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Actualités - ANALYSE

Société - Cinq perspectives prioritaires pour rétablir l'équilibre Un mal libanais : le syndrome de perte de confiance (photos)

La société libanaise est-elle atteinte d’un mal persistant et incurable : le syndrome de perte de confiance? La confiance, lubrifiant de toutes les relations humaines et surtout politiques, est à l’origine de l’idée démocratique. Comment la restituer en tant que moteur de développement et de renaissance nationale? Antoine Messarra se penche sur le diagnostic et la thérapie de cette maladie qui se répand malgré de nombreux acquis cumulés et positifs. La société libanaise est atteinte d’un syndrome, à savoir un ensemble de signes, de symptômes, de troubles, dont les causes sont inconnues ou multiples, par opposition à la maladie relativement délimitée, syndrome qui entrave la reprise de confiance des Libanais, et surtout des jeunes, dans leur pays, le développement et l’investissement. Les dirigeants et les chercheurs ne sont pas penchés sur l’étude de ce syndrome en vue du diagnostic et de la thérapie en dehors du leitmotiv sur le ihbât (frustration), la «situation régionale» et la dette publique. Le syndrome empire, en dépit du cumul de données positives au Liban, dont le retrait israélien du Liban-Sud à l’exception de quelques empiètements, la reprise du processus électoral municipal et législatif après des années de suspension et, surtout, le fait que le Liban a échappé à la libanisation, au sens de la fragmentation radicale et du règlement impossible, et que la libanisation dans ce sens a été exportée vers l’ex-Union soviétique et l’ex-Yougoslavie. C’est dire que les grands malheurs pour les Libanais sont derrière eux. Les dangers du syndrome Pourquoi dès lors les Libanais sont-ils si peu intéressés par les prochaines élections législatives? Pourquoi les jeunes reprennent-ils des slogans conflictuels du passé et rêvent-ils d’autres horizons? Pourquoi ce niveau de marasme économique? Pourquoi le retour aux régions libérées, après une longue absence, est-il teinté d’appréhension en dépit des chances de souveraineté intégrale et de hausse du prix des terrains? C’est le syndrome de la perte de confiance des Libanais en eux-mêmes, dans leurs potentialités et dans l’aptitude de ceux qui sont en charge des affaires publiques. Une des conséquences du syndrome, c’est l’extension du sentiment d’impuissance et le recul de l’engagement et de la propension à agir. Les Libanais ont connu entre 1975 et 1990, et même après cette période, des moments qui justifiaient davantage le désespoir, sans qu’ils ne perdent pour autant leur confiance en eux-mêmes, en l’avenir, et même dans la plupart des leaders. Le président Élias Sarkis, en dépit de l’état de paralysie où se trouvait alors le Liban, s’était une fois adressé aux Libanais en ces termes : «Je suis l’un de vous, pour vous et avec vous». Le président Rachid Karamé répétait l’expression «intérêt général» (al-maslaha al-’ama) dans presque toutes ses déclarations au point qu’on l’a surnommé «le disque» (al-ustuwâna). Qui aujourd’hui parle aux Libanais avec ce ton qui suscite le crédit? L’extension du syndrome de perte de confiance est plus grave que les répercussions sur le Liban de la crise du Proche-Orient et que le volume de la dette publique, parce que le syndrome brise la racine de la résistance, de la renaissance nationale et de la reconstruction humaine. Nous sommes ainsi menacés par l’axiome de la «prophétie qui se réalise d’elle-même», c’est-à-dire que, si on s’attend au pire, le pire a les plus fortes malchances de survenir parce qu’on l’a attendu et qu’on s’y est préparé. Des enquêtes sont menées périodiquement dans certains pays pour mesurer «le moral du peuple», moral qui constitue l’indicateur du développement, du redressement, de la hausse du taux des mariages et des naissances, des performances dans les études, de la mobilité sociale, de l’investissement et de l’activité économique en général. La question que posent les Libanais : Êtes-vous optimiste? Êtes-vous pessimiste? banalise le concept de moral d’un peuple dont le fondement est la confiance. La confiance implique un sentiment de sécurisation psychologique dans les rapports sociaux et dans la perception des situations. Elle est le mobile qui fait mouvoir les potentialités humaines. Celui en qui on a confiance, on compte sur lui. Avoir confiance en soi, c’est être assuré de ses possibilités. Le poste de confiance, on le réserve à quelqu’un de sûr. La confiance ne se limite pas aux rapports interpersonnels, amicaux et affectueux, elle couvre tout le champ politique, économique, social et toutes les perspectives de développement. De la confiance dérivent les autres mobiles et moteurs de l’action humaine. Elle est le lubrifiant des relations politiques, sociales et économiques. On a peut-être privilégié les explications matérielles : capital, travail, ressources naturelles… Et si les mentalités et les