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Actualités - REPORTAGES

Raids israéliens - La sous-station électrique ravagée, des maisons endommagées, un employé d'EDL blessé Beddawi, 01h45, le grand noir, les missiles (photos)

C’est vrai que c’est impressionnant. Et désolant. Impressionnant parce que toute la sous-station électrique de la centrale de Deir Amar à Beddawi n’est plus que pierres, métal éventré et poussière. Impressionnant aussi parce que la puissance de frappe israélienne a été, cette fois-ci, on ne peut plus millimétrée, la dimension politique est claire. Désolant parce que cette centrale est l’une des plus modernes du Liban, cinq à six fois plus coûteuse que toutes les autres, et qu’elle approvisionne la quasi-totalité de l’infrastructure électrique libanaise. Désolant parce que les agents techniques, ceux de la sécurité ou de la maintenance, ont passé des heures terribles et l’un d’eux a été blessé et transporté à l’hôpital. Désolant aussi parce que des écoles, des habitations ont été endommagées, des oliveraies souillées. Désolant enfin parce que les Libanais, une fois de plus, et notamment ceux aux alentours de la centrale, ont (re)vécu une nuit de peur, de pleurs, de stupeur. «À deux heures moins le quart du matin, comme ça, d’un coup, inexplicablement, toute l’usine a été plongée dans le noir, les transformateurs ont disjoncté, tout le système d’alarme s’est mis à hurler». Daoud Fawwaz est sous perfusion, sur son lit de l’hôpital Mounla, à Tripoli, en train de subir des examens à la suite des blessures, certes légères, qu’il a reçues quelques heures plus tôt. Daoud est employé à l’Électricité du Liban, il est responsable de la distribution du courant et de la coordination avec l’ensemble des stations libanaises, il était de permanence dans la nuit de jeudi à vendredi, à la sous-station électrique de la centrale de Beddawi, en compagnie de Talal, un agent de l’entretien. Daoud, à ce moment-là, a gardé son sang-froid, «je n’avais, encore, aucune raison de paniquer», il a éteint les alarmes, «ouvert les breakers», c’est-à-dire, empêché le courant de recirculer sur les lignes, contacté les stations de Deir Nbouh et de Horaiché, où tout était normal. «Non, je n’ai entendu aucun avion, dans tous les cas, je n’aurais pas pu, avec tous les bruits qu’il y avait…». Daoud a évidemment appelé Beyrouth, le centre de coordination duquel il reçoit toutes les directives, il les met au courant, leur dit que tout semblait, malgré tout, normal, et puis Talal arrive, en courant. Affolé. «Il faut tout laisser, maintenant, il faut qu’on parte, l’aviation israélienne est au-dessus de nous». Daoud a immédiatement poussé son collègue Talal à fuir, avant lui, «moi je devais finir ce que j’avais à faire, c’était indispensable, c’était mon devoir, mes responsabilités, de rester seul, au cas où il y aurait eu le moindre problème, un incendie», il était toujours en ligne avec Beyrouth, qui lui demandait d’aller vérifier certaines tensions. «Et c’est là que j’ai été projeté quinze mètres plus loin, le premier missile israélien venait de tomber». Daoud, sous le choc de l’explosion, complètement assourdi, n’a pas su ce qui lui est tombé sur la tête, du béton, du métal, «il y a eu tellement de poussière que je ne pouvais plus rien voir». Il est immédiatement sorti, atteint, en courant, la première barrière, et hop, un deuxième missile s’abattait à l’endroit précis où il se trouvait, le projetant de nouveau, dix mètres plus loin, «sur une voiture rouge». Et puis Talal et un ou deux autres membres de la sécurité ont emmené Daoud à l’hôpital de Tripoli «J’étais tout en sang, tous mes vêtements déchirés, je n’avais plus d’équilibre, ma tête allait éclater, mais sur le chemin j’ai quand même entendu deux autres missiles qui explosaient». Chocs et dégâts au village C’était le héros du jour, Daoud, dans sa chambre d’hôpital, entouré d’une dizaine d’hommes, autour de lui, qui l’écoutent, religieusement, raconter, encore une fois, sa conscience professionnelle aiguë, ses «péripéties de guerre». Et puis il y a Samer. Samer est étudiant en histoire à l’Université libanaise et employé de la sécurité à la centrale de Beddawi. Il ne travaillait pas ce soir-là, il dormait, avec son petit frère âgé de 7 ans, dans leur chambre, chez leurs parents, dont la maison est distante de quelques centaines de mètres à peine de la centrale électrique. «À 2h15, nous avons entendu le mur du son, je suis sorti sur ma véranda, j’ai vu trois boules de feu, la sous-station qui flambait, les shrapnels