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Actualités - REPORTAGES

Environnement - Epandage, par voie aérienne, d'insecticide le week-end dernier Programme franco-libanais de sauvetage des cèdres de Tannourine (photos)

Le week-end dernier s’est déroulé, dans le ciel libanais, un étrange combat. Combat aérien d’une alouette et d’une petite abeille. Mais attention, il ne faut pas se méprendre, l’alouette en question est un hélicoptère, et l’espèce d’abeille est un Cephalcia tannourinensis. Nom quelque peu barbare derrière lequel se cache un insecte tueur de cèdres. Pour lutter contre ce fléau, le ministère de l’Agriculture a fait appel à des experts français en lutte aérienne contre les insectes ravageurs de forêts. Le week-end dernier a eu lieu le deuxième épandage d’insecticide à Tannourine, Haddath Jebbé et Bécharré. Les cèdres du Liban n’en sont pas à leur première attaque. Depuis les Phéniciens, on ne compte plus les blessures qui leur ont été infligées. Un nouveau fléau, pourtant, le Cephalcia, vient aujourd’hui les mettre à mal dans la région de Tannourine Haddath Jebbé. Fléau dévastateur puisque 80 pour cent des 50 000 cèdres bicentenaires de la forêt sont attaqués. Le week-end dernier, Guy Démolin, expert français de l’Inra (Institut national de recherche agronomique) en lutte aérienne contre les insectes ravageurs de forêts et ses collaborateurs, deux chercheurs de l’Université américaine de Beyrouth, Nasri Kawar et Nabil Nemer ainsi qu’une équipe de la direction du développement rural et des ressources naturelles du ministère de l’Agriculture étaient à Tannourine pour la deuxième session d’épandage d’insecticide d’un programme financé par le ministère à hauteur de 200 millions de livres libanaises. L’opération a débuté samedi matin. Elle consiste en la dispersion d’un insecticide sur la plus grande forêt de cèdres du Liban grâce à un hélicoptère Alouette II équipé d’un système d’épandage à buses éoliennes. Aux commandes de ce petit hélicoptère, deux français, un pilote et son mécanicien, de la société Procopter, spécialiste de ce type d’opération. L’objet de toute cette attention est un insecte, de l’ordre des abeilles, mais encore plus petit. Signe particulier, le Liban en a l’exclusivité car il n’a été répertorié dans aucun autre pays au monde jusqu’à présent. Son nom, Cephalcia tannourinensis, en référence à la région où il a été détecté. La découverte de l’insecte remonte à 1996 «grâce aux observations des membres de l’association des amis de la forêt de Tannourine», note Mounzer Dagher, président de l’association. Mais, les chercheurs n’ont débuté les études pour l’identifier qu’en 1998. Or les attaques ont dû commencer au début des années 90, car c’est à cette période que la forêt s’est teintée de roux. La détection tardive de cet insecte pose le problème de la mise en place au Liban d’un réseau d’observateurs et d’experts en entomologie et en biologie. Nabil Nemer explique qu’il n’existe pas à l’heure actuelle d’inventaire des espèces présentes au Liban. Ce retard est particulièrement regrettable dans le cas du Cephalcia, car cinq attaques consécutives tuent l’arbre. La dangerosité du Cephalcia tient au fait que les larves se nourrissent des bourgeons de l’année pour finalement les détruire complètement mettant par là même la survie de l’arbre directement en jeu. C’est d’ailleurs une des caractéristiques fortes de cet insecte car il est le seul répertorié capable de tuer le cèdre. D’autres insectes, telle la tordeuse, un papillon de la famille des Tortricidés, présente dans la forêt de Bécharré, s’attaquent aux bourgeons de l’année précédente ce qui entraîne un retard de croissance pour l’arbre, mais pas la mort. L’une des défenses du cèdre face à de telles agressions est d’engendrer des bourgeons de secours. Or deux autres insectes sont apparus, la vrillette, un petit coléoptère, et le cessidomide, un diptère, qui s’attaquent précisément à ces bourgeons de secours. Aucune échappatoire n’est laissée au cèdre. Ces deux insectes n’apparaissent que lorsque l’arbre essuie une attaque très forte. Pour les éliminer, une seule solution, s’attaquer à la racine du problème : le Cephalcia. Contre-attaque Ainsi, le ministère de l’Agriculture a fait appel aux services de Guy Démolin, dans le cadre du programme Cèdre qui établit une coopération franco-libanaise dont les participants sont l’Inra, l’AUB et l’Université libanaise. L’opération menée samedi est le deuxième volet d’un programme prévu initialement sur trois ans. Celui