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Actualités - OPINION

Une moitié de misère

Ainsi, en gros, la moitié des citoyens libanais sont plongés dans la misère, ou, comme préfèrent l’exprimer les statisticiens, «vivent au-dessous du seuil de pauvreté». Dans notre cas – et selon les données démographiques disponibles – deux millions d’individus se battraient pour survivre en deçà de cette ligne de partage qui sépare ceux qui mangent à leur faim de ceux qui sont confrontés à tous les risques de la pénurie financière et de l’indigence éducative et morale. On ne sait si la statistique qui, comme toutes les sciences humaines, aspire au statut de science exacte, se garde de certains mots comme celui, justement, de misère, pour éviter un effort de quantification ambigu ou si, parvenue à chiffrer au plus près les victimes de l’extrême pauvreté, elle considérait que les lecteurs concluraient d’eux-mêmes. Quoi qu’il en soit, «au-dessous du seuil de pauvreté» reste sa plus grande audace de vocabulaire. Le reste doit lui sembler n’être que littérature. Mais il serait stupide de chercher des poux à une discipline rigoureuse qui s’efforce de cerner «l’état des choses» et de livrer à l’interprétation, aussi précisément que possible, la condition des hommes. Or voilà que surgit aujourd’hui une vérité que beaucoup connaissaient sans la chiffrer mais dont le mérite est d’être diffusée à son heure. Dans le contexte d’un libéralisme économique sauvage qui n’a pas décru depuis qu’on lui a imprimé le style propre aux premières initiatives de l’après-guerre, et d’un autoritarisme politique qui emprisonne encore une fois des étudiants pour pénaliser la liberté de conscience ; au moment où un ennemi menace de s’en aller sans pourtant que n’en résulte une vision claire des manœuvres régionales (syro-libanaises par exemple), bref au moment où le pays vit une haute inquiétude, ce rappel de la misère devrait sonner comme un tocsin. Encore faudrait-il que l’on s’en alarme. Les élites par exemple. Pas d’élites intègres au Liban ? Un cliché de plus. Il y a des élites qui dorment même dans l’université la plus maltraitée de l’État, il y en a même dans l’appareil d’État, et même, baissons la voix, au sein du gouvernement. Mais s’il est vrai que nous ne manquons pas d’élites, que faire d’elles dans une région qui participe depuis tant de siècles de ce que les historiens sont convenus d’appeler le «despotisme oriental» : le droit des dirigeants à la plus vigoureuse tyrannie et celui des citoyens à la liberté la plus parcellaire ? Le Liban n’en est plus tout à fait là mais, pour revenir aux élites, des habitudes séculaires ont été prises, dont un apolitisme particulier, une indifférence à la chose publique dès lors qu’elle ne se situe pas au niveau politicard et clanique qui la caractérise depuis bien avant 1943. Pourtant, sans politique point de salut dans l’action. Certains ont fait leur choix : Georges Corm acceptant de devenir le grand argentier de la République, autrefois Marwan Hamadé, diligent ministre de la Santé, Nasser Saïdi qui administre notre économie. Et d’autres et, parmi les députés d’aujourd’hui et de demain, ceux que l’on sait porteurs d’espoirs. J’en oublie la misère ? Je verse dans l’élitisme ? J’en appelle à la politisation ? Mais la politique et la misère sont indissociablement liées, même aux États-Unis où plus de 20 millions de personnes vivent au-dessous du seuil de pauvreté à cause de la faillibilité des gouvernements fédéraux successifs. Ceci pour dire que la politique ne résout pas tout, mais que rien ne se résout hors d’une dimension politique. Le Liban (Les Libans devrait-on dire) s’est doté d’un très lourd fardeau – et si nous ne parlons pas de la classe moyenne, cette dangereuse peau de chagrin, c’est qu’il y faudrait une tout autre approche encore – un fardeau auquel il n’est peut-être pas trop tard pour s’attaquer (voir les résultats obtenus par le Pnud ou les ONG en province, voir les efforts des ordres religieux qui ne font pas parler d’eux, etc) à condition d’éliminer l’utopie comme le désenchantement précoce. Et surtout d’être gouvernés en liberté. L’espoir est à ce prix.
Ainsi, en gros, la moitié des citoyens libanais sont plongés dans la misère, ou, comme préfèrent l’exprimer les statisticiens, «vivent au-dessous du seuil de pauvreté». Dans notre cas – et selon les données démographiques disponibles – deux millions d’individus se battraient pour survivre en deçà de cette ligne de partage qui sépare ceux qui mangent à leur faim de...