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Actualités - REPORTAGES

Cana - Le programme de soutien psychologique commence à porter ses fruits Les enfants du drame retrouvent une vie quasi normale

Cana, printemps 1996. Israël pilonne un baraquement de la Force intérimaire des Nations unies au Liban-Sud (Finul), où tout un village s’est réfugié. Plus de 100 tués. Et deux fois plus de blessés. Les photos parlent. Elles crient. Les images que la presse publie, que les télés diffusent, fixent le drame dans l’Histoire. Chronique instantanée de folie et de haine. Vues insoutenables de familles décimées et d’enfants meurtris. Après l’émotion que cet acte barbare a suscitée, une chaîne de solidarité sans pareille prend corps. Mais une fois cet élan retombé, restait le problème de 80 gosses traumatisés à vie. Quatre ans plus tard, que sont devenus les enfants de Cana ? Prenant à son actif les volets éducatif, économique et familial, la Fondation Hariri a réédifié les maisons détruites. Les orphelins de père et de mère ont été confiés à des familles, le plus souvent des parents proches : les grands-parents, la tante, l’oncle. Les enfants sont scolarisés et suivis par des assistantes sociales. Ceux qui ont perdu leur mère sont restés naturellement avec leur père. Qui généralement s’est remarié et a fondé une nouvelle famille. Quand c’est le père qui a été tué, sa veuve et ses enfants ont été pris en charge par la fondation. Voilà en gros la situation sociale. Mais où en sont ces petits sur le plan psychologique ? Quelles sont les séquelles laissées par l’opération Raisins de la colère ? Depuis quatre ans, les 80 jeunes, âgés de 6 à 21 ans, sont médicalement traités par un groupe de psychiatres et de psychologues appartenant à IDRAC (Institute for Development, Research and Applied Care) et dirigé par le Dr Élie Karam. En 1996, l’évaluation clinique se présentait comme suit : – Dépression : 5,2 % des enfants ( 3,2 % en 1998). – Angoisse généralisée : 19 % (11,3 % en 1998). – Anxiété due à la séparation : 34,5 % ( 8,1 % en 1998). – Stress post-traumatique : 29,3 % ( 8,1 % en 1998) . Enfin, 30,2 % accusent toujours des troubles divers . Les premiers temps, les enfants étaient d’humeur triste. Il y avait chez eux une propension à la colère, à l’irascibilité. Un manque d’énergie les caractérisait. Leur appétit avait sensiblement diminué, ou au contraire, ils étaient pris de boulimie, d’un besoin irrépressible de manger. Des idées suicidaires La concentration d’esprit, l’application à tout effort intellectuel étaient faibles. Et par conséquent, la performance scolaire s’en ressentait. Le sommeil était perturbé : les enfants souffraient d’insomnies ou de réveils nocturnes. Ils accusaient une perte de l’intérêt, du goût à jouer, à s’amuser, à se rencontrer en groupe. Un isolement social s’est créé. Dans des cas spécifiques, «des comportements suicidaires se sont manifestés. Une tentative de suicide et deux cas d’idées suicidaires ont été traités», raconte Caroline Cordahi, un des psychologues qui a suivi de près les enfants de Cana. On note également «la perte des acquisitions» chez quelques- uns. «Je pense à un enfant qui avait à la fois une dépression et un trouble post-traumatique, et qui avait perdu certaines notions de base comme l’apprentissage de la propreté», souligne-t-elle. «Il y a un autre enfant qui était devenu complètement énuritique et mutique», ajoute-t-elle. Côté troubles post-traumatiques, les enfants se sentaient exposés à un danger imminent. Ils sursautaient au moindre bruit : un orage qui éclate ; une porte qui claque et voilà «l’enfant qui revit son drame en flash-back», explique le Dr Élie Karam. Parallèlement, d’autres s’acharnaient à oublier le drame de Cana. Ils refusaient d’en parler ou d’en entendre parler. Comme pour se protéger de la douleur. Pour ces orphelins, des colonies d’été ont été organisées par IDRAC et la Fondation Hariri. À ces camps de loisirs sont intégrées des séances de thérapie de groupe. La première a été marquée par l’agressivité, la violence et les conflits. Les enfants dont les familles appartenaient à des partis politiques différents se disputaient continuellement. Même leurs dessins représentaient la guerre : des portraits de leaders, des mitraillettes, des maisons détruites, etc. La deuxième année, il a été décidé de réunir les enfants de Cana avec d’autres orphelins du Sud . Et cet été là, l’on a noté que les aspects de la colère, même dans les dessins, avaient sensiblement diminué. Il y a eu même quelques adolescents de Cana qui ont mis à profit la rencontre avec d’autres jeunes pour obtenir certains privilèges. Ils ont adopté une attitude de super-victimes. Ou au contraire, ils ont posé aux héros puisque rien ne pouvait se comparer au drame de Cana. En règle générale, «avec l’éclatement de la famille, beaucoup de phénomènes sociaux sont apparus chez l’enfant. Beaucoup de chaos. Un manque de discipline, de respect ; une absence de limites… Il fallait lui apprendre à se structurer et à se discipliner, à travers des techniques thérapeutiques comportementales, qu’on a tenté de maintenir chez lui, après les colonies, dans sa famille et à l’école, grâce à la collaboration des enseignants et des assistantes sociales qui ont été sensibilisés aux problèmes de santé mentale», explique encore Caroline Cordahi. Jusqu’aujourd’hui, des enfants qui semblent présenter un «désordre important» sont traités avec des médicaments, par le Dr Jean Fayad. Toutefois le Dr Karam assure qu’il y a, «en pourcentage et en intensité, une baisse certaine des troubles». Mlle Cordahi ajoute que «tous les enfants ont été ramenés, grâce aux efforts des assistantes sociales, à un fonctionnement quotidien de routine. Tous sont maintenant intégrés dans les règles de la vie normale. Que ce soit à l’école ou en famille». Les enfants de Cana seront-ils marqués à vie par cet événement tragique ? «Toute maladie peut être récurrente, répond le Dr Karam. La dépression aussi. L’enfant qui a subi un trouble intense et un post-traumatisme est fragilisé. «Il est donc susceptible de rechuter à cause d’un échec dans la vie, de relations personnelles perturbées, d’une séparation. La vie réserve malheureusement des situations pénibles, imprévisibles». Ces victimes de la guerre seront-elles, plus tard, violentes ? Il est trop tôt pour répondre de façon scientifique», dit le Dr Karam. Caroline Cordahi cite pour sa part le cas d’un adolescent qui, avant Cana, présentait des troubles de conduite et une prédisposition à la violence et à l’insociabilité. «Après le traumatisme, indique-t-elle, le garçon s’est calmé, nettement calmé. Et pour le moment, cela dure». La vie continue. Dans leur malheur, ces enfants ont eu la chance relative d’être soutenus. Mais après, il leur faudra voler de leurs propres ailes. Lestées de plomb.
Cana, printemps 1996. Israël pilonne un baraquement de la Force intérimaire des Nations unies au Liban-Sud (Finul), où tout un village s’est réfugié. Plus de 100 tués. Et deux fois plus de blessés. Les photos parlent. Elles crient. Les images que la presse publie, que les télés diffusent, fixent le drame dans l’Histoire. Chronique instantanée de folie et de haine. Vues...