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Actualités - OPINION

Grandeur nature

Bien joué, Jacques Chirac ! Si les Libanais avaient voix au chapitre (et pourquoi ne l’auraient-ils pas au fait, dans une polémique française tournant en bonne partie autour de leur pays), ils appuieraient avec la plus grande vigueur la décision du maître de l’Élysée de se rendre à Damas pour les funérailles officielles de Hafez el-Assad. D’avoir été le seul chef d’État occidental à ne pas se contenter d’envoyer sur place des représentants n’en rend que plus courageuse, plus admirable, sa démarche. En allant s’incliner devant la dépouille mortelle du président syrien, M. Chirac savait sans doute à quelle avalanche de critiques, à quel intense tir de barrage il s’exposait dans son pays qui est aussi celui des libertés civiques, des droits de l’homme et du droit des peuples à déterminer leur propre destin. Il est vrai que dans les zones de compétition et de confrontation, et singulièrement sur le terrain libanais, Paris aura été plus durement éprouvé que bien d’autres capitales qui, elles, ont choisi d’adopter un profil plutôt bas, pour le dernier adieu au Raïs baassiste : l’assassinat de l’ambassadeur Delamare, les prises d’otages, l’attentat contre le poste Drakkar, la liste est longue en effet des actions dirigées contre la France et dont la responsabilité – directe ou indirecte – fut, en son temps, attribuée à Damas. On pourrait épiloguer longtemps cependant sur l’hypocrisie et le cynisme des États, et plus particulièrement des puissances, dans leur manière de se comporter avec toutes les fortes têtes, dirigeants trop musclés, perturbateurs et autres empêcheurs de tourner en rond installés aux quatre coins de la planète. Ainsi, leur passé bien connu de terroristes n’a jamais privé de respectabilité internationale un Menahem Begin, un Yitzhak Shamir ou même Ehud Barak qui, déguisé en femme, vint assassiner de nuit dans leur lit, à Beyrouth en 1973, des chefs palestiniens. Hier encore infréquentable, Arafat est devenu un habitué de la Maison-Blanche, et il ne tenait qu’à Hafez el-Assad d’ y faire à son tour son entrée, de faire rayer la Syrie de la liste noire américaine, de bénéficier en apothéose d’un rassemblement funèbre cosmique à la Hussein de Jordanie… si seulement il avait fait – à temps – le saut périlleux de la paix. En se prêtant au cérémonial de Damas au prix d’une tempête domestique, Jacques Chirac n’a pas fait, bien sûr, qu’obéir naturellement aux règles de la bienséance historique envers son ancien protectorat syrien, et c’est ce qu’oublient un peu trop vite ses détracteurs. Car la France, c’est bien connu, ambitionne de jouer un rôle de premier plan au Proche-Orient ; et tout en s’efforçant de ménager Israël, elle est aujourd’hui le pays occidental le plus réceptif aux thèses arabes, tant pour ce qui est de l’émergence d’un État palestinien que de l’entière restitution des territoires occupés en 1967. Dès lors, c’est cette même «politique arabe» de la France que semble viser en réalité l’actuelle campagne contre Jacques Chirac, même si elle se pare de grands principes, même si elle canalise à son profit d’abondants et souvent sincères témoignages d’amitié apportés à notre pays. Preuve en est que le débat s’est transposé hier en plein Exécutif, avec l’incroyable épisode au cours duquel on a vu le Quai d’Orsay démentir des propos prêtés par le porte-parole officiel du gouvernement au ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine, et mettant en doute la capacité de Bachar el-Assad de gouverner durablement. Or, non seulement Chirac croit à l’option Bachar, comme semblent le faire aussi les Américains ; mais c’est bien le chef de l’État français qui a, en quelque sorte, porté le jeune leader sur les fonts baptismaux de la notoriété internationale en le recevant, il y a quelques mois, au palais de l’Élysée, alors qu’il ne détenait encore aucune charge officielle et que ses visites à l’étranger se limitaient à quelques capitales arabes. Pleine d’égards et même de sollicitude pour une Syrie qui reste la clé de tout règlement véritablement global au Proche-Orient, la politique arabe de la France garde néanmoins le Liban pour point d’ancrage. Et c’est cette double sensibilité, amplement démontrée dans les faits, qui autorise à la France toutes les initiatives, toutes les audaces: comme par exemple de reprocher vertement à l’État libanais de traîner les pieds, alors qu’il devrait s’empresser de rétablir son autorité dans le sud de son territoire, enfin évacué par Israël. Comme de mettre en garde la Syrie contre toute manifestation excessive de mauvaise volonté face à ce retrait qui la dessaisit de sa «carte» libanaise, car tout isolement international n’exposerait que plus sûrement le tandem syro-libanais à des représailles israéliennes, qui seraient exercées cette fois en toute impunité. Comme de plaider infatigablement, enfin et surtout, pour un Liban pleinement souverain et indépendant, tout en admettant parfaitement les rapports privilégiés qui le lient à la Syrie. Cette connexion française (ou chiraquienne, faudrait-il peut-être dire), il n’est pas vain d’espérer qu’elle donnera son plein emploi avec l’accession au pouvoir à Damas d’un président jeune, ouvert sur le monde extérieur, animé d’un esprit de réforme, et qui a passé avec succès son premier test auprès de son propre peuple, comme de ses visiteurs étrangers. Par-delà leurs impressionnantes démonstrations de douleur, les Syriens attendent de leur nouveau chef un style de pouvoir plus en harmonie avec le temps présent, avec l’avenir qui est déjà là. Des espérances similaires sont de mise ici même. En charge, depuis 1998, du dossier Liban, Bachar el-Assad (et ses dernières prises de contact avec Bkerké et Kaslik le montrent bien) ne devrait rien ignorer en effet du profond malaise qui, une décennie entière après la fin de la guerre dite civile, continue de bloquer une pleine adhésion, un ralliement convaincu et consenti du peuple libanais aux concepts de relations privilégiées et d’unité du destin : lesquels n’ont opéré le plus souvent, hélas, qu’à sens unique. C’est cette même espérance populaire de renouveau que l’on souhaiterait voir gagner un pouvoir local depuis trop longtemps conditionné, assigné, résigné à sa fonction de simple courroie de transmission. À l’ère de l’interactif, en politique comme en électronique, et au moment où bien des paramètres commencent à changer, c’est de clarté dans la vision d’avenir, d’imagination dans le réalisme, d’audace dans la décision que les Libanais, eux, attendent de leurs dirigeants.
Bien joué, Jacques Chirac ! Si les Libanais avaient voix au chapitre (et pourquoi ne l’auraient-ils pas au fait, dans une polémique française tournant en bonne partie autour de leur pays), ils appuieraient avec la plus grande vigueur la décision du maître de l’Élysée de se rendre à Damas pour les funérailles officielles de Hafez el-Assad. D’avoir été le seul chef...