comportements constituaient le principal facteur du développement et du sous-développement ? Un ethos de confiance favorise en effet l’innovation, la performance, l’initiative, la participation. La confiance est à la source de l’idée démocratique, puisqu’elle fonde la légitimité. Comment les gouvernants peuvent-ils répandre la confiance en tant que moyen de capacitation (empowerment), de renaissance, de redressement et de reconstruction nationale ? Le problème est lié aux élites au pouvoir sans lesquels les institutions ne sont que des charpentes momifiées et vides. La confiance peut se répandre au Liban grâce à plusieurs orientations, dont les suivantes : 1. Le discours sur l’armée : un discours plus explicite, authentique et engagé sur l’armée et son rôle dans l’étape suivant la libération du Sud nourrit la confiance des Libanais qui ont tous souffert durant la guerre de la sécurité par accommodement (al-amn bi-l-tarâdî) et de la souveraineté –décor, avant et après l’Accord du Caire. Par contre, le discours officiel ou celui de quelques politiciens sur l’armée et sa fonction dans la défense des frontières libanaises, ainsi que les controverses sur un problème qui doit être une évidence nationale rappellent des slogans du passé et n’inspirent guère la confiance et la sécurisation psychologique. 2. La déconnexion entre présence armée syrienne et guerre civile : lier les deux sujets ébranle le moral le plus élevé et surtout le moral de tous ceux qui ont résisté et contrecarré la guerre dans sa dimension civile, tout en étant soucieux des rapports stratégiques libano-syriens dans le sens de la sécurité régionale et non de la sécurité intérieure. Continuer à lier la guerre dans sa dimension civile avec la continuité de la présence de l’armée syrienne au Liban signifie que le Liban a besoin d’une tutelle permanente, autrement dit qu’il est préférable de ne pas élire résidence permanente au Liban, pour celui qui en a les moyens, et de ne pas fonder des projets pour soi et sa progéniture, du moment que le Liban est sous la menace constante du retour aux obus et démarcations. 3. La proclamation de la fin des guerres au Liban dans leur dimension civile : le gouvernement a bien fait de proclamer le 25 mai Jour national de libération. Mais aucun gouvernement, depuis 1990, ni aucun responsable officiel n’a proclamé le 13 avril Jour de mémoire pour les martyrs de la guerre 1975-1990, tous les martyrs, principalement les personnes disparues auxquelles il faudra ériger un monument de mémoire, puisqu’ils sont de toutes les communautés, régions, classes sociales, affiliations (et non-affiliations) – politiques, symbole de la souffrance des Libanais, de la fin du calvaire national et surtout des parents des disparus, et expression d’une contrition nationale généralisée. 4. Les nominations administratives : ces nominations ne sont pas purement administratives, destinées à gérer des services. Les personnes nommées sont des gens connus ou inconnus, et occupent en société une position scientifique et professionnelle qui leur donne ou non de la crédibilité. Si les désignations sont régies par le souci de caser des clients, cela n’inspire pas confiance pour l’avenir de nos enfants. Il sera aussi difficile pour tout instituteur et professeur, dans les écoles et universités, d’inciter les élèves et étudiants à l’application et à la performance tant que l’arrivisme est prédominant. 5. Le discours officiel sur les élections législatives et municipales : il ne semble pas depuis 1990 que la plupart des tenants du pouvoir assument la responsabilité du succès de l’opération électorale dans le sens de la représentativité effective, de la participation et de la motivation compétitive, de sorte que les gens se sentent concernés, responsables et participants. Des déclarations officielles se limitent au problème des listes électorales et à l’organisation administrative. On peut appliquer à ces déclarations la boutade de Paul Valéry : «La politique est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde!». Le changement de style du discours officiel sur les élections contribue à restituer la confiance perdue ou perturbée. *** Ce dont souffre la situation libanaise intérieure, aux niveaux gouvernemental, administratif et des institutions officielles en général, c’est le manque d’imagination, de créativité, de vision et de communication. L’État institutionnel n’est pas un ensemble de bâtiments et de législations, mais aussi un leadership et des élites gouvernantes qui inspirent confiance et suscitent la capacitation et la foi, engagée et dynamique, en l’avenir.
La société libanaise est-elle atteinte d’un mal persistant et incurable : le syndrome de perte de confiance? La confiance, lubrifiant de toutes les relations humaines et surtout politiques, est à l’origine de l’idée démocratique. Comment la restituer en tant que moteur de développement et de renaissance nationale? Antoine Messarra se penche sur le diagnostic et la thérapie de cette...