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Actualités - REPORTAGES

Travaux - Quand les promoteurs immobiliers font fi des normes de sécurité Saydet el-Béchara menacée d'effondrement (photos)

C’était, hier, une journée noire pour les membres de la paroisse grecque-orthodoxe Notre-Dame de l’Annonciation (Saydet el-Béchara), à Achrafieh. Leur église, ce lieu de culte qu’ils considèrent comme leur deuxième chez-soi, leur havre de paix, leur refuge quand ils ont besoin d’un réconfort qu’ils ne trouvent pas dans leur entourage, est sérieusement ébranlée, à cause de travaux anarchiques entrepris sur le chantier adjacent au mépris de tout respect des normes de sécurité. L’édifice religieux offre, depuis hier midi, un spectacle de désolation. L’église est vide, froide, presque sans vie. Plus de fidèles en prière, de bancs, d’icônes, de lustres, de présentoirs de cierges…Rien que des échafaudages et de gigantesques lézardes dans les murs, baignant dans un silence de mort, entrecoupé de temps en temps par les voix des ouvriers qui déménagent ce qui reste dans le lieu de culte. La mine consternée du prêtre de la paroisse et des volontaires qui ont commencé tôt le matin à vider l’église et à démonter les icônes – encastrées dans l’iconostase, les colonnes de marbre, la chaire épiscopale et les murs – en dit long sur leurs sentiments, qu’ils essaient d’ailleurs de cacher par pudeur. Ils s’abstiennent du moindre commentaire, s’en remettant totalement à Dieu auprès de qui ils ont l’habitude de se réfugier et puisant auprès de Lui la force de croire que tout ira bien. Car, jusqu’aujourd’hui, nul ne peut se prononcer sur les éventuelles conséquences des fissures qui lézardent aussi bien les murs que le sol de l’église et qui se sont même étendues vers la chaussée de la rue du Liban... «Nous sommes dans l’expectative. Il faudra attendre la fin de la période dite de stabilisation pour en avoir le cœur net. Nous ne pouvons que surveiller les lézardes pour voir si elles s’étendent ou si elles se stabilisent», déclare le père économe Georges Dimas, responsable de la paroisse Notre-Dame de l’Annonciation. Il est bien évidemment prématuré de parler de démolition, même si le risque d’effondrement de l’édifice existe. Un risque qui aurait pu être facilement évité, si seulement les promoteurs du projet immobilier avaient fait preuve d’un minimum de bon sens et d’un minimum de respect pour les normes de sécurité appliquées en cas d’excavations. On ne peut pas dire qu’ils n’avaient pas été avertis du danger que leurs travaux représentaient, non seulement pour l’église, mais pour la sécurité des bâtiments avoisinants. Depuis décembre, la paroisse Notre-Dame de l’Annonciation multiplie les démarches auprès des autorités concernées pour obtenir qu’un minimum de normes de sécurité soit appliqué. En vain. Non pas que les administrations relancées n’aient pas répondu à l’appel, mais les promoteurs n’ont rien voulu entendre, réagissant à la libanaise : on montre patte de velours lorsqu’on est rappelé à l’ordre et dès que le contrôle se relâche, on en fait à sa guise. Trois appels sans réponse Tout a commencé en décembre dernier, lorsque les bulldozers ont entrepris de creuser le terrain adjacent à l’église et que les premières lézardes, fines au début, ont commencé à apparaître. Le père Dimas s’est empressé d’envoyer une lettre au propriétaire du bien-fonds, M. Chafic Jomoa, expliquant le problème qui se pose. Il lui adressera deux autres par la suite. Faut-il préciser qu’il n’a jamais obtenu de réponse aux trois missives ? Faut-il expliquer pourquoi ? Ignore-t-on que tous travaux supplémentaires impliquent de nouveaux frais indésirables ? Le père Dimas dépose une plainte auprès du mohafez de Beyrouth, M. Yaacoub Sarraf, et une autre devant le juge des référés de Beyrouth, leur demandant de nommer des experts pour évaluer les dégâts, vérifier leur cause et définir les mesures à prendre pour neutraliser tout danger. Il s’adresse aux deux autorités simultanément, pour une action plus soutenue : l’autorité judiciaire évaluera l’ampleur des dégâts et l’administrative interviendra immédiatement pour les empêcher. Parallèlement, le Conseil de la paroisse, conscient du danger qui menace l’église, nomme une équipe d’ingénieurs et d’hommes de loi pour suivre de près l’affaire. «Il nous est apparu que les études de génie sur base desquelles les travaux