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Actualités - CHRONOLOGIE

Extraits : quand les nationalistes étaient jetés en prison

Nous reproduisons ci-dessous des extraits du deuxième chapitre intitulé : « Les nationalistes en prison » Hussein Aoueini avait quitté le Liban pratiquement forcé. Il avait le choix entre la captivité et l’exil. Il choisit l’exil car il lui ouvrait un vaste champ de possibilités que son dynamisme, son optimisme inné, son esprit entreprenant le portaient naturellement à vouloir explorer. Son tempérament ne pouvait s’accommoder de l’oisiveté qu’entraîne la captivité. Car, après l’avoir emprisonné deux mois à Beyrouth pour avoir participé à une manifestation, les autorités françaises l’avaient placé en résidence surveillée à Amioun, dans le Koura (Liban-Nord), par décision administrative1. Elles acceptèrent de lever la sanction qui le frappait à condition qu’il s’expatrie (…) Le crime qu’il avait commis et qui lui avait valu la prison et l’exil, c’était d’avoir voulu être lui-même, c’est-à-dire voulu récupérer son identité politique et culturelle arabe après quatre cents ans de domination ottomane, d’avoir aspiré à l’indépendance, manifesté contre l’occupation française du Liban; le crime, en un mot, d’être un nationaliste arabe, comme tant d’autres en 1922. La perfidie de Londres et Paris Le réveil des nationalismes dans les provinces de l’Empire ottoman commence dans les Balkans au début du dix-neuvième siècle avec le déclin turc. C’est la fameuse question d’Orient (…) Dans le Machrek arabe (…), les premiers frémissements du nationalisme sont observés à partir du début du vingtième siècle avec l’avènement à Istanbul du mouvement des Jeunes-Turcs. Ceux-ci mettent en œuvre un processus de «turquification» devant s’appliquer à tous les peuples de l’Empire, aussi bien musulmans que non musulmans, ce qui suscite un réflexe de rejet chez les Arabes (…) La Grande-Bretagne et, dans une moindre mesure, la France, qui toutes deux œuvraient à prendre au Moyen-Orient la succession de l’Empire ottoman, adoptent une politique perfide. Elles encouragent les aspirations arabes à l’émancipation, puis, après l’effondrement de la Turquie à la fin de la Première Guerre mondiale, les combattent et les étouffent. Dès 1913, à l’instigation de la France, se tient à Paris un «Congrès arabe» au cours duquel les participants formulent des revendications autonomistes (…) Mais c’est avec la guerre de 14-18 que les interventions, manœuvres, promesses et engagements de Londres et de Paris se multiplient. Les deux capitales soufflent sur le feu du nationalisme arabe naissant et hésitant, promettent monts et merveilles, ici l’indépendance, là un royaume, en même temps qu’elles passent des accords secrets sur le partage des dépouilles de l’Empire ottoman. Le courant qu’elles encouragent, aident, alimentent, grossit, prend de l’ampleur, se mue en une lame de fond populaire. Dès lors, il était fatal qu’il se retournât contre les deux puissances occidentales qui, la guerre terminée et la Turquie battue, oublient leurs engagements, font fi de leurs responsabilités et opèrent leur mainmise sur les anciennes possessions ottomanes après leur avoir, pourtant, promis la liberté. L’adolescence de Hussein Aoueini, né en 1900 dans le quartier de Zokak el-Blatt à Beyrouth, baigne dans le climat d’effervescence et d’espoir entretenu par la guerre, l’affaiblissement de la Sublime porte et les promesses d’émancipation prodiguées par Londres et Paris. Beyrouth était (déjà) à cette époque le foyer d’une intense activité politique (…) Les nouvelles des tractations internationales sur l’avenir du Moyen-Orient qui se déroulent en marge du conflit armé mondial y soulèvent un immense espoir. Dès juillet 1915, les Anglais promettent l’indépendance des pays arabes au chérif Hussein, le chef du clan des Hachémites qui (…) jouit d’un grand prestige dans le monde arabe et musulman en tant que descendant du Prophète (…) Hussein (…) avait été nommé chérif de La Mecque par la Sublime porte, dont il dépendait (…). En lui promettant la constitution d’un grand royaume qui engloberait sous son autorité l’Arabie et les régions intérieures de la Syrie-Palestine ainsi que la Mésopotamie, l’Angleterre réussit à gagner à sa cause Hussein, qui, en 1916, décrète le «jihad» contre la Turquie et s’autoproclame roi du Hedjaz (…) Proclamation du « gouvernement arabe de Beyrouth » Le soulèvement de Hussein contre la Turquie suscite des transports de joie au Levant (…) Dès lors, c’est