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Actualités - OPINION

L'honneur d'un pays retrouvé

Sa chambre d’hôtel à Paris constituait comme un sanctuaire du territoire libanais, comme son ambassade spirituelle. Car Raymond Eddé, et c’est le moins qu’on puisse dire, avait quitté le Liban sans tourner le dos à sa patrie. Il avait emporté avec lui l’âme de sa patrie – et sa terre à la semelle de ses souliers… Pour une jeunesse qui n’a connu Raymond Eddé qu’à travers ses déclarations à partir de Paris, il importe de dresser un petit tableau de cette vie d’homme public exemplaire. Député, il est à l’origine de trois grandes lois qui ne cessent d’agiter les consciences au Liban et hors du Liban : la loi sur le secret bancaire, la loi sur l’enrichissement illicite, une loi sur la peine de mort, amendée il y a quelques années, ce qui la rend comme obsolète aujourd’hui. Dans trois conjonctures gravissimes pour le pays, Raymond Eddé prit les attitudes justes et même exemplaires : il dénonça l’accord du Caire, refusa tout compromis avec les autorités israéliennes, s’opposa de toutes ses forces à la guerre fratricide du Liban. Au Parlement où il incarnera, plusieurs décennies durant, le mouvement national, il fut, dans son arabe pour le moins imparfait, éloquent à sa mesure, ayant toujours au bout des lèvres le bon mot qui faisait mouche. Il disait toujours, à sa façon, ce que l’opinion publique pensait, et elle le lui rendait bien par sa fidélité. Toujours pour cette jeunesse, qui n’a pas connu Raymond Eddé à son domicile beyrouthin ou dans les travées de l’Assemblée nationale libanaise, et qui se demande comment un homme pareil ne soit pas parvenu à occuper la magistrature suprême, je dirai : 1 – Que les convictions de Raymond Eddé s’inscrivirent à contre- courant des événements politiques comme ils se déroulaient souvent au détriment de notre pays, pris entre l’enclume et le marteau. 2 – Qu’il refusa toujours les compromis, sans parler des compromissions, ce qui ne faisait pas l’affaire de ses interlocuteurs, qu’ils fussent d’Occident ou d’Orient. 3 – Qu’il y a un peu du curé de campagne, du juge de paix dans le chef d’État d’un petit pays comme le nôtre, perdu dans ses contradictions, laminé par ses voisins, et que dans Raymond Eddé il y avait un pape intransigeant qui dormait… Raymond Eddé n’aurait pu être un Armand Fallières ou un René Coty libanais ; il restera plutôt dans la conscience de ses concitoyens, comme un Mendès – France ou un Clemenceau, mais sans avoir été le Père d’aucune Victoire réalisée. Nous avons contribué, je l’avoue, à lui faire jouer ce rôle ingrat de Commandeur sans lui donner de commandement à sa mesure. Intraitable sur les principes, intransigeant sur les normes, radical sur les formes, nous l’applaudissions, nous le confortions, nous faisions un peu de lui ce qu’il était : une idée de ce que nous voulions être et qui ne s’est jamais incarné dans les réalités. Mais il n’en demeure pas moins qu’il se trouva toujours, avec ou sans nous, sur le chemin de l’honneur et de la dignité retrouvés de notre pays.
Sa chambre d’hôtel à Paris constituait comme un sanctuaire du territoire libanais, comme son ambassade spirituelle. Car Raymond Eddé, et c’est le moins qu’on puisse dire, avait quitté le Liban sans tourner le dos à sa patrie. Il avait emporté avec lui l’âme de sa patrie – et sa terre à la semelle de ses souliers… Pour une jeunesse qui n’a connu Raymond Eddé...