qui éclaboussaient, jusqu’à chez moi, mes frères et sœurs, ma mère qui pleuraient, il y a eu trois raids, tout Deir Amar semblait luire de tous les feux, tous les villageois ont pris leurs voitures et sont restés loin, très loin de la centrale». Et Samer et sa maman de nous montrer les innombrables fissures qui lézardaient tous leurs murs, leurs vitres, son petit frère encore traumatisé, Deir Amar étant le village le plus proche du lieu du drame. Il y a également l’Institut technique et professionnel public de Deir Amar, dont les vitres, brisées pratiquement toutes, jonchent l’asphalte en face de l’entrée, et les superbes rosiers, aussi. Le directeur de l’institut n’est là que depuis trois mois et il n’en démord pas. «Lundi, j’ouvre de nouveau mon établissement, Israël ne nous aura pas, nous sommes tous les soldats de ce pays». Il habite à trois kilomètres de l’établissement, il a donc tout entendu, pratiquement aux premières loges, il est arrivé à 06h50 pour inspecter, «comme vous voyez, ce ne sont que vitres cassées, portes détruites», dans cet institut qui regroupe 850 élèves et 150 salariés, entre enseignants et membres de l’administration. «J’ai pris toutes les mesures requises, nous a déclaré le directeur, j’ai averti l’ensemble des responsables concernés au ministère de l’Enseignement supérieur et puis plusieurs personnalités sont venues ici, en inspection : le président Omar Karamé, le ministre Mikati, le mohafez du Liban-Nord, beaucoup de députés, le président de la municipalité de Tripoli qui nous a garanti le remboursement de tous les dégâts». Diabolique millimétrage israélien Et puis il y a aussi Mohammed et les autres gardiens de la centrale électrique qui étaient, comme chaque nuit, dans leur guérite, à l’entrée de la centrale. Les hommes qui nous relatent les événements et «le sauvetage de Daoud» n’arrivent pas à se mettre d’accord si ce sont les soldats de l’armée libanaise ou bien les hommes des renseignements syriens, dont le poste se trouve juste en face de la centrale, il suffit de faire trois pas, qui les ont sortis de la centrale dès les premiers missiles, pour les terrer dans des tranchées, creusées à cet effet, de l’autre bord de l’autoroute, sous les oliviers. Lorsque l’on parcourt l’ensemble de la centrale électrique de Beddawi, une évidence s’impose, frappe par sa signifiance, une mise en garde : ce ne sont que les trois transformateurs de la sous-station électrique qui ont été dévastés et détruits. L’usine de production et les cuves de stockage, qui se trouvent tout autant dans l’enceinte de la centrale et parfois collées à la sous-station, ont à peine été égratignées par des shrapnels égarés, ils sont encore là, et flambant neuf. Il est important également de souligner que c’est la première fois, depuis qu’Israël a commencé à bombarder l’infrastructure libanaise, que la centrale de Beddawi, une des plus modernes, des plus perfectionnées, des plus puissantes et des plus onéreuses au Liban, construite et exploitée par le consortium Ansaldo et dont les travaux ont été supervisés par l’Électricité de France, est touchée. Cette centrale de 435 MW est réellement encore neuve : sa mise en fonctionnement date de 1998. L’Orient-Le Jour a voulu en savoir plus, sur l’estimation réelle des dégâts, sur les spécificités techniques de la centrale, mais peine perdue : le directeur Ramzi Minkara s’est refusé à tout commentaire, nous renvoyant sans ambages aux déclarations du directeur général de l’EDL Georges Moawad. Et l’oliveraie aussi Tout est quand même, comme toujours, relatif, et le millimétrage de la frappe israélienne n’échappe pas à la règle. L’ironie du sort, hasard ou coïncidences, l’image est troublante. Quelque part dans le village de Deir Amar, il y a une oliveraie, sublime et sereine, comme toutes les oliveraies, un symbole s’il en est du terroir libanais, quelque chose qui porte en lui, toutes proportions gardées, l’empreinte d’un sacré intouchable, inviolable, des rameaux d’oliviers... Et au milieu de ce champ, répugnante, fascinante, sa couleur argent métal glacée, implacable, une trace, qui traîne, qui souille, qui rappelle : un missile israélien qui n’a pas explosé.
C’est vrai que c’est impressionnant. Et désolant. Impressionnant parce que toute la sous-station électrique de la centrale de Deir Amar à Beddawi n’est plus que pierres, métal éventré et poussière. Impressionnant aussi parce que la puissance de frappe israélienne a été, cette fois-ci, on ne peut plus millimétrée, la dimension politique est claire. Désolant parce que...