Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGES

Festival de Baalbeck - Programme somptueux dans un cadre merveilleux L'orchestre de chambre Franz Liszt : rigueur et clarté de Bach (photos)

C’est sûr les murs ont des oreilles. Et ce soir là, pour cet hommage à Bach, les colonnes et le péristyle du temple de Bacchus se sont reveillés de leur sommeil millénaire pour prêter une oreille attentive à cette musique venue de Thuringe et des grandes villes de Saxe d’un cantor à l’inspiration «divine». Et l’adjectif n’est pas ici seulement figure de style mais expression d’une composition où les notions d’élévation et de spiritualité ont jeté une singulière lueur en ces lieux voués aux dieux sans visages du paganisme. Avec pour fond de décor la beauté imposante et altière des vieilles pierres jaillies des empires engloutis et généreusement éclairées par des spots et en marge du 250e anniversaire de la mort de l’auteur de la Passion selon St-Mathieu, l’orchestre de chambre Franz Liszt (19 musiciens) a offert à l’auditoire quelques pages merveilleuses (mais interprétées avec un inégal bonheur) de la gigantesque et prolifique oeuvre du «Konzertmeister» de Weimar. Selection raffinée des compositions du maître suprême du contrepoint groupant des partitions de l’art de la fugue (extraits), un concerto pour deux violons, le concerto brandebourgeois n° 3 et une suite en si mineur. Beau florilège et heureux parcours pour jeter la lumière sur une «voix» qu’on reconnaît d’emblée et qui du reste est unique dans sa limpide formulation. Fastueux programme dans un cadre non mois fastueux pour dire toute la beauté, la splendeur, l’architecture, la rigueur, la claire précision, l’émotion et l’insondable richesse sonore d’une musique qui traverse, inaltérable, les siècles et les modes. Une musique qui comme le vin se bonifie avec le temps ; d’où l’accueil si chaleureux d’un Bacchus ivre de ces sonorités évoquant des sphères aux plaisirs impalpables… Et force est de constater avec Robert Schumann que «la musique doit à Jean-Sébastien Bach autant qu’une religion à son fondateur». Ouverture avec les extraits de l’art de la fugue, cet ouvrage pédagogique de 15 fugues mais dont l’une est restée inachevée. Originalité d’une narration à laquelle ce musicien épris de perfection donna du lustre et de l’allant. Introductions remarquables et «science» habile pour développer un thème qui finit par la suite par devenir une des formes polyphoniques les plus importantes de la musique classique européenne. Subtils procédés contrapuntiques en un tout cohérent voilà la «fugue» sous les feux des archets à la fois admirablement libres et synchronisés exprimant, sans s’extérioriser outre mesure bien entendu, une sensibilité parfaitement maîtrisée. Extraits qu’on a écoutés ici par un orchestre pris de court par un vent fort qui perturbait probablement les partitions sur les pupitres, un public aux applaudissements indécis, des retardataires qui entraient avec la délicatesse des spartiates au pas martial (et d’autres, plus «cool», avec un verre de vin à la main, on est chez Bacchus après tout n’est-ce pas ?) sans évoquer l’incontournable «mobile» dont la sonnerie «eine kleine nacht musik» (Mozart peut s’accorder à toutes les sauces !) résonnait impunément. Tout cela a généré une atmosphère qui pouvait déconcentrer les musiciens et qui a porté ombrage à la première partie du programme dans la qualité de l’interprétation de cet art de la fugue qu’on souhaitait pourtant limpide comme du cristal. Moment plus «lyrique» avec le concerto pour deux violons (solistes Janos Rolla et Kalman Kostyal) de celui qui fut lui-même excellent violoniste (Bach a longuement travaillé cet instrument de l’errance avec son père !) et qui prête aux deux archets un des plus beaux dialogues, ne leur accordant ni prouesses vertigineuses ni bravoure tapageuse, mais usant d’un discours soutenu, serré et surtout brillant que porte avec éclat un orchestre intervenant dans cette narration menée tambour battant et avec une logique implacable. Avec Bach, on ne perd jamais de vue le sens d’une absolue clarté. Après l’entracte, bouffée d’energie nouvelle et une plus grande vivacité avec le passage à la musique de cour du Concerto brandbourgeois n°3 réservé aux cordes où brille une œuvre «instrumentale» riche et variée. Des six concertos brandebourgeois dédiés au margrave Christian – Louis de Brandebourg, composés pendant le séjour à Cothen où Bach disposait d’un excellent orchestre, on écoute donc ce numéro trois rappelant avec une forme géniale une expression musicale qu’affectionnaient particulièrement Corelli et Vivaldi. Bâti selon la forme du concerto grosso qui oppose deux groupes d’instruments – le tutti ou ripieno et le concertino, forme de solistes, cette œuvre se distingue par une habile association de timbres et la répartition des thèmes. Quittant les normes de l’époque, Bach montre avec quelle richesse de moyens et quelles nuances et couleurs instrumentales il était possible de «concertare» c’est à dire de créer une «concurrence» musicale. Pour terminer, une suite en si mineur (avec pour soliste à la flûte Erika Sebok) de celui qui abordait avec un égal bonheur d’inspiration un oratorio ou une badinerie. Légère, transparente, heureuse dans son rythme dansant, avec de fausses allures de facilité, cette suite stylisée et atteignant une grande profondeur d’expression, jette une authentique note de fête dans ce temple brusquement habité par l’esprit d’un rayonnant homme de foi qui par-delà ses deux mariages, ses 21 enfants et sa tardive cécité sut garder, inébranlable, la force de composer et de croire en la vie.
C’est sûr les murs ont des oreilles. Et ce soir là, pour cet hommage à Bach, les colonnes et le péristyle du temple de Bacchus se sont reveillés de leur sommeil millénaire pour prêter une oreille attentive à cette musique venue de Thuringe et des grandes villes de Saxe d’un cantor à l’inspiration «divine». Et l’adjectif n’est pas ici seulement figure de style mais...