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Actualités - CHRONOLOGIE

André Fontaine : un personnage hors série affrontant d'innombrables bourrasques(photos)

Dans la préface qu’il a consacrée à l’ouvrage de Roger Gehchan, André Fontaine écrit : «Hussein Aoueini, dont ce livre retrace la vie avec une précieuse minutie, appartenait à une espèce rare : celle des sages. D’autant plus rare, s’agissant d’un homme politique, que ce métier expose, pas seulement au Liban, à toutes sortes de tentations. À en croire l’auteur, Roger Gehchan, il ne semble pas qu’elles aient jamais beaucoup effleuré Aoueini. Pourquoi ? Il y avait bien sûr son tempérament, sa personnalité si attachante – “mi-Créon, mi-Antigone”, écrit notre confrère –, son humour, son élégance morale, sa modestie, nourrie des leçons de sa mère : “Ce sont les épis de blé vides qui se dressent orgueilleusement vers le ciel, les épis pleins s’inclinent vers le sol”, dit le dicton libanais cité dans l’ouvrage. Mais trois facteurs pourraient contribuer à expliquer ce que certains qualifiaient de dilettantisme et qui relevait sans doute plutôt du détachement : – Aoueini était un homme très religieux, même si ce musulman sunnite élevé chez les bons pères avait, comme le souligne Albert Moukheiber, “la religion un peu protestante”, affirmant lui-même “respecter toutes les religions et se méfier des mécréants”. Il avait fait plusieurs fois le pèlerinage de La Mecque et prenait au sérieux l’enseignement du Prophète, au point de pouvoir écrire dans son testament qu’il n’avait, de sa vie, porté intentionnellement tort à personne. “Je suis quelqu’un qui aime tout le monde, a-t-il déclaré dans une de ses dernières interviews... Que laissons-nous derrière nous, sinon nos bonnes actions ?” – Bien qu’engagé très tôt dans le combat pour l’indépendance du Liban, ce qui lui avait valu la prison et l’exil, Aoueini aura connu, précisément grâce à cet exil, le monde des affaires et de la banque antérieurement à celui de la politique. Patron de nombreuses sociétés, devenu l’intime d’Ibn Saoud, il apprit, bien avant que la découverte du pétrole vienne faire de la péninsule arabique un enjeu stratégique majeur, l’autorité que confère à un homme la réputation de toujours tenir parole. Surtout dans une région où les deux grandes puissances de l’entre-deux-guerres, la Grande-Bretagne et la France, avaient multiplié cyniquement, aux seules fins de maintenir leur domination, les promesses les plus contradictoires. – Arabe et musulman, admirateur de Nasser tout en se méfiant de sa politique, Aoueini n’en était pas moins très attaché à maintenir la spécificité du Liban, autrement dit l’union de ses diverses composantes, telle que l’avait établie le fameux “Pacte national” de 1943 qui, bien que non écrit et ayant perdu ses bases démographiques, n’est pas encore, à l’heure actuelle, totalement oublié. Ce qui explique qu’on soit souvent allé le chercher, pour participer à des gouvernements d’union nationale, ou même les diriger, dans des moments où le consensus se trouvait particulièrement menacé par les flambées de ce “communautarisme” où il voyait, à juste titre, le pire ennemi de son pays. À revivre toutes ces crises sous la plume experte et admirablement documentée de Roger Gehchan, on voit bien cependant que l’essentiel des menaces auxquelles ce frêle “esquif” qu’il décrit “lâché dans la mer démontée de la politique moyen-orientale et internationale” a dû faire face depuis la proclamation de son indépendance venait de l’extérieur. Rien d’étonnant dès lors à ce que cette biographie de Hussein Aoueini prenne, comme l’annonce le sous-titre, la dimension d’une chronique particulièrement fournie d’“un demi-siècle d’histoire du Liban et du Moyen-Orient”, les deux sujets ne pouvant de toute évidence être séparés. D’autant plus que les voisins du Liban, à commencer par les deux plus proches, Israël et la Syrie, se sont rarement privés d’intervenir dans ses affaires, sans avoir trop de peine la plupart du temps à trouver des concours sur place. Bien que s’arrêtant à la mort de Hussein Aoueini, autrement dit en 1971, soit quatre ans avant le déclenchement de la guerre civile, la longue chronologie publiée à la fin de l’ouvrage est de ce point de vue particulièrement éloquente. Que pouvait la petite armée libanaise contre des États eux-mêmes puissamment aidés soit par les États-Unis, soit par l’URSS, et dont le budget militaire atteignait des niveaux records ? Fouad Chéhab, son très respecté commandant en chef, qui deviendra un président de la République réconciliateur après le débarquement, en 1958, pour faire échec aux ambitions panarabes du Caire, des “marines” américains, n’avait pas hésité à dire à l’ambassadeur de Grande-Bretagne, deux ans plus tôt, au moment de la crise de Suez, qu’elle était capable de résister “un jour aux Syriens et une heure aux Israéliens”. Chacun en était trop conscient à Beyrouth pour envisager sérieusement de l’engager contre un envahisseur. Le fait est en revanche que depuis 1952, comme le rappelle Roger Gehchan, “les hommes en kaki ne réintégrèrent jamais tout à fait leurs casernes”. Il y a plus d’un pays parmi les cent quatre-vingt-six membres des Nations unies dont on pourrait en dire autant. Il en est peu en revanche qui ont ressenti autant que le Liban, en un demi-siècle “d’indépendance”, le poids des interventions politiques, économiques et même militaires, tant de leurs voisins que des grandes puissances. L’auteur fait oeuvre très utile en nous en rappelant sous quelles formes : ainsi de l’ambition longtemps nourrie par les États-Unis d’enrôler le monde arabe dans le réseau de résistance au communisme mondial. Tel était notamment l’objet de cette “Doctrine Eisenhower” qu’ils finiront, selon le mot d’un diplomate anglais, par “enterrer discrètement”, au vu de la pagaille qu’elle aura semée. Que pouvait un homme comme Aoueini contre les coups que cette agitation ne cessait de porter à l’unité libanaise ? Pas grand-chose en un sens. Il n’empêche que, notamment pendant tout le temps où il a exercé des responsabilités gouvernementales, il a été constamment sur la brèche, prêchant la raison et le calme, utilisant ses dons de diplomate pour convaincre les gouvernements étrangers de mettre une sourdine à leurs exigences, empêchant au maximum ses compatriotes de se laisser emporter par les querelles et les ambitions des autres. Qui, à sa place, y serait si bien parvenu ? Il faut donc remercier sa fille, Mme Nada Aoueini, d’avoir souhaité que lui soit consacré ce livre et Roger Gehchan d’avoir si bien fait revivre ce personnage hors série et les innombrables bourrasques qu’il lui a fallu affronter». Signature de l'ouvrage L'auteur signera son ouvrage au cours d'une réception à l'hôtel Bristol, mardi 23 mai, de 17 heures 30 à 20 heures 30. Les recettes de la vente du livre seront versées à la Fondation pour la Bibliothèque nationale, détruite pendant la guerre et en cours de reconstitution. Un « prix Hussein Aoueini » À 17 heures, avant la signature de l'ouvrage, Mme Nada Hussein Aoueini tiendra une conférence de presse à l'hôtel Bristol pour annoncer la création du «Prix Hussein Aoueini», destiné à couronner, en coopération avec les principales universités du Liban, les mémoires de maîtrise et thèses de doctorat consacrés à la période 1900-1975 et traitant de sujets politiques, économiques ou administratifs. Édition double français arabe L’ouvrage de Roger Gehchan a été traduit en langue arabe par Georges Abi Saleh et les deux éditions paraissent simultanément.
Dans la préface qu’il a consacrée à l’ouvrage de Roger Gehchan, André Fontaine écrit : «Hussein Aoueini, dont ce livre retrace la vie avec une précieuse minutie, appartenait à une espèce rare : celle des sages. D’autant plus rare, s’agissant d’un homme politique, que ce métier expose, pas seulement au Liban, à toutes sortes de tentations. À en croire l’auteur,...