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Actualités - INTERVIEWS

Interview - Il faut agir rapidement pour freiner le mouvement d'émigration Pierre Amine Gemayel, un parcours de combattant (photo)

À bien y penser, ils ne sont pas nombreux ceux qui, au Liban, veulent faire de la politique parce qu’ils ont un projet à défendre et à concrétiser. Parce qu’ils y croient, surtout, à ce projet. Parce qu’ils rêvent d’un État, un vrai, où les notions de démocratie, de souveraineté, de système politique et de liberté prennent tout leur sens. Parce qu’ils ont le courage de leurs convictions. Pierre Amine Gemayel, candidat à l’un des sièges maronites du Metn, fait partie de cette race, devenue rare dans notre pays. Du coup, dans sa bouche, le terme «changement» – ô combien galvaudé depuis que le cirque électoral a commencé – devient presque réel, palpable. Pierre Gemayel rêve son pays et si, avec lui, on finit par admettre que le changement auquel l’ensemble des Libanais aspire est réalisable, pour peu qu’on y mette un peu de volonté et qu’on tienne bon face à la vieille garde obscurantiste, c’est, tout simplement, parce qu’il a un discours qui se tient. Un discours qui s’articule autour de deux thèmes principaux : la participation au pouvoir pour parvenir à changer, de l’intérieur, le système et à instaurer un équilibre rompu ainsi que la mise en œuvre d’une dynamique qui encouragera les jeunes à ne plus quitter le pays. De 1992 jusqu’aujourd’hui, le jeune candidat a eu tout le temps de réaliser que le boycottage des législatives, aussi légitime soit-il, s’est avéré stérile parce qu’il ne s’est pas associé d’une dynamique de changement qui aurait dû s’exprimer par un programme d’action. «Qu’est-ce qui a changé entre 1992 et 1996 ? Qu’est-ce que nous avons fait sinon de l’opposition ? Qu’est-ce qui a changé entre 1996 et 2000 ? Nous nous sommes disputés pour récupérer 80 % des boycotteurs au lieu d’établir un programme. Voilà pourquoi les gens ont participé aux élections en 1996». Dans sa voix, aucune amertume. Rien qu’une autocritique. Son discours dévoile un homme qui ne se contente pas de lancer des hypothèses, un homme qui croit en la force et en l’utilité de l’action. Plus actif qu’académique. En 1992, il avait expliqué à sa base populaire les raisons justifiant l’appel au boycottage lancé par les partis de l’opposition chrétienne dont il fait partie, ainsi que par le patriarche maronite, le cardinal Nasrallah Sfeir. «Nous avions boycotté car nous considérions qu’une réconciliation nationale authentique aurait dû précéder les élections. Nous étions opposés à un scrutin qui s’assimilait davantage à un compromis». Ses orientations politiques, qui lui avaient à l’époque dicté cette prise de position, n’ont pas changé. Pas plus que son dessein : réaliser la réconciliation nationale et parvenir à rétablir un équilibre rompu au sein d’un État qui soit viable. C’est le moyen employé, qui, à ses yeux, avait besoin d’être changé. Et urgemment : «Parce que nos jeunes sont en train de quitter le pays. Il faut les motiver et leur donner le sentiment qu’ils ont la force et le pouvoir de changer les choses, de briser le statu quo», insiste-t-il. L’enthousiasme de Pierre Gemayel est communicatif et en quatre ans, ce jeune homme a pu instituer de solides assises populaires, en développant un raisonnement auquel les Libanais sont particulièrement réceptifs. «Nous avons déployé énormément d’efforts pour récupérer le terrain perdu et nous avons pu, dans chaque village et dans chaque région, rassembler nos camarades». Le jeune opposant se garde bien de promettre monts et merveilles, mais explique patiemment à ses interlocuteurs le mécanisme qu’il compte défendre avec ses alliés. C’est que Pierre Gemayel compte de nombreux alliés dans la bataille électorale, au Metn, comme dans plusieurs autres circonscriptions. Il en cite quelques-uns dont Antoine Ghanem à Baabda-Aley. Il s’arrête subitement. «Je dévoilerai leurs noms après les élections». Un sourire malicieux se dessine sur ses lèvres. « Renouer avec la notion de confiance » Pierre Gemayel prononce ensuite le mot magique : «participation», une idée récurrente qui constitue le pivot de son programme d’action. «Beaucoup de Libanais ont le sentiment que la guerre a pris fin à leurs dépens. Ces gens-là peuvent pourtant aider l’État à renouer avec la notion de confiance et à rétablir l’équilibre (politique rompu). La moitié des Libanais sont tenus à l’écart alors qu’ils devraient participer (au pouvoir). Ils considèrent aujourd’hui que leurs institutions sont marginalisés et ceux qui sont censés les représenter au