le délire lorsque les troupes anglaises, venant de Palestine où elles avaient écrasé les forces turques, font leur entrée à Damas le 1er octobre 1918. Le même jour, le fils de Hussein, Fayçal, flanqué du colonel Lawrence et d’officiers syriens et irakiens, défile dans la vieille capitale des Omeyyades à la tête d’un groupe de bédouins armés. Damas est libérée de l’occupation ottomane. Trois jours auparavant, le 28 septembre, l’émir Saïd al-Jazaïri y avait proclamé l’indépendance de la Syrie et constitué un gouvernement provisoire «chérifien». À son tour, l’émir Fayçal annonce, au nom de son père, le chérif Hussein, la formation d’un gouvernement militaire dirigé par le général Chucri pacha el-Ayyoubi, qui succède à celui de Jazaïri. Le mouvement s’étend à Beyrouth et au Mont-Liban. Saïd al-Jazaïri avait adressé au président de la municipalité de Beyrouth, Omar bey Daouk, une dépêche lui annonçant la formation du «gouvernement arabe» à Damas et lui demandant d’en faire de même à Beyrouth. Dans ses Mémoires (…), Sélim Ali Salam rapporte que Daouk est venu chez lui pour lui soumettre la dépêche envoyée par Jazaïri et le consulter sur les mesures à prendre (…) Les tractations se prolongent toute la nuit. Finalement, à 6 heures du matin, le gouverneur turc transmet ses pouvoirs à Daouk et quitte Beyrouth. Une nouvelle réunion groupe au domicile de Salam, outre ce dernier, Daouk, Ahmed Moukhtar Beyhum et Alfred Sursock, ainsi que Sélim bey Tayyara, Mohamed effendi Fakhouri et Jean bey de Freije. Dans la matinée du 1er octobre, est proclamée la formation du «gouvernement arabe à Beyrouth» présidé par Daouk. Le 6 octobre, sur décision de ce gouvernement, le drapeau arabe est hissé sur le siège du Grand Sérail, au cours d’une cérémonie présidée par Sélim Salam, ainsi que sur les principaux édifices publics de la ville. Le même jour, l’émir Fayçal dépêche à Beyrouth, à la tête d’un détachement de cent soldats, le général Chucri el-Ayyoubi, en tant que «gouverneur général de Beyrouth et du Liban» (…) Le rêve du chérif Hussein, de son fils Fayçal, de leurs partisans et des nationalistes arabes en général devient réalité. Mais c’est une réalité éphémère. La Grande-Bretagne ne pouvait tenir ses engagements à l’égard des Hachémites car, en même temps qu’elle promettait à ces derniers l’indépendance, elle avait conclu avec la France une entente secrète, les fameux accords Sykes-Picot du 16 mai 1916 par lesquels les deux puissances se partageaient au Moyen-Orient les anciennes possessions ottomanes, dont une partie avait été, pourtant, promise par Londres au chérif Hussein (…) Avec l’entrée des troupes britanniques à Damas, qui précède de peu l’effondrement total de l’empire ottoman (la Turquie devait solliciter et obtenir un armistice qui fut signé le 30 octobre 1918), l’heure des échéances sonne pour Londres (…) Aussi, la déception devait-elle succéder rapidement à l’euphorie suscitée par la formation du gouvernement arabe. Le 7 octobre, le lendemain même du jour où le drapeau arabe avait été hissé sur le Grand Sérail de Beyrouth, les Français affichent leurs intentions. Le contre-amiral Varney débarque à la tête d’une unité au port, puis, afin que nul n’en ignore, traverse la ville. Vingt-quatre heures plus tard, le 8, c’est le général Allenby, commandant des forces britanniques en Palestine, qui fait son entrée à Beyrouth, flanqué du colonel de Piépape, représentant l’armée française. Plusieurs unités des «chasseurs d’Afrique» les rejoignent quarante-huit heures plus tard. Piépape est nommé gouverneur militaire, le gouvernement arabe de Daouk est contraint de lui remettre ses pouvoirs, les drapeaux arabes sont retirés des édifices publics et Ayyoubi quitte Beyrouth à la demande d’Allenby. Le gouvernement chérifien à Beyrouth aura duré moins d’une semaine (…) La France commence à asseoir sa tutelle sur le Liban et la Syrie. Cependant, (…) se heurtant à une vive opposition, (elle) usera de moyens de répression de plus en plus durs qui ne feront qu’exacerber les sentiments de frustration et d’hostilité dans les rangs des nationalistes arabes (…) Les rapports de la population musulmane ne cessent de se dégrader avec la France, qui réagit de plus en plus brutalement. Au début de 1919, Sélim Ali Salam est arrêté et emprisonné au rez-de-chaussée du Grand Sérail. Il restera en prison, interdit de visite, pendant quatre mois. Près d’un an et demi plus tard, le 10 juillet 1920, les autorités françaises arrêtent au col du Baïdar des membres du Conseil