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Actualités - INTERVIEWS

Questions et réponses Pico : la richesse de la diaspora libanaise, un atout majeur pour le Liban (photo)

Même lieu, même (douce) punition. C’est dans cette colonne-là que Philippe Lecourtier, Boris Bolotine et Giuseppe Cassini (*) se sont prêtés aux questions-réponses de L’Orient-Le Jour. José Pedro Pico, lui, s’y est livré avec une surprenante minutie, il avait, studieux, préparé ses réponses, débattant longuement sur le fond, une forme, un détail. Tout y est passé, du concept d’État-nation à la possibilité de construire un Proche-Orient pacifié, basé sur l’acceptation de l’autre, en passant entre autres par la mondialisation, les rapports Nord-Sud ou la politique intérieure argentine. – Dans quelle mesure peut-on concilier la résurgence de nombreux nationalismes avec la tendance actuelle aux grands rassemblements ? «Je ne crois pas que ce soit en contradiction. Ces dernières années, l’État a fait l’objet d’une redéfinition restrictive et réductrice de son rôle et de ses pouvoirs, dû surtout à cette globalisation, qui nous touche tous, et qui a donné force et crédibilité aux arguments contre l’utilité et l’efficacité des États. C’est à partir de là que se justifient ces regroupements régionaux, pour permettre une meilleure défense de certains intérêts endogènes. Cette résurgence est à la fois intéressante et préoccupante, l’identité culturelle étant une notion dangereuse liée à un certain nationalisme, au refus de l’autre, Amin Maalouf a écrit sur ces identités culturelles. La culture, c’est un métissage, des accords, une richesse, et pas du folklore». – Le concept d’État-nation. Faut-il arriver à le dépasser complètement ? Et si oui comment ? «Il y a une très jolie phrase de Milos Forman, “nous étions dans le zoo, maintenant on nous envoie dans la jungle”. L’État-nation ne disparaîtra pas. Mais il faut redéfinir son rôle, à partir de cette globalisation, il devra être un régulateur démocratique, économique et social, sinon nous irons droit dans la jungle. La lenteur de la réponse politique face à la rapidité de ce qui se passe au niveau économique est très grave. Il ne faut pas non plus que les décisions se prennent très loin, chaque État est responsable de ceux qu’il gouverne». – Et cette tendance aux mégafusions, et le pouvoir de plus en plus grand des multinationales ? «Face à ce mouvement de capitaux, comment combattre la distorsion des marchés dans la distribution des ressources, comment équilibrer le marché à travers des mesures de solidarité sociale, de défense de l’emploi et de l’environnement ? L’État ne peut pas abdiquer, mais en même temps, surtout pour les pays pauvres, c’est très dur, nous sommes dans un contexte de darwinisme total. Il faut encadrer ces mouvements de capitaux, il faut redéfinir, encore une fois, le rôle de l’État». – Le rapport Nord-Sud. Comment arriver à stopper l’élargissement du fossé entre ces deux hémisphères ? «On ne peut qu’observer une inégalité croissante. Récemment, on a remis en question l’utilité des investissements directs pour les économies émergentes. Apparemment ils ne seraient ni un facteur de croissance réelle, ni un facteur permettant le transfert des technologies. Je pense que le fossé Nord-Sud va continuer à s’accroître, et le débat passe aussi par les échanges agricoles. En Argentine par exemple, nous avons ouvert notre économie, mais nous continuons à subir le protectionnisme agricole de l’UE». – Quid de l’hégémonie culturelle occidentale ? «Je ne suis pas d’accord avec ceux qui pensent que la globalisation, qui est la conséquence et non la cause de la modernisation, entraînera la disparition des cultures. Nous vivrons probablement dans un monde moins riche, moins diversifié, mais ce ne sera pas uniquement la conséquence directe de l’hégémonie d’une culture sur les autres, l’américaine en l’occurrence. Les mesures bureaucratiques de protection, je n’y crois pas tellement. Les cultures se protègent elles-mêmes, changent, se métamorphosent, les cultures destinées à mourir sont des cultures fermées sur elles-mêmes, des cultures folkloriques». – Et par rapport à l’Argentine ? «Je viens d’un pays où la culture a été le résultat des apports espagnol, italien, arabe, juif, anglais, c’est un brassage. Bien sûr que nous subissons le diktat d’une certaine culture, mais la globalisation permet de mieux connaître l’autre, les échanges sont beaucoup plus importants, le développement de l’anglais n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Dans tous les cas, grâce aux traducteurs, la culture existe». – Pensez-vous que l’on pourrait bâtir un Proche-Orient pacifié grâce à l’acceptation de l’autre, au droit à la différence ? «Il existe différents niveaux de l’acceptation de l’autre, la gamme est très large. Il faut un minimum pour pouvoir vivre en commun. En Argentine, nous avons eu deux présidents fils de première génération d’immigrants, l’un provenant de Syrie et l’autre d’Espagne. Chez nous, l’acceptation de l’autre est une réalité quotidienne, et il nous est parfois difficile de comprendre comment elle ne se fait pas. Il est essentiel d’accepter l’autre, cela ne veut pas dire qu’il va y avoir un rapprochement des peuples, on peut reconnaître et accepter l’autre tout en restant éloigné, parfois c’est mieux que rien. Dans tous les cas, cette condition, sans être suffisante, n’en demeure pas moins nécessaire. Les concessions sont à la base de toute entente». – Et la place du Liban dans un P-O pacifié ? «Il a toujours joué un rôle de charnière très important de par sa composition, sa richesse, le Liban a toujours été une mosaïque, et le rôle qu’il a joué n’est pas en relation avec son importance stratégique, un rôle d’exception culturelle, de brassage d’identités. La possibilité de survie de ce Liban de la diversité serait extrêmement enrichissante pour cette région. Quand j’ai été nommé ambassadeur, j’ai été surpris par la vitalité de la diaspora libanaise, aussi bien en Argentine qu’en Afrique ou au Brésil. Cette richesse de la diaspora reflète un peu ce que le Liban est». – Comment se porte justement la colonie libanaise en Argentine ? «L’Argentine, par ses caractéristiques, les a immédiatement faits argentins. Paradoxalement, ça a posé quelques difficultés pour créer des liens concrets, ces Libanais qui sont partis sont devenus autres. Quant à la communauté libanaise, elle se chiffre à près de deux millions d’habitants». – Et les relations bilatérales ? «Au point de vue économique, il n’y a pas grand-chose, les événements au Liban n’ont pas permis le développement des liens de ce genre, mais cette année nous espérons la venue de deux missions commerciales. Et puis politiquement, les relations sont excellentes, des groupes d’amitié ont été institués dans les deux Parlements». – Qu’en est-il de vos liens avec l’USJ ? «Ce ne sont pas que des liens institutionnels, et notre meilleur lien reste le père Sélim Abou, ce qu’il fait est considérable, il parle espagnol comme un vrai Argentin, il a déjà fait plus d’une vingtaine de voyages en Argentine. C’est une personne que j’estime énormément». – Terminons, si vous le voulez bien, par une question de politique intérieure. Comment cela se passe pour les Malouines actuellement ? Les prérogatives de l’Argentine ont-elles changé ? «Nous parlions tout à l’heure d’acceptation de l’autre… C’était une guerre absurde, l’aventure étrange d’un régime militaire qui était aux abois, mais nous avions de véritables raisons, nous sommes sûrs que les Malouines sont argentines. Il n’empêche, dix ans après, nous avons des relations commerciales très étroites avec l’Angleterre, nous sommes revenus à la “normalité”. Le débat sur la souveraineté des Malouines continue, et nous espérons le résoudre, mais il est encadré par des négociations, alors que les sentiments des gens sont maintenant les mêmes que ceux d’avant-guerre, tout le monde pensait que la haine allait être héréditaire».
Même lieu, même (douce) punition. C’est dans cette colonne-là que Philippe Lecourtier, Boris Bolotine et Giuseppe Cassini (*) se sont prêtés aux questions-réponses de L’Orient-Le Jour. José Pedro Pico, lui, s’y est livré avec une surprenante minutie, il avait, studieux, préparé ses réponses, débattant longuement sur le fond, une forme, un détail. Tout y est passé,...