sein de l’État ne font en fait qu’expédier les affaires courantes». Que de leaders politiques et de personnalités religieuses ont déploré, depuis la fin de la guerre, le déséquilibre au niveau de la représentation politique des Libanais ! Mais Pierre Gemayel va plus loin en mettant en garde contre les conséquences, à long terme, de cette rupture d’équilibre et en insistant sur le fait qu’un «Liban en déséquilibre se met en danger et met en péril les autres», en l’occurrence ses voisins. «On risque en effet d’assister à l’émergence d’un Ben Laden au Liban-Nord ou d’un nouveau Abou Mahjan au Liban-Sud. La représentation de tous les Libanais au sein de l’État est une garantie fondamentale pour ce même État». Pierre Gemayel n’est pas près de renoncer à son projet ou de baisser les bras si l’État fait la sourde oreille à ses avertissements. C’est que le jeune candidat est quelqu’un de déterminé. «Le mouvement que nous enclenchons se poursuivra jusqu’après les élections et jusqu’à ce que l’État soit doté d’une garantie qui assurera sa pérennité». Il sait parfaitement que seul, il ne pourra pas obtenir la concrétisation de ses vues et espère qu’après les élections, une table ronde sera organisée «pour échanger les idées et pour passer à l’action». En vérité, il n’y a pas que la représentation des Libanais qui, à ses yeux, est à même de rétablir l’équilibre rompu. La démocratie bafouée, le système établi sur de fausses bases, la liberté de décision hypothéquée, la souveraineté spoliée sont autant de tares auxquelles il faut impérativement remédier, mais suivant une logique bien précise. Celle-ci se fonde sur la relation intrinsèque entre une série de principes sans lesquels il serait utopique, pour lui, d’aspirer à un État à la hauteur des rêves des Libanais. «Un seul mot revient sur toutes les lèvres : la souveraineté, mais nous oublions l’essentiel : si nous cherchons la coexistence, il faut qu’il y ait de la démocratie et pour parvenir à une démocratie, il faut bénéficier d’une liberté de décision laquelle ne peut pas exister sans la souveraineté. Aujourd’hui, nous ne parlons aussi que de présence (sur la scène politique). Mais pour que cette présence s’exprime, il faut qu’il y ait un système qui ne sera établi sur de bonnes bases qu’à travers une représentation politique authentique. C’est à ce moment-là que nous pourrons prétendre à une coexistence que protégera la démocratie… Telle est la structure qui doit être mise en place. Nous défendons la présence en parlant de souveraineté. Mais c’est un décalage monstrueux !» Les relations avec la Syrie Cela ne veut pas pour autant dire qu’il relègue au deuxième plan le principe du recouvrement de la souveraineté. Au contraire. Le jeune candidat compte bien réclamer, comme il le fait depuis des années, «une clarification des relations entre le Liban et la Syrie. Sont-elles sincères ou faut-il agir pour qu’elles le soient ? Dans ce cas, il est nécessaire de préserver la souveraineté de chacun des deux pays et surtout, celle du Liban. Je souhaite une relation sincère avec la Syrie, fondée sur des bases saines, tout comme j’appelle à une relation sincère avec l’État libanais. C’est ce qui dure en définitive». Pense-t-il qu’il remportera la bataille électorale ? Pour toute réponse, il part d’un grand éclat de rire. Un rire franc, communicatif, presque timide. «Je ne sais pas, je crois que oui». Mais qu’il accède à la Chambre ou pas, il poursuivra son parcours de combattant. «La bataille électorale ne vaut la peine d’être menée que si c’est pour une cause nationale. Pourquoi pensez-vous que le parti Kataëb ne fonctionne pas ? C’est parce qu’il n’a pas une cause à défendre, parce qu’il n’a pas d’option politique. Lorsque cette option existera, le parti en deviendra alors l’instrument exécutif». Le parti est aujourd’hui divisé, «mais la base Kataëb se tient à mes côtés, parce qu’elle est convaincue du bien-fondé de l’objectif que je me suis fixé». Parce qu’elle adhère aussi, comme beaucoup de Libanais, à ses idées sur le changement, et qu’elle veut de toutes ses forces croire que ce changement est vraiment possible. Pierre Gemayel, lui, y croit dur comme fer. Il sait que lorsqu’on crée les conditions propices à un changement, celui-ci ne peut que se réaliser.
À bien y penser, ils ne sont pas nombreux ceux qui, au Liban, veulent faire de la politique parce qu’ils ont un projet à défendre et à concrétiser. Parce qu’ils y croient, surtout, à ce projet. Parce qu’ils rêvent d’un État, un vrai, où les notions de démocratie, de souveraineté, de système politique et de liberté prennent tout leur sens. Parce qu’ils ont le...