniote» vous suivent…. jusqu’à l’isoloir, sans que le chef du bureau de vote ne réagisse. Le spectacle est hallucinant : le rideau vert qui cache un isoloir de fortune est soulevé par deux jeunes hommes en T-shirts bleus. Et c’est devant toutes les personnes présentes au bureau de vote que l’électeur met le bulletin de «l’entente metniote» dans l’enveloppe avant de le déposer dans l’urne. Le délégué de Nassib Lahoud n’est pas là pour protester. Il s’était retiré moins d’une heure plud tôt pour protester aussi contre le refus du chef du bureau de vote de signer les enveloppes portant le sceau du ministère de l’Intérieur, conformément à l’article 49 de la loi électorale. Du bureau de vote adjacent, réservé aux électeurs maronites, des cris s’élèvent. Un homme d’une cinquantaine d’années vocifère et s’agite. Fou de rage, il peste contre les délégués de Nassib Lahoud qu’il accuse de retarder le scrutin parce qu’ils «n’en finissent pas de vérifier la présence des noms des votants sur les listes d’électeurs». Les délégués de Nassib Lahoud protestent tous contre les pressions exercées par les partisans de la liste rivale contre les électeurs. La tension est à son paroxysme dans ce centre de vote où les agents des FSI se mêlent de la partie, refusant l’accès du bâtiment aux électeurs qui s’abstiennent de décliner leur identité au «bureau électoral informatisé» et saisissant, provisoirement, sur ordre d’un vieil homme dont la fonction reste à préciser, l’appareil photographique de la journaliste qui fixait sur son objectif ce curieux bureau électoral installé juste à l’entrée d’un bureau de vote. La correspondante de presse est ensuite priée de quitter les lieux et sera escortée jusqu’au bout de la rue par l’agent de l’ordre. Une vive tension À Bourj-Hammoud, la tension est vive tout au long de la journée. Dans ce quartier, l’enjeu électoral est de taille. Le littoral du Metn et plus particulièrement Bourj-Hammoud ont toujours été considérés comme étant la chasse gardée du ministre de l’Intérieur – en 1996, ce secteur avait en effet donné à la liste Murr près de 10 000 voix, en majorité arménienne – dans laquelle son adversaire politique, Nassib Lahoud, a toutefois réussi à faire une brèche cette année, en prenant sur sa liste un candidat arménien, Rafi Madayan. Lahoud a ainsi pu avoir accès aux bureaux de Bourj-Hammoud, grâce à son colistier, et essayer, dans la mesure du possible de faire en sorte que les règles démocratiques soient appliquées. Il n’en demeure pas moins que les scrutateurs de la liste de la «liberté» ont été chassés du centre de vote de l’école St-Joseph sous prétexte que leurs cartes sont celles de délégués itinérants. Les incidents se multiplient dans la journée. Michel Samaha, candidat de la liste de «la liberté», renversera sur les partisans de la liste rivale la table sur laquelle ils inscrivaient les noms de tous les électeurs qui arrivent au bureau de vote de l’école St-Joseph. Dans l’après-midi, Nassib Lahoud, qui avait tenté dans la journée de minimiser l’importance des accrocs de Bourj- Hammoud, prend contact avec le commandant en chef de l’armée, le général Michel Sleiman, pour lui demander d’intensifier les patrouilles dans ce secteur, selon le bureau du député sortant. Il a pris cette initiative à la suite d’une rixe entre un de ses partisans et un agent de l’ordre du Tachnag qui empêchait ce dernier d’entrer au bureau de vote où il se trouvait avec Michel Samaha. Panachage et contre-panachage Sans les incidents de Bourj-Hammoud et peut-être quelques bousculades à Jdeidé, le scrutin au Metn-Nord aurait sans doute été l’un des plus réguliers depuis 8 ans. La fièvre qui prévaut sur le littoral du Metn détonne avec le calme et l’ambiance bon enfant qui règne dans les localités du Metn central et du Haut-Metn. Dans une ambiance conviviale, les Metniotes, toutes tendances confondues, se rendent aux urnes, avec en main la liste de leurs candidats à la Chambre. Apparemment, les Metniotes qui ont déposé dans les urnes des listes complètes ne sont pas très nombreux. Leurs bulletins sont souvent un pot-pourri de noms des candidats dont le discours politique reflète leurs idéaux et pour qui ils ont des sympathies