ci a débuté en 1999, après une étude préliminaire menée grâce à l’institut Yves Rocher en 1998. À la suite de cette étude, qui a permis l’identification du Cephalcia, l’équipe de Guy Démolin a décidé d’utiliser un insecticide inhibiteur de mue. Cet insecticide se dépose sur les feuilles dont se nourrit le Cephalcia. Une fois ingéré, le produit actif bloque la chaîne des sucres qui concourt à la formation de la peau dure des insectes. Ainsi, quand le cephalcia mue, sa nouvelle peau est altérée et l’insecte déformé. Il n’y survit pas. Premier bémol de cette méthode, la mort de l’insecte n’intervient pas au moment précis de l’ingestion du produit mais au moment de la mue. Il existe donc un délai plus ou moins long entre l’absorption du produit et la mort de l’insecte. Mais, point positif, n’ayant pas d’effet de contact, cet insecticide, homologué en France, est plus respectueux de l’environnement. La première opération d’épandage a eu lieu en 1999. «Depuis des résultats significatifs ont déjà été notés», explique Nabil Nemer, qui effectue une thèse de doctorat sur les insectes ravageurs de cèdres à l’université de Marseille, sous la direction de M. Démolin. «À la suite du premier traitement en 1999, nous avons constaté une baisse de 50 pour cent en moyenne, sur toutes les régions traitées, des larves parvenues au stade de la chute de l’arbre», ajoute M. Nemer qui s’occupe de la partie biologie et relevé sur le terrain avec Guy Démolin. Les larves après la première période de leur vie passée dans l’arbre à se nourrir, tombent au sol où elles s’enterrent avant de ressortir en insecte volant pour s’accoupler. Le comptage des larves se fait au sol pour des raisons pratiques. «La population a diminué de moitié si l’on effectue une comparaison avec une zone de quelques hectares non traitée que nous avons gardée comme témoin. Sur la zone témoin, on note une densité de 900 larves enterrées au mètre carré, contre une moyenne proche de 500 dans les zones traitées», précise-t-il. «L’objectif pour l’année 2000 est de parvenir à un taux d’efficacité de 70 pour cent», conclut Nabil Nemer. Le climat, allié ou ennemi ? Outre l’insecticide, un second facteur intervient dans la lutte contre le cephalcia : le climat. «Le froid est notre allié», explique Guy Démolin. «En 1999, l’hiver avait été doux, la remontée des larves hors de terre s’était donc faite plus tôt. Cette année, l’hiver a été plus rigoureux et plus long. La neige a recouvert le sol beaucoup plus longtemps dans la région. Les larves sont remontées beaucoup plus tard», ajoute-t-il. L’efficacité et la rapidité du traitement sont accrues car les larves ingéreront le produit plus tôt. Il demeure encore une inconnue, la durée pendant laquelle une larve reste sous terre. «Le Cephalcia a cette formidable capacité d’arrêter son développement pendant une période qui peut aller jusqu’à six ans. Cet insecte est donc puissant par le nombre de sa population, mais aussi par le fait qu’il dispose d’un véritable réservoir souterrain», note M. Démolin. Le programme doit tenir compte de ce paramètre et une vérification régulière doit être effectuée après l’arrêt des traitements. «L’opération devrait être prolongée encore deux ou trois ans», explique Ghattas Akl, directeur du développement rural et des ressources naturelles au ministère de l’Agriculture qui qualifie ce programme de vital et d’essentiel non seulement pour le Liban, mais aussi pour tous les pays du bassin méditerranéen. Une affirmation renforcée par Guy Démolin puisque la France elle-même est intéressée par les résultats de ce programme, des cèdres ayant été réimplantés entre autres dans le Massif central et le Ventoux. Par ailleurs, le groupe de recherche de l’Inra pour la santé des forêts s’intéresse tout particulièrement au pourtour méditerranéen, ajoute M. Démolin. Le cèdre du Liban fait face à un nouveau défi, mais les efforts nécessaires sont déployés pour que la plus grande forêt de cèdres du pays ne soit pas décimée. Au-delà de ce programme, les études menées sur l’arbre emblème de la nation pourraient également, pour une fois, servir d’exemple et de référence à d’autres pays.
Le week-end dernier s’est déroulé, dans le ciel libanais, un étrange combat. Combat aérien d’une alouette et d’une petite abeille. Mais attention, il ne faut pas se méprendre, l’alouette en question est un hélicoptère, et l’espèce d’abeille est un Cephalcia tannourinensis. Nom quelque peu barbare derrière lequel se cache un insecte tueur de cèdres. Pour lutter contre ce...