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Actualités - REPORTAGES

Reportage - Un an après le retrait de l'ALS, la localité s'apprête à accueillir les miliciens libérés Jezzine, entre le vide sécuritaire et la paix promise

Jezzine, un an après la libération. La nature explose de bonheur dans ce printemps un peu tardif et la bourgade semble sortir d’un long sommeil. Les chantiers sont encore timides et les passants rares, mais l’air est porteur d’espoir. Après les mois d’angoisse qui ont précédé et suivi le retrait des miliciens de l’ALS, «la fiancée du Challal», comme on dit ici, a baigné dans une sorte de torpeur, guettant le sort de ses deux cents fils qui se sont livrés à l’armée libanaise. Condamnés, pour la plupart d’entre eux, à un an de prison, ils doivent sortir dans une dizaine de jours et c’est alors que la ville se sentira enfin réconciliée avec son passé et avec le reste du pays. A Kfarfalous, les soldats en poste au barrage de l’armée qui commande l’entrée à Jezzine connaissent désormais la plupart des passants, généralement originaires du caza et détenteurs de permis permanents. Mais avec le rush actuel des journalistes, ils sont contraints à plus de vigilance, tout en restant très coopératifs, car les mots d’ordre sont stricts : faciliter au maximum les formalités. En dépit de ces bonnes dispositions, le barrage continue à ressembler à une frontière. Et, dans ce paysage immense et désert, le visiteur a encore l’impression de passer d’un monde à un autre. De Kfarfalous à Jezzine, les villages sont vides, comme en sommeil, et la route est encore telle que l’ont laissée les miliciens : défoncée par moments, avec les bas-côtés rasés pour éviter que la Résistance n’y dissimule des charges explosives. Depuis un an pourtant, le calme est total dans cette région, mais la vie n’a pas vraiment repris ses droits. Coincée entre l’est de Saïda et la zone encore occupée, Jezzine ne connaîtra la paix que lorsque la ligne de démarcation s’éloignera d’elle. Ce qui ne saurait tarder avec le récent retrait de l’ALS de Aramta et bientôt, comme l’espèrent les habitants, de Rihane et de Aïchiyé. Le caza sera alors complètement libéré, même si, avec son passé mouvementé, Jezzine continuera à avoir un œil sur la bande occupée et le cœur à Beyrouth. Les touristes tardent à venir Sur la place principale, un homme reconstruit sa terrasse. Propriétaire de l’un des célèbres restaurants du coin, il veut être prêt pour une réouverture en grande pompe. «Nous sommes en train de rénover le frigo et les cuisines et d’installer des tables et des chaises sur la terrasse. Après des années de fermeture, nous espérons que la saison sera faste. Si les Israéliens se retirent, il n’y a plus de raison pour que les touristes ne reprennent pas le chemin de Jezzine», dit-il. Boutros espère que les travaux seront achevés la semaine prochaine. «Il est temps que notre ville retrouve la vie». Les autres restaurants du «Challal» (cascade) suivent son exemple et c’est à qui aura le plus beau décor pour mieux attirer les clients. Des parasols jaunes et oranges commencent à faire leur apparition. La bourgade veut se donner des airs pimpants. Mais les habitants sont un peu inquiets. Il y a un an, ils avaient peur du vide sécuritaire provoqué par le départ des miliciens de l’ALS et l’absence de déploiement de l’armée. Mais les responsables, à leur tête le chef de l’État, avaient fait le déplacement pour les rassurer. Si, en un an, aucun incident de sécurité n’a été signalé, la ville n’a pas connu la prospérité escomptée. Aucun travail spectaculaire de reconstruction n’a été entrepris et, protégée par le barrage de Kfarfalous, elle a un peu l’air d’être en quarantaine. Redoutant le passage au barrage et peu encouragés par l’absence de reprise économique, les Jezziniotes résidant dans la capitale ont boudé la bourgade, qui a passé l’année dans un quasi-coma, sur fond de surenchère politique, pour cause d’échéance électorale. Après un an de prison, la liberté dans quelques jours Mais le plus grand drame de Jezzine a été l’affaire des miliciens de l’ALS. Installés dans la ville depuis 1985, certains avaient noué