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Actualités - INTERVIEWS

Sarraf : le gouvernement nous met constamment des bâtons dans les roues (photo)

– Quels sont les chiffres, sur les deux dernières années, du chômage, des licenciements, des entreprises qui ont fait faillite ou qui sont sur le point de déposer leur bilan ? Il n’y a aucune statistique. Et personne n’en a. – Vous trouvez ça normal ? Bien sûr que non. Personne ne veut en parler, personne. Même si l’on veut être les seuls à le faire, rien n’est prévu pour cela au Liban. Rien n’existe pour établir ces chiffres. Et puis, ce travail n’est absolument pas du ressort du secteur privé, c’est la responsabilité totale du service public. Il y a le Bureau de l’emploi, nous pourrions travailler conjointement avec lui, non ?. Mais bon, maintenant il y a des chiffres qui circulent. Pour le taux de chômage, certains parlent de 22 %. – Et les licenciements ? Mais je vous le répète, personne ne veut en parler ! Et pour établir des chiffres concernant les entreprises en faillite, il faudrait d’abord arriver à les identifier toutes, non ? Au Liban, se déclarer en faillite, c’est quelque chose d’énorme. Un patron en faillite fermera sa boutique, prendra l’avion et ira au Brésil, sans dire un mot. Oubliez cette transparence, que réclame constamment, par exemple, le président de la République : il est impossible de compter sur elle, il n’y a pas de structure prévue à cet effet, aucune loi. – Il faudrait donc tout restructurer de fond en comble ? Il faut une refonte totale. On n’a pas de vision dans ce pays, surtout par rapport au dossier social. Le Liban est un pays de vieux, nous ne sommes que des vieillards dans ce pays, on n’a plus de jeunes. Dans tous les cas, vous n’avez qu’à regarder les dirigeants de ce pays. Je ne vois plus de jeunes que dans les universités, une fois leur cursus terminé, ils partent à l’étranger, je ne trouve pas de jeunes dans les entreprises. – Comment expliquez-vous cette situation ? Je ne l’explique pas. Il y a 4 millions d’habitants dans ce pays, avec une population active de 2 300 000 personnes. Je vous garantis que l’âge moyen de cette force ouvrière n’est pas inférieur à 35 ans. Regardez la force ouvrière dans le secteur public : où sont les jeunes ? Nous sommes heureux quand nous avons un ou deux nouveaux jeunes directeurs, mais n’oublions pas qui gère les entreprises du secteur public ? – C’est la responsabilité de qui ? Du gouvernement ? Ce n’est la faute de personne et c’est celle de tout le monde. Il n’y a aucune vision. Des chiffres : 5 % seulement de Libanais lisent, par exemple, les journaux. 90 % regardent des programmes débiles sur la LBC, dont je suis actionnaire d’ailleurs. Si c’est ça le Liban, applaudir le bla-bla et rien que le bla-bla, quel beau pays sera le nôtre... – Quelle est votre solution ? Avoir une vision, encore et toujours. Répondre à une question : comment être productif ? Et pour cela, il faut maîtriser les rudiments, assurer le minimum de base : la culture. Je ne critique pas les gens qui regardent la télévision, je tire la sonnette d’alarme ! Ce n’est pas seulement la rentabilité d’une entreprise qui est importante, c’est la rentabilité d’un peuple. Le Libanais est performant, il veut se démarquer, il ne veut pas faire n’importe quoi, et nous sommes pour. Et ça doit commencer par la culture, les connaissances. C’est un plus sur lequel il faut tabler. La question que doivent se poser les jeunes, aujourd’hui, lorsqu’ils veulent embrasser une carrière, ce n’est pas de savoir s’ils vont aimer ou pas leur futur métier, c’est «comment je vais faire pour continuer à être respecté ?»? Au Liban, quelle que soit l’excellence de votre travail, il y aura toujours un ignorant pour vous dire «non». Il est temps que l’on gère notre peuple. – Comment ? Viser, au point de départ, les universités. Et puis que le bureau de l’emploi fasse son travail, que le gouvernement, les parents fassent leur travail. Savoir par exemple de quoi nous avons besoin dans ce pays, guider notre jeunesse. Ce n’est pas par exemple parce qu’un tel a envie d’être journaliste qu’on doit l’encourager à le devenir. Il faut voir si le pays a besoin de journalistes, et de quels journalistes. Il faut créer une jeunesse qui peut aider l’industrie libanaise, qui puisse être un bon partenaire. Dix-huit mille Égyptiens entrés illégalement au Liban – Comment envisagez-vous, par rapport à cela, le futur proche ? Au Liban, le cas du Japon, de l’Amérique, des pays asiatiques ou de la Chine demain, où le travail est de plus en plus automatisé, où la main-d’œuvre devient