d’excavations étaient entrepris ne tiennent pas compte des normes requises », ajoute le père Dimas d’une voix qui trahit une immense lassitude. Les ingénieurs nommés par la municipalité et qui inspectent le chantier mettent l’accent sur la nécessité de construire un mur de soutènement. Les promoteurs immobiliers entament les travaux de consolidation qu’ils suspendront moins d’un mois plus tard «pour des raisons que nous ignorons». C’est à ce moment-là que le père Dimas adresse sa deuxième missive à M. Jomoa, à travers la mohafazat, d’autant que les lézardes devenaient de plus en plus nombreuses. M. Sarraf demande au promoteur de lui présenter un calendrier-programme des travaux et l’oblige à entreprendre seulement les travaux de consolidation, explique le prêtre. Comble de l’inconscience : des marteaux piqueurs Le mohafez charge également un ingénieur de suivre les travaux. Mais au lieu de se conformer à l’ordre du mohafez, les responsables du chantier entreprennent, au début de la semaine, de nouvelles excavations juste au niveau du mur d’enceinte du lieu de culte. Comble d’inconscience, ils utilisent des pelles à marteaux piqueurs, afin d’effriter les rochers qu’ils n’avaient d’ailleurs pas le droit d’altérer, conformément au permis de construction qu’ils avaient obtenu, précise le père Dimas. Auraient-ils voulu faire exprès d’ébranler l’édifice religieux, qu’ils n’auraient pas mieux fait. Nous avons peut-être tort de les accuser de vandalisme, mais ce qui est sûr, c’est qu’ils n’ont fait, malheureusement, que suivre la tendance en vigueur dans le pays, où l’absence d’éthique professionnelle et l’irrespect des normes de sécurité appliquées aux chantiers immobiliers commandent souvent les travaux de construction. L’effondrement d’un immeuble à Biakout où trois bâtiments sérieusement ébranlés sont aussi menacés d’écroulement en est aussi un parfait exemple. Toutes les personnes interrogées sont unanimes pour l’affirmer : dans ce genre de cas, la responsabilité de tout chantier incombe exclusivement au signataire du permis de construire, en l’occurrence l’ingénieur qui est censé être le responsable du chantier sur le double plan de l’exécution et de la supervision. Les autorités administratives interviennent lorsqu’un problème de sécurité se pose, comme dans le cas de l’église. L’ingénieur nommé par la municipalité est ainsi chargé d’assurer le suivi de l’affaire. Il somme les promoteurs de s’arrêter, pour éviter le pire. C’était mardi. Trois heures après le départ de l’ingénieur, les pelles à marteaux piqueurs se remettent en marche et le pire se produit : d’énormes lézardes apparaissent dans les murs en pierre de sable qui commencent à s’effriter, le sol se craquelle, les escaliers intérieurs s’affaissent. L’église qui a survécu à deux bombardements durant la guerre est dans un état lamentable. Le père Dimas s’empresse de déposer une plainte devant le parquet de la cour d’appel de Beyrouth et relance le mohafez qui ordonne jeudi le remblayage du chantier et l’édification d’un mur de soutènement de crainte d’effondrements. Des camions entreprennent depuis hier de remblayer les excavations. Les ustensiles sacrés, les icônes et les meubles sont immédiatement déménagés vers des dépôts de l’archevêché. Seuls l’iconostase, les deux chaires épiscopales et les fonts baptismaux ne sont pas démontés. L’iconostase, offerte par la Russie à l’église Notre-Dame de l’Annonciation, est consolidée. Des équipes d’ingénieurs sont constamment sur les lieux pour vérifier l’état des lézardes. Une période d’attente et de prières commence. Toutes les mesures nécessaires pour éviter des effondrements sont prises. Mais les travaux de consolidation, les vrais, ne commenceront que lorsque les ingénieurs établiront leur rapport, au bout de la période de stabilisation que les paroissiens espèrent courte. Ils pourraient durer quelques mois. Entre-temps, les paroissiens se retrouveront tous les soirs pour les vêpres et le dimanche pour la messe dominicale dans un appartement offert par un des leurs.
C’était, hier, une journée noire pour les membres de la paroisse grecque-orthodoxe Notre-Dame de l’Annonciation (Saydet el-Béchara), à Achrafieh. Leur église, ce lieu de culte qu’ils considèrent comme leur deuxième chez-soi, leur havre de paix, leur refuge quand ils ont besoin d’un réconfort qu’ils ne trouvent pas dans leur entourage, est sérieusement ébranlée, à...