d’étroites relations avec les habitants, d’autant qu’ils étaient souvent originaires du caza. Lorsqu’à cause du harcèlement de la Résistance, le général Lahd décide de retirer ses hommes de Jezzine, la population a été prise d’inquiétude : quel sera le sort réservé à ses fils et ne risquait-elle pas de payer le prix pour les avoir accueillis ? Médiatisée à outrance, l’affaire a pris à l’époque une grande ampleur et l’État a tenté de calmer le jeu, en la traitant dans la plus grande discrétion, au cas par cas. Résultat : 200 collaborateurs de l’ALS se sont livrés aux barrages de l’armée libanaise et déférés devant le tribunal militaire. Des rumeurs ont alors circulé sur leur envoi à Anjar (QG libanais des services de renseignements syriens) ou carrément en Syrie. Or, des 200 collaborateurs, 40 ont été immédiatement relâchés pour cause d’âge avancé (au-delà de 60 ans), 30 ont été condamnés à trois mois de prison et 25 à six mois. 85, condamnés à un an de prison, seront relâchés au début de juin et il ne restera qu’une vingtaine en prison, purgeant des peines variant entre un an et demi et trois ans de prison. Selon le député Samir Azar, cela prouve que la justice libanaise a fait preuve d’une grande clémence, allégeant au maximum les peines et tenant compte des circonstances atténuantes de chacun. «Cela n’a rien à voir avec les procès des collaborateurs en France, après la Seconde Guerre mondiale», dit-il. Si les habitants, leurrés par les promesses de certains leaders qui ont voulu commencer ainsi leur campagne électorale, ont été au départ un peu déçus, convaincus que les miliciens seront aussitôt relâchés, ils ont finalement pris la situation avec philosophie et finalement, l’année a passé assez rapidement. Jean, 50 ans, fait partie de ceux qui s’étaient livrés au barrage de l’armée au début de juin. «J’étais le cuisinier de l’ALS, dit-il. Je travaillais quelques heures chaque jour et je touchais 320 dollars par moi. J’ai été contraint à m’engager chez eux en 1985, les restaurants de Jezzine ayant pour la plupart fermé leurs portes pendant la guerre». Jean poursuit son récit : «Entre le 4 et le 16 juin, nous avons multiplié les réunions entre nous. Certains ne voulaient pas se rendre, d’autres pensaient que c’était la seule solution. Moi-même, j’avais plutôt peur, mais ma femme m’a beaucoup encouragé à le faire, car elle avait confiance dans l’État et elle pensait qu’après cela, nous pourrons au moins vivre en paix et en règle. Finalement, nous étions 200 à avoir décidé de nous rendre à la justice. Au début, nous avons été emmenés pour un interrogatoire qui a duré quelques jours. Nous étions bien traités, mais nous étions encore inquiets de l’avenir. L’interrogatoire achevé, nous avons été traduits devant un tribunal qui a rapidement traité mon cas. J’ai été condamné à six mois de prison et transféré à la prison de Roumié. Ma femme venait me voir le mardi et mes deux filles, le samedi. Si j’étais resté encore quelques mois, j’aurais demandé à devenir le cuisinier de la prison…». Retrouvailles familiales en prison Son épouse, Nadimé, précise qu’un curé de la région avait mis un bus à la disposition des familles des personnes emprisonnées, leur donnant droit à un trajet gratis par semaine. «Mes filles prenaient un taxi service et moi, je prenais le bus. Nous étions très bien accueillies par les forces de l’ordre et nous pouvions donner à Jean des vêtements, de la nourriture et tout ce dont il avait besoin. Je n’ai jamais eu peur qu’il soit maltraité en prison, car, avec les autorités libanaises, il y a toujours un recours possible. Maintenant, la période d’angoisse est terminée, c’est la crise économique qui nous fait souffrir, puisque Jean n’a pas encore trouvé du travail». Est-ce à cause de son passé que les gens refusent de l’engager ? «Oh, non, s’écrie Jean. Je n’ai jamais senti la moindre condamnation dans les yeux des habitants de Jezzine. Au contraire. C’est juste que les restaurants tardent à ouvrir et il n’y a pas de travail pour un cuisinier». Bassam, le fils de Jean, s’étant enrôlé dans l’armée en 1988, son père ne l’a plus vu depuis 1990 afin de ne pas lui faire du