administratif qui se rendaient à Damas pour y remettre au «Congrès» (assemblée élue en mai 1919) un document dans lequel ils réclamaient l’indépendance du Liban. Ils sont traduits devant un tribunal militaire, condamnés pour trahison à de lourdes amendes et exilés en Corse. Béchara el-Khoury, dans ses Mémoires, juge très sévèrement le procès, le qualifie de tyrannique et affirme qu’il aurait signé le document s’il n’impliquait de «quitter le Liban et de gagner Damas pour y exposer les revendications, ce qui entretenait une équivoque» (…) Tandis qu’à Paris la Conférence de la paix poursuit ses interminables débats, en Syrie, Fayçal et ses partisans mettent en place un ensemble d’organes destinés à servir de cadre institutionnel au futur État arabe auquel ils aspirent (…) Le 3 juillet, une délégation du «Congrès» remet à la commission américaine King-Crane, du nom de ses deux membres, déléguée par le président des États-Unis Thomas Woodrow Wilson pour effectuer dans les pays arabes un sondage sur les aspirations de la population, un mémorandum en dix points réclamant notamment l’indépendance absolue et effective de la Syrie historique, limitée au nord par le Taurus, au sud par la ligne de Rafah à Akaba, à l’est par l’Euphrate et, à l’ouest, par la Méditerranée. Cependant, la situation évolue dans un sens diamétralement opposé aux aspirations arabes. Par une convention signée le 15 septembre 1919, Paris et Londres s’entendent sur la relève, par les troupes françaises, des forces britanniques stationnées en Syrie. Fayçal se rend en France et multiplie les démarches pour obtenir l’abrogation de cette convention, mais sans succès (…) Après la division de la Syrie, Gouraud, par une série d’arrêtés pris le 31 août et le 1er septembre, proclame l’«État du Grand-Liban». Au Mont-Liban, sont rattachés les cazas de Baalbeck, de la Békaa, de Rachaya et de Hasbaya, ainsi que les sandjaks de Beyrouth, Saida et Tripoli. Beyrouth devient la capitale du nouvel État. (…) Enfin, (…) le conseil de la Société des Nations adopte le 24 juillet 1922 la «Déclaration de Mandat», qui ne devait toutefois entrer en application que le 29 septembre 1923 (…) Au Liban, les chrétiens accueillent favorablement le Mandat et la présence de la France après 400 ans de domination ottomane vécue sous le statut de «dhimmis». En revanche, les musulmans rejettent dès le départ l’idée même du Mandat. Le cynisme des grandes puissances, leurs palinodies, leurs promesses généreusement prodiguées et non tenues, leur perfidie, le sort réservé au roi Fayçal, le morcellement de la Syrie et, plus tard, à partir de 1948, l’appui aveugle apporté à Israël, en un mot toute leur politique impérialiste a creusé un fossé profond avec le monde arabe musulman. Sous l’empire de sentiments de frustration et d’hostilité, s’estimant bafoués dans leur identité culturelle et nationale, les musulmans ont combattu la tutelle française dès l’origine, tantôt pratiquant une résistance passive, et tantôt s’engageant dans des actions violentes. C’est dans ce cadre que Hussein Aoueini a fait ses premiers pas dans le monde de la politique et s’est frotté aux dures réalités de la vie (…) (Il) n’a jamais oublié cette époque. Elle devait sous-tendre toute sa carrière politique et, plus de trente après, il en parlait avec amertume et colère, stigmatisant la duplicité des grandes puissances, leur volonté de domination et leur esprit colonialiste, les dénonçant avec une franchise brutale qui tranchait avec son tempérament serein, son pragmatisme et son sens inné de la diplomatie. C’était le 14 avril 1955, au Cénacle libanais, à Beyrouth. Le Cénacle, fondé et dirigé par Michel Asmar, était, dans l’extraordinaire bouillonnement culturel que le Liban connaissait alors, un forum, une tribune, où les écrivains, les artistes, les intellectuels, les philosophes, les journalistes, les hommes politiques étaient invités à traiter des grands problèmes de l’heure. Aoueini avait choisi comme sujet «La Politique». Il commence par brosser un tableau de la situation en Turquie et dans le monde arabe à la veille de l’effondrement de l’Empire ottoman et pendant la Première Guerre mondiale. Il n’est pas tendre à l’égard des Turcs, rappelant l’atroce exécution des Martyrs le 21 août 1915 et le 6 mai 1916 ainsi que le blocus du Mont Liban, décrété par Djamal pacha, commandant de l’armée ottomane en Syrie-Palestine et qui provoqua une terrible famine (…) Il est particulièrement sévère à l’égard de la politique suivie par le Mandat, «une