personnelles. Les noms de Michel Murr, Nassib Lahoud, Pierre Gemayel, Albert Moukheiber et Émile Lahoud reviennent souvent sur leurs lèvres. Michel Murr est incontestablement apprécié pour les services qu’il rend aux habitants de la région. Nassib Lahoud et Albert Moukheiber pour leur discours politique, Pierre Gemayel et Émile Lahoud, pour l’espoir qu’ils font naître auprès des Libanais. Si le ralliement d’Albert Moukheiber à la liste Murr est vivement réprouvé sur le littoral, il semble plus accepté dans le Metn central et le jurd où l’on «pardonne» au vieux lion sa tactique électorale «si elle doit lui permettre de prononcer son même discours politique à partir de la tribune parlementaire», déclare Saïd, un cadre de Beit Chabab. Par contre, les Metniotes semblent tolérer moins l’alliance PSNS-Kataëb, dont les deux candidats, Ghassan Achkar et Mounir el-Hajj, sont sur la liste Murr et dont les partisans se seraient livrés, selon des rumeurs non confirmées, à un panachage mutuel à outrance. Parallèlement, les noms des deux sont aussi biffés, dans les milieux de l’opposition chrétienne, au profit de Pierre Amine Gemayel qui jouit d’une extraordinaire popularité dans le Metn. Qu’ils soient jeunes ou vieux, les électeurs de cette région parlent de lui avec beaucoup de sympathie. «J’ai cinq enfants dont quatre qui vivent à l’étranger. Si je vais voter pour Pierre Gemayel, c’est parce qu’il donne un immense espoir aux jeunes et que des gens comme lui encourageront ces derniers à rester au Liban». C’est Boulos, un homme de 65 ans, qui tient ce discours à Dekouaneh. «Moi, je ne voterai que pour ceux qui préserveront la souveraineté et la dignité du Liban», renchérit Pierre, 75 ans. Pierre Gemayel est, lui, sûr de sa victoire. «Si tout se passe au même rythme jusqu’à la fermeture des bureaux de vote, ce sera l’explosion au moment du dépouillement des voix», lance-t-il, souriant, dans sa résidence à Bickfaya, juste avant qu’une dame ne vienne se plaindre d’avoir été «brutalement» bousculée par les délégués de Michel Murr «qui ont tenté de m’arracher le bulletin que je tenais serré dans ma main, au bureau de vote de Dhour el-Choueir», affirme Mme Viviane Antoine Assouad, la mine défaite. «Ils m’ont asséné un coup de poing à l’épaule. Je ne vous conseille pas de monter à Dhour el-Choueir. Du moins pas avec ces T-Shirts». C’est que Mme Assouad était accompagnée d’un des partisans de Pierre Gemayel qui portait un T-Shirt à l’effigie de ce dernier quand elle a été bousculée. À l’exception de cet incident, Dhour el-Choueir a voté dans le calme en faveur de son candidat PSNS et de ses colistiers. Mais selon les habitants du village, plusieurs électeurs du Haut-Metn et du Metn central auraient biffé le nom d’Antoine Haddad au profit de son rival grec-catholique, Michel Samaha, qui, à Jouar, s’est dit satisfait du déroulement de l’opération électorale dans ces deux secteurs. Baabdate, ville natale du chef de l’État, Émile Lahoud, dont le fils, Émile, se présente aux élections avec Michel Murr, et de la tête de liste de l’opposition, Nassib Lahoud, a donné ses voix à ce dernier ainsi qu’à M. Émile Émile Lahoud. Comme partout dans les villages du Metn, les considérations familiales et personnelles comptent autant que celles qui sont d’ordre politique. C’est ce qui explique que de nombreux sympathisants de Nassib Lahoud ont voté pour Albert Moukheiber, plutôt que pour son rival sur la liste Lahoud, Riad Abou Fadel, notamment dans le Metn central où certaines irrégularités, comme la distribution de bulletins de vote de la liste Murr à l’intérieur des bureaux de vote, ont été constatées. Jusqu’en fin d’après-midi, les Metniotes ne parvenaient pas à cerner la tendance réelle qui s’est dégagée du scrutin dans leur région. Et lorsque les bureaux de vote ferment à 18h, ils retiennent leur souffle.
S’il faut apprécier la qualité du scrutin au Metn-Nord sur base de la mascarade électorale dont Bourj-Hammoud a été hier le théâtre, l’État mérite bien le «zéro» qu’on a envie de lui attribuer. Zéro pour son parti pris, zéro pour le manque de civisme de ses services, zéro pour le coup qu’il a porté à la liberté de choix des électeurs. Et si dans le Metn...