tort. Il ne lui a même pas parlé au téléphone. Et ce n’est qu’en prison qu’il l’a vu pour la première fois depuis neuf ans, en 1999. Les deux hommes étaient si émus qu’ils se sont mis à pleurer, arrachant des larmes d’émotion aux autres détenus et aux geôliers. Jean a fait aussi la connaissance de son petit-fils de deux ans en prison. «C’était un moment inoubliable», dit-il, alors que sa femme s’essuie discrètement les yeux. Aujourd’hui, Jean estime que tout cela est derrière lui. La guerre a failli bouleversé sa vie, mais il veut désormais se tourner vers l’avenir. «Finalement, ce n’était pas si terrible, ces six mois de prison, lance-t-il. Je conseille à tous ceux qui sont dans l’ALS et qui n’ont pas des opérations militaires à se reprocher à se rendre à la justice, car l’Etat est encore l’institution la plus clémente». Que pense-t-il du Hezbollah ? «Rien, dit-il. Ils ne viennent jamais à Jezzine et je n’ai pas de contact avec eux. En vérité, ils ont tenu parole en évitant notre localité et à aucun moment je n’ai senti qu’ils étaient intervenus auprès de la justice pour peser sur les procès. De toute façon, j’estime ne pas avoir de comptes à leur rendre. Je me suis livré à mon pays et celui-ci a considéré que je lui devais six mois de prison. Nous sommes quittes». La lenteur des formalités administratives Samir Azar pense, quant à lui, que le procès des miliciens de Jezzine devraient servir de leçon à tous les autres. «L’État, dit-il, a montré qu’il traitait ses fils avec justice et humanité. Cela devrait rassurer ceux qui hésitent encore». Pour lui, l’expérience de Jezzine a été une réussite. «La transition s’est passée dans le calme et aucun incident n’a été signalé au cours de l’année écoulée en dépit des prévisions des cassandres». Certes, il sera plus difficile de rééditer cette expérience pour l’ensemble de la zone frontalière, «d’autant que nous avons de mauvaises expériences avec Israël. Celui-ci veut entretenir la peur et la tension et pousser l’Etat à considérer l’ensemble de la population de la zone occupée comme des membres de l’ALS». Le député pense que le Hezbollah saura éviter le piège et laisser l’État traiter l’affaire. «Ce serait une catastrophe si, après cette victoire, il se transforme de résistance en milice». Il est aussi conscient du gros problème économique qui va se poser avec, notamment, le cas des travailleurs en Israël, licenciés à la fin du mois». Il faudra que le secteur privé participe à la relance économique. Il existe un plan de réhabilitation de la région, parrainé par le Pnud. Il a commencé à être exécuté à Jezzine : les Italiens ont entamé l’édification d’une usine pour la fabrication de l’huile d’olive, l’Agence américaine de développement a consacré 800 000 dollars à la construction de canaux d’irrigation et de routes agricoles. La Banque mondiale a accordé un prêt de 5,5 millions de dollars pour la réhabilitation de la route Saïda-Jezzine et les travaux viennent de commencer. Deux millions d’euros ont été accordés pour la modernisation du réseau d’eau potable, etc. Le problème, c’est que les formalités administratives sont lentes et les gens s’impatientent. Ce n’est que récemment que le Conseil du Sud a commencé à payer les indemnités aux habitants de la région. Mais au moins le processus est amorcé». Un discours optimiste, donc, qui, aux yeux des habitants, tarde toutefois à se concrétiser. Mais, pour la première fois depuis longtemps, Jezzine a bon espoir. Elle, qui craignait par-dessus tout les règlements de comptes et les opérations du Hezbollah à partir des vallées avoisinantes, a vu que le vide sécuritaire qu’elle connaît depuis un an n’a entraîné ni chaos ni déstabilisation. Certes, l’angoisse est toujours là, mais la population veut désormais croire à l’avenir.
Jezzine, un an après la libération. La nature explose de bonheur dans ce printemps un peu tardif et la bourgade semble sortir d’un long sommeil. Les chantiers sont encore timides et les passants rares, mais l’air est porteur d’espoir. Après les mois d’angoisse qui ont précédé et suivi le retrait des miliciens de l’ALS, «la fiancée du Challal», comme on dit ici, a baigné dans...