le commerce, il faut penser dès maintenant à créer des postes. Prenez par exemple les banques et les assurances, où tout s’informatise à une vitesse grand V. – C’est carrément inévitable... Bien sûr. Maintenant, le plus urgent, c’est d’instaurer des comités de crise, pour tous les sujets, et chacun, dans sa spécialité, devrait y participer. Il faut être plus pratique, plus pragmatique, oublier un peu les théories. – Où en êtes-vous avec le gouvernement et sa politique actuelle ? En étant le plus transparent possible, je suis carrément contre. Il faut se pencher sur le secteur bancaire, le secteur industriel, les problèmes de financement, sur la livre libanaise, et trouver un compromis. – Les taux d’intérêt en vigueur au Liban vous conviennent ? Ce n’est pas mon problème majeur. Nous avons plus de 25 façons d’aider les industriels à trouver un financement. Nous avons des problèmes bien plus importants avec le gouvernement que les taux d’intérêt. – Lesquels ? En tant qu’industriel, je suis convaincu que le Liban est un pays de secteurs productifs. Aussi. L’industrie, l’agriculture, le tourisme devraient être aussi productifs dans ce pays que les sociétés de service, c’est-à-dire les banques, les assurances, la publicité, les médias, etc. Si vous regardez dans le détail, vous verrez que tout ce que fait ce gouvernement c’est nous mettre, constamment, des bâtons dans les roues. Il ne nous facilite en rien la tâche, les charges sont tellement lourdes, les produits tellement surtaxés. Et puis, nous payons des prix exorbitants : l’électricité, le pétrole, le fuel. – Où vous situez-vous par rapport à la privatisation de l’EDL ? Je suis pour cette privatisation, évidemment. Il n’y a pas d’autre choix. On dirait vraiment que ce gouvernement ne fait que tourner dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. – Et par rapport à l’augmentation des prix de l’essence ? Les 6 000 LL de taxe sont inadmissibles. Que le gouvernement aille donc dans les pays arabes voir comment il peut être subventionné. Et qu’ils arrêtent de parler du renflouement des caisses. Les pertes sont principalement dues à la non-productivité du secteur public. Les fonctionnaires de l’État, ils sont 300 000, sont payés pour ne pratiquement rien faire. Arrêtons de perdre le temps ! – Comment voyez-vous l’évolution de la grogne et du ras-le-bol des Libanais, d’autant plus que l’échéance électorale du 27 août s’approche à grands pas ? Va-t-on vers un nouveau 6 mai 92 ? Nous en sommes loin, du 6 mai 92. Dans tous les cas, tout cela attendra les élections et le nouveau gouvernement. Mais pourquoi ne pas donner maintenant, même s’il ne reste plus que deux mois, les ministères en question, Électricité et Pétrole, à Georges Frem ? L’Électricité, il s’y connaît, et puis il a déjà investi de sa propre poche... Et puis c’est tout le gouvernement qui ne réagit pas. – Où vous situez-vous, vous le patron des patrons, par rapport aux travailleurs étrangers présents au Liban et le chômage qui galope ? Moi je veux être pragmatique, concurrentiel et productif. Il y a des branches dans lesquelles le Libanais ne veut pas travailler : les stations-service, la voirie, les tanneries, comme domestique de maison... Et puis le fait qu’il ne veuille pas des «dirty jobs», je ne trouve pas que ça soit une honte, au contraire, c’est sa force. C’est une bonne chose que le Libanais veuille être différent, spécial, sélectif, pourquoi veut-on l’obliger à faire ce qu’il ne veut pas faire ? Il n’empêche, j’aimerais bien savoir comment ont fait récemment 18 000 Égyptiens pour s’infiltrer illégalement au Liban ? – Comment se fait-il enfin qu’il n’y ait eu aucune augmentation de salaire dans le secteur privé, alors qu’elles ont lieu régulièrement dans le secteur public ? Qui vous a dit ça ? Il y a des augmentations dans le privé sans que le gouvernement ne prenne la décision à notre place. Nous sommes les seuls responsables de notre secteur. Vous ne trouverez aucun salaire en dessous des 300 dollars et le salaire moyen est de 650 dollars, tout cela d’après une étude qui a été faite en 1997. Nous n’attendons aucune initiative du gouvernement pour l’augmentation des salaires de nos employés. Le problème se situe au niveau du secteur public.
– Quels sont les chiffres, sur les deux dernières années, du chômage, des licenciements, des entreprises qui ont fait faillite ou qui sont sur le point de déposer leur bilan ? Il n’y a aucune statistique. Et personne n’en a. – Vous trouvez ça normal ? Bien sûr que non. Personne ne veut en parler, personne. Même si l’on veut être les seuls à le faire, rien n’est...