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Actualités - REPORTAGES

Reportage - Tournée dans un village évacué par l'ALS Aramta est libre, mais attend toujours la paix

La joie de la libération n’a pas duré longtemps à Aramta. Huit jours après leur départ, les miliciens de l’ALS ont bombardé la région au moment où une délégation officielle, comprenant le directeur du conseil du Sud et des députés, s’y rendait pour recenser les dégâts, et hier, vendredi, c’était de nouveau l’enfer. Le petit village au fond de la vallée n’en a pas fini avec les malheurs, mais rien ne saurait entamer la bonne humeur des rares habitants demeurés sur place. Dans l’euphorie de la libération, les journalistes n’ont rapporté que des scènes de retrouvailles émues, mais Aramta, c’est aussi la désolation, un spectacle qui vous remue les tripes et que vous aviez cru ne plus voir au Liban : des maisons dynamitées, des murs endommagés, des routes bloquées par les gravats et pas une seule boutique ouverte. Les habitants qui avaient déserté le village pour cause d’occupation ou de turbulences, et qui s’y étaient rendus après l’annonce du retrait de l’ALS le mardi 11 mai, en sont vite repartis, ne trouvant pas de toit pour les abriter. Seule est restée la centaine d’irréductibles, beaucoup de vieux, quelques femmes et de très rares jeunes, qui n’ont jamais voulu quitter leur village. Une silhouette d’un autre âge dans un village désert. Ce sont eux qui accueillent les rares visiteurs, émus de pouvoir raconter leur histoire et si hospitaliers, malgré le manque de produits faute de boutiques ouvertes. Oum Hussein ne connaît pas vraiment son âge, mais son visage est aussi ridé qu’une vieille pomme et son sourire édenté allume des étoiles dans ses yeux. Elle tient vaillamment son fagot de bois et oublie sa charge tant elle est heureuse de parler. Dans ce village qui semble désert, sa silhouette voûtée ressemble à un fantôme d’un autre âge. Oum Hussein est contente de ne plus avoir devant chez elle des miliciens de l’ALS, mais elle souhaiterait plus que tout voir le village revivre avant de quitter ce monde. «Ils ne sont pas bien loin, dit-elle. Juste là sur la colline, et la Résistance ne les laissera pas se reposer. Elle compte les harceler jusqu’à ce qu’ils s’en aillent». Les miliciens de l’ALS ont quitté la position de Aramta dans la nuit de lundi à mardi, mais ils sont encore dans les collines environnantes et au village de Rihane, à six kilomètres de là. Dans le casa de Jezzine, les Israéliens occupent encore trois villages : Rihane donc, mais aussi Jarnak et Aïchiyé où ils ont installé le QG de leurs renseignements. Et tant qu’ils n’auront pas abandonné ces positions, la région ne connaîtra pas de paix. En voyant une voiture étrangère, les habitants commencent à sortir dans la rue. C’est à qui voudra nous inviter chez lui et surtout raconter sa version des faits. Soudain, les ouvriers municipaux veulent nettoyer les rues à l’aide de pelles rouillées, dans l’espoir d’être interrogés. Hussein est agriculteur et, à ses heures perdues, ouvrier municipal. Il a quitté Aramta parce que la situation était devenue intenable. Mais comme chaque année au printemps, il était venu élaguer ses vignes avant de se retrouver bloqué sur place. Il y a vingt jours, en effet, dans une opération spectaculaire, la Résistance avait investi la position de Aramta, faisant sauter un dépôt de munitions, tuant 5 miliciens et blessant dix autres. L’ALS et les Israéliens ont aussitôt riposté en inondant le village d’obus puis en l’isolant du reste du monde pendant 15 jours, sans le moindre ravitaillement. Les 150 personnes vivant encore sur place se sont terrées dans les caves, en priant pour que cesse le cauchemar. La population réveillée par le bruit d’un bulldozer Elles n’ont pas immédiatement appris la nouvelle du retrait puisqu’elles se cachaient des obus, et c’est d’ailleurs, dans un enfer d’artillerie, que les miliciens se sont retirés. Le lendemain, la population s’est réveillée sur un bruit étrange : un bulldozer en train de supprimer le mur de sable édifié par l’ALS. Ayant appris le retrait par des canaux diplomatiques, le chef de l’État a aussitôt donné l’ordre aux experts en explosifs de déblayer la route. Les habitants n’en croyaient pas leurs yeux, mais il leur a fallu se rendre à l’évidence en voyant, quelques heures plus tard, le flot de visiteurs venus revoir leurs maisons ou les membres de leurs familles. Trois jours plus tard, l’ALS quittait la position de Chayar Azour, sur la colline faisant face à Aramta, car elle était devenue indéfendable, mais ils l’ont auparavant dynamitée afin que la Résistance ne puisse pas s’y installer. Restent encore les collines de Rihane, mais ici, on pense que les Israéliens et leurs alliés n’y tiendront pas longtemps. D’ailleurs, Hussein achève à peine ses paroles que les obus commencent à tomber à quelques mètres du village, provoquant des gerbes de poussière sur les versants des collines. Les