occupation» qui a «engendré un pouvoir policier redoutable où nul homme libre ne pouvait élever la voix pour réclamer un droit, protester au nom de la dignité, ou rappeler une promesse sans être aussitôt jeté en prison ou exilé (…)» Aoueini arrêté et exilé La prison et l’exil, deux mots clés dans la vie de Aoueini qui a connu l’une et l’autre. Il était né le 24 décembre 1900 à Zokak el-Blatt, un quartier à population mixte, mais à prédominance sunnite, qui abrite des familles de la petite bourgeoisie et plusieurs établissements scolaires religieux chrétiens. Très jeune, il perd son père, Ahmed, commerçant en produits alimentaires. Il est élevé par sa mère, Mansoura Chbib el-Achi, qui lui inculque des principes d’honnêteté qu’il observera toute sa vie, par sa sœur, Ilham, son aînée de dix ans, et son oncle paternel Khalil, l’associé de son père. Le train de vie à la maison est confortable sans plus, grâce aux rentrées du commerce paternel dont l’oncle continue à s’occuper. Hussein fait ses études élémentaires à l’École Saint-Joseph de l’Apparition et complémentaires au Collège Patriarcal, une institution grecque-catholique. Il doit les interrompre, cependant, en 1915, en raison de la guerre, et il suit des cours particuliers à domicile. Les Aoueini sont originaires du Maghreb, plus précisément d’une région de Tunisie proche de Carthage dont ils portent le nom et d’où ils étaient venus au Liban depuis plusieurs générations. À vingt ans, dans l’effervescence des années qui suivent la fin de la Première Guerre mondiale, Aoueini milite dans les rangs des nationalistes arabes. Sa personnalité s’affirme. Il participe à des cercles politiques et à des mouvements de jeunesse hostiles à la présence française au Liban. Il commence à se faire un nom. Mais l’époque est trouble, agitée. Le 7 avril 1922, un haut fonctionnaire libanais directeur de l’Intérieur, Assaad bey Khorchid, est assassiné. La répression s’abat. Après avoir participé à une manifestation, Aoueini, accusé de prendre part à une conjuration, est arrêté en même temps que plusieurs autres militants (cheikh Mostapha al-Ghalayini, Saleh Beyhum, Aref Derwiche, Béchir Nakkache, Toufic Nayef, Moukhtar Fakhouri, Rached Chatila, Sélim Agha Kreidieh). Emprisonné deux mois au Petit Sérail, il est ensuite placé en résidence forcée à Amioun au nord du Liban. Omar Daouk lui rend visite en prison et lui conseille, vu son jeune âge, de nier sa participation à la manifestation. Mais il refuse, par principe, et lui répond : «Je ne mentirai pas, mon avenir est inscrit sur mon front», voulant dire à la fois que la vérité finit toujours par apparaître et que, la vie étant encore devant lui, il ne veut pas l’entacher par un acte de lâcheté, préférant assumer la responsabilité de ses actes. Longtemps après, parlant de cet épisode, il confie à des proches qu’il «savait que son destin était déjà tout tracé et que c’était pour cette raison qu’il n’avait pas écouté Daouk». (…) En homme énergique et entreprenant, l’inactivité lui pèse. Au bout de cinq mois de captivité, il multiplie les démarches pour obtenir sa libération. Elle lui est accordée par les autorités françaises à condition qu’il quitte le pays. Sans doute son jeune âge a-t-il joué en sa faveur. Une nouvelle vie commence pour lui qui le mènera, quelques décennies plus tard, au faîte des honneurs et des responsabilités au service du Liban. Ce Liban qui n’est encore qu’une ébauche en 1922 pour un jeune musulman nationaliste arabe comme Aoueini dont l’objectif est la lutte pour l’indépendance et la liberté face à l’occupant, ottoman ou occidental ; mais qu’il aimera tant à partir de l’Indépendance en 1943, auquel il sacrifiera sa vie privée, dont il se fera l’un des plus ardents, des plus zélés défenseurs, incarnant une nouvelle mentalité politique faite de loyauté à l’égard de la patrie, dévouement aux intérêts de l’État, rectitude sans faille dans la gestion des affaires publiques, refus de tout empiètement sur la souveraineté nationale et de toute hégémonie étrangère, fidélité aux principes d’intransigeance à l’égard d’Israël et d’ouverture sur le monde arabe. 1 N°1391 bis, du 21 mai 1922.
Nous reproduisons ci-dessous des extraits du deuxième chapitre intitulé : « Les nationalistes en prison » Hussein Aoueini avait quitté le Liban pratiquement forcé. Il avait le choix entre la captivité et l’exil. Il choisit l’exil car il lui ouvrait un vaste champ de possibilités que son dynamisme, son optimisme inné, son esprit entreprenant le portaient naturellement à...