tirs de mitrailleuses suivent et c’est à une vraie bataille que nous assistons sans trop en comprendre l’enjeu. La rue principale jusqu’alors déserte est brusquement pleine de jeunes gens, qui, sans afficher leur appartenance au Hezbollah, ne cachent pas leur sympathie pour la formation. Ils commentent entre eux les bruits entendus : «Ils ont dû les voir se déplacer et ils les attaquent…». Voyant que nous n’en menons pas large, ils s’empressent de nous rassurer : «Ne vous en faites pas, cela passera. La Résistance est forte». Figure anachronique dans ce lieu transformé en champ de bataille, un homme en costume cravate sort d’une Mercedes. C’est le caïmacam de Jezzine Nabih Hammoud, venu inspecter le siège de la municipalité de Aramta. «Il ne faut pas s’attarder dans ces lieux», nous dit-il, dans un sourire. Il connaît désormais la musique. La veille, il était venu avec le directeur du conseil du Sud, Kabalan Kabalan, et ils ont dû rebrousser chemin en catastrophe pour cause de bombardements israéliens. Nous le suivons à l’intérieur du siège municipal, presque une masure mollement fermée par une portière rouillée. Des registres jaunis et poussiéreux sont aussitôt dégagés et le caïmacam explique : «Le conseil municipal n’existant plus, les anciens membres étant morts et il n’y a plus eu d’élection, la zone étant occupée, je suis devenu la seule autorité administrative de ce village. Je suis venu car il y a beaucoup de formalités en attente et les habitants ont besoin de ces papiers pour légaliser leur situation ou entreprendre les travaux de restauration». Avec humour, M. Hammoud précise que la route de Aramta étant coupée depuis 18 ans, il y a un énorme travail à accomplir. «Nous comptons commencer par le nettoyage des rues, puis par le rétablissement des réseaux d’eau et d’électricité. En principe, tout devrait aller très vite car, dès lundi, le conseil du Sud commencera à remettre les chèques aux habitants afin qu’ils entament la reconstruction de leurs maisons. Le reste devrait suivre. Mais le plus important est le retour des habitants qui devraient être normalement au nombre de 3 500. Pour l’instant, ils ne sont que 150 dont sept enfants qui disposent de 7 instituteurs à l’école gouvernementale…». Le Hezbollah prêt à s’implanter dans les lieux Si l’État n’agit pas vite, le Hezbollah risque bien de le devancer. Toutes ses institutions sociales sont déjà prêtes à s’implanter dans ce village où il est déjà très influent. D’ailleurs, le drapeau de la formation flotte déjà sur les ruines des barrages de l’ALS. En réalité, Aramta est entré dans l’histoire trois ans plus tôt, lorsque l’un des principaux chefs de l’ALS, Assaad Nasr, y a été assassiné au cours d’une tournée d’inspection. La milice s’est alors vengée en isolant le village et en dynamitant les maisons des familles des résistants. Depuis, elle considère le village comme un lieu hostile. À Aramta, Zeinab fait figure d’héroïne. Elle possédait une boutique de vêtements unisexe, dans laquelle venaient s’approvisionner les membres de l’ALS. Puis, victime d’une dénonciation – ou parce qu’elle a plu à un des chefs –, elle a été arrêtée et emmenée à Khiam. Elle y a fait trois séjours, dont le dernier a duré quatre ans et n’a pris fin qu’en 1993. À 45 ans, elle boite comme une vieille, mais son teint est lumineux et sa force de caractère impressionnante. Avec beaucoup de détachement, elle raconte les épreuves subies, notamment les deux mois et demi d’interrogatoire au cours desquels tous les moyens étaient utilisés pour la démoraliser, l’humilier et la briser. Mais elle a survécu et aujourd’hui, elle affirme que plus rien ne peut lui faire peur. Les seules larmes qu’elle a versées au cours de ses longs séjours à Khiam étaient dues à l’évocation de ses parents, ce couple de vieillards dont elle était l’unique enfant. D’ailleurs, son père est mort alors qu’elle était en détention. Elle rêvait souvent de lui et c’est le seul moment où elle se sentait faiblir. «Pour le reste, dit-elle, on s’habitue. On oublie qu’une autre vie peut exister et on se met à guetter le passage des avions israéliens pour connaître l’heure (ils font leur premier survol à 11h)…». Depuis sa libération, elle a subi quatre interventions chirurgicales, effrayant le chirurgien par son sang-froid. Zeinab parle encore, mais, dans sa petite maison qui fait face à la position de l’ALS, les coups retentissent de plus en plus fort. L’opération semble devoir se poursuivre et les combats paraissent très proches. Aramta est libre, mais la paix n’y règne pas encore. Toutefois, les habitants s’y sentent désormais chez eux.
La joie de la libération n’a pas duré longtemps à Aramta. Huit jours après leur départ, les miliciens de l’ALS ont bombardé la région au moment où une délégation officielle, comprenant le directeur du conseil du Sud et des députés, s’y rendait pour recenser les dégâts, et hier, vendredi, c’était de nouveau l’enfer. Le petit